Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à l’ordolibéralisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme passe devant une affiche montrant des billets de banque de différentes devises dans un quartier d'affaires à Hong Kong.
Un homme passe devant une affiche montrant des billets de banque de différentes devises dans un quartier d'affaires à Hong Kong.
©ANTHONY WALLACE / AFP

Bonnes feuilles

Alexis Karklins-Marchay publie « Pour un libéralisme humaniste » aux éditions Les Presses de la Cité. Le libéralisme est en accusation. De nombreuses voix, à gauche comme à droite, appellent désormais à abandonner les idées « libérales ». Et si la solution ne venait pas de la « sortie » du libéralisme mais plutôt de sa réinvention ? Un libéralisme différent. Humaniste et éthique. Extrait 2/2.

Alexis Karklins-Marchay

Alexis Karklins-Marchay

Alexis Karklins-Marchay est chargé d'enseignement en finance à l'ESCP et à l'université de Caroline du Nord (États-Unis). Franco-américain, Alexis Karklins-Marchay est diplômé de Paris-Dauphine. Il est l'auteur de plus d'une centaine d'articles de finance, d'histoire et d'économie ainsi que d'ouvrages de théorie économique et de littérature.

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Le libéralisme classique faisant aujourd’hui l’objet d’une défiance généralisée et ses limites étant largement partagées, l’ordolibéralisme apparaît, à condition d’être modernisé et développé, comme une voie prometteuse. Quand il n’est pas caricaturé, ce courant est malheureusement méconnu, contrairement au libéralisme du laissez-faire, qui fut porté par deux théoriciens réputés du XXe siècle, Friedrich Hayek et Milton Friedman. Pourtant, même après la disparition en 1966 de Wilhelm Röpke, le plus célèbre des ordolibéraux, ce courant n’est pas resté totalement dans l’ombre. Dans ses cours au Collège de France, à la fin des années 1970, le philosophe Michel Foucault en propose une analyse, certes biaisée et incomplète, mais intéressante. Plus tard, au lendemain de l’effondrement communiste, dans un livre à succès, Capitalisme contre capitalisme, l’économiste Michel Albert souligne que l’ordolibéralisme a permis le développement d’un capitalisme différent du modèle anglo-saxon, ce dernier étant fondé sur l’exaltation de la réussite individuelle, la quête du profit à court terme et la vision d’une économie au service des seuls actionnaires. Cet autre capitalisme, qu’il qualifie de « rhénan », pratiqué en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en Europe du Nord, ainsi qu’au Japon, valorise la réussite collective, le consensus, la préoccupation pour le long terme, le financement par les banques plutôt que par la Bourse, la protection sociale, la défense de la concurrence contre les monopoles et la stabilité monétaire. Ce modèle, connu sous le nom d’« économie sociale de marché » (Soziale Marktwirtschaft), est directement issu de l’ordolibéralisme et considéré à raison comme plus performant et plus pérenne, même s’il apparaissait en son temps moins flamboyant.

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Très récemment, l’économiste français Patrick Artus est allé encore plus loin en qualifiant l’ordolibéralisme de philosophie « féconde dans le contexte actuel » pour réformer le capitalisme. Dans La Dernière Chance du capitalisme, il décrit une pensée de la gouvernance économique, politique et sociale fondée sur une vision équilibrée et dynamique du partage des rôles entre les différents acteurs de la vie économique, notamment les entreprises et l’État, avec un « partage susceptible d’optimiser la création de richesses et le bien-être individuel et collectif ».

Le temps de redécouvrir l’ordolibéralisme est venu. Dans une époque en proie au doute, le présent essai, qui s’adresse à des lecteurs intéressés par les courants de pensée susceptibles d’apporter des réponses aux problèmes de notre temps sans pour autant appeler au « grand soir » ou verser dans des utopies destructrices et liberticides, a un triple objectif : faire connaître l’histoire et l’originalité de ce courant de pensée ; montrer qu’il constitue une approche beaucoup plus large et nuancée que ce qu’on croit d’ordinaire ; souligner à quel point, enfin, à condition d’en renouveler certains aspects, il répond aux préoccupations des citoyens du XXIe   siècle et aux critiques, parfois justifiées, à l’encontre du libéralisme traditionnel. Certaines dimensions de l’ordolibéralisme apparaissent de fait pleinement d’actualité. Ses mises en garde contre les dangers des monopoles résonnent forcément avec les craintes nées de l’avènement des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et autres géants de la tech. Sa dénonciation d’une civilisation fondée sur le matérialisme et le consumérisme, qui aurait perdu le sens de l’autre et qui ferait de l’économie une finalité plutôt qu’un moyen au service de l’humanité, nous interpelle. Sa critique des démocraties aux mains des lobbys et sujettes aux passions politiques, attirées par des idéologies simplistes, nous rend vigilants. Sa recherche d’un juste équilibre entre les libertés individuelles et une société pérenne constitue une voie stimulante. Les ordolibéraux, dont beaucoup de théoriciens ont disparu dans les années 1950-1960, avaient prévu de nombreuses évolutions ou phénomènes historiques avérés par la suite : la folie meurtrière du nazisme ; les impasses et les échecs du totalitarisme ; le danger de politiques monétaires trop expansives accordant une place excessive à la finance par rapport à l’économie réelle ; l’augmentation constante de l’endettement ; la création de bulles spéculatives sur les marchés boursiers comme dans l’immobilier ; le risque d’affaiblissement de la classe moyenne ; l’impasse du consumérisme ; la destruction de l’environnement ; l’entassement des humains dans des cités de plus en plus invivables ; l’évolution de la politique vers plus de vulgarité et de médiocrité ; la croissance inéluctable de l’interventionnisme inefficace. L’ordolibéralisme est tout simplement une philosophie à part entière, qui dépasse l’économie et qui repense la place de l’humain dans la société.

Extrait du livre d’Alexis Karklins-Marchay, « Pour un libéralisme humaniste », publié aux éditions Les Presses de la Cité

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