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Pourquoi notre rythme de travail laisse présager une société de maniaco-dépressifs
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Explosion en plein vol

Les interactions toujours plus rapides et nombreuses dans le monde du travail font des dommages collatéraux : de plus en plus de salariés sont touchés par le "syndrome d'épuisement professionnel", aussi appelé burn-out. Troisième épisode de notre série sur le rapport au temps dans le monde moderne.

 Odile  Chabrillac

Odile Chabrillac

Naturopathe et psychanalyste, Odile Chabrillac est l’auteur du « Petit Eloge de l’ennui » et « Arrêter de tout contrôler » (Editions Jouvence). Formatrice et conférencière, elle a co-créé le site internet thedifferentmagazine.com, un site holistique alternatif dédié au bien-être et au développement durable. Elle anime également son propre blog.

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A (re)lire sur le même sujets, les précédents articles de notre série sur le rapport au temps dans le monde moderne :
- Qu'avons-nous perdu en perdant l'ennui ?
- Sommeil réparateur : ce que l'abandon de la sieste nous a fait perdre

Atlantico : 5 à 10% de la population active française serait concernée par le burnout, autrement appelé « syndrome d’épuisement professionnel ». En quoi cela consiste-t-il ? Quels en sont les symptômes ?

Odile Chabrillac : Il s’agit d’un abattement à la fois physique, psychologique et intellectuel lié au contexte du travail. C’est le stade ultime du stress qui s’installe en général progressivement. On peut discerner plusieurs étapes la plupart du temps : le sujet s’investit d’abord corps et âme à la tâche. Il se rend ensuite compte que l’énergie qu’il déploie professionnellement ne donne pas les résultats escomptés, mais il continue pourtant. La personne se sent frustrée voire abattue ou impuissante, et commence à consommer des médicaments anti-fatigue la journée et des somnifères le soir. À partir de là, elle ne ressent plus de plaisir à travailler, déplaisir qui peut aller jusqu’à l’impossibilité d’aller travailler. Avant d’arriver à cette situation de rupture, les symptômes peuvent être nombreux : cela va des troubles digestifs, respiratoires, sexuels, à toutes les affections du système nerveux – Irritabilité, spasme, agitation, hypersensibilité, troubles du sommeil, angoisse et ses manifestations (palpitations, mains moites…). Puis surviennent d’autres signes en rapport avec un état de lassitude extrême : fatigue générale sans amélioration avec le repos (week-end ou congés), trouble de la mémoire, perte de l’estime de soi, sommeil de plus en plus perturbé, perte ou au contraire prise de poids…

Nos ancêtres étaient-ils aussi concernés par ce syndrome, ou celui-ci est-il une création de notre monde moderne ? A partir de quand le burnout est-il apparu ?

Ce type de syndrome existe probablement depuis longtemps, car le stress n’a jamais épargné les humains ; mais il concerne manifestement de plus en plus de monde (et pour ma part, je constate aussi un rajeunissement important des personnes touchées). Le terme a d’ailleurs fait son apparition dans les années 1970, et les premières recherches empiriques ont eu lieu dans les années 1980. Donc, oui, on peut dire que le monde moderne a considérablement amplifié le phénomène. D’abord, parce que le rapport au travail a changé et s’est tendu. En outre, l’évolution de la cellule familiale et son instabilité ont fait qu’il peut être difficile d’y trouver un réconfort. Au contraire, on sait aujourd’hui que le burn-out a plutôt tendance à engendrer des divorces…

En accélérant la transmission des informations, les nouvelles technologies ont-elles jeté les hommes dans un monde qui va trop vite pour eux ? Sommes-nous vraiment faits pour être hyper-réactifs en permanence ?

Le monde d’aujourd’hui va sans aucun doute plus vite que nous, et trop vite pour nous. Le corps, pour être en bonne santé, a besoin d’une alternance travail/repos dans des durées équivalentes. Impossible pour lui d’être connecté en permanence, au risque de s’épuiser. C’est là que les nouvelles technologies complexifient la donne : en sollicitant l’individu de mille manières, elles peuvent le mettre dans un état d’hyper vigilance, extrêmement coûteux physiologiquement.

Comment se prémunir contre le syndrome d’épuisement professionnel, individuellement, et à un niveau plus global ?

Individuellement, la qualité de l’hygiène de vie va primer : prendre le temps de se ressourcer pendant sa journée de travail : aller respirer dehors, déjeuner à l’extérieur, et si c’est possible, faire des pauses pour pratiquer une activité physique ; Maintenir une certaine distance avec son environnement professionnel en évitant de trop s’impliquer affectivement et en posant des limites ; ne pas chercher à tout contrôler, apprendre à déléguer… ; essayer d’avoir un sommeil et une alimentation corrects. A la moindre alerte, un suivi psychothérapeutique est incontournable. Collectivement, il me semble nécessaire de s’interroger sur ce qui fait sens pour nous : nos perceptions du travail, de l’argent, de la réussite méritent d’être questionnés. Ensuite, il existe des formations dites « anti-stress » au sein des entreprises permettant parfois de prendre du recul, et de favoriser davantage d’équilibre entre les différentes scènes de notre vie.

Quelles seront les conséquences si rien n’est fait ? Nous dirigeons-nous vers une société de dépressifs ?

Je dirais plutôt que nous nous dirigeons vers une société de maniaco-dépressifs, où les individus pourraient passer pour un oui ou pour un non d’un état d’excitation à un état d’abattement profond, du contrôle à l’impuissance, sans avoir finalement l’impression de vivre leur vie. Car ce sentiment de dépossession de son existence est très présent dans le burn-out. Avec néanmoins à la clé l’opportunité de s’interroger et de transformer son existence et ses priorités si l’on ne souhaite pas y laisser sa santé.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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