Politiques, citoyens, musulmans… Et maintenant, qui a quoi comme responsabilité pour étouffer cette guerre civile à laquelle travaillent les islamistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Des personnes tenant une pancarte "Je suis Charlie" en soutien au magazine satyrique.
Des personnes tenant une pancarte "Je suis Charlie" en soutien au magazine satyrique.
©Reuters/Marcos Brindicc

Je suis Charlie

"Je suis Charlie" est à l'origine de l'image et du slogan que le monde entier reprend par solidarité. Les politiques et les responsables musulmans ont appelé au rassemblement suite à l'attaque terroriste dont a été victime la rédaction de Charlie Hebdo.Mais il faudra se positionner plus fermement afin d'empêcher le projet d’islamistes radicaux sans pour autant tomber dans l'amalgame.

Mohamed Chérif Ferjani

Mohamed Chérif Ferjani

Mohamed Chérif Ferjani est professeur à l'Université de Lyon et chercheur au GREMMO. Ses travaux portent notamment sur l’histoire des idées politiques et religieuses dans le monde musulman ainsi que sur les questions de la laïcité et des droits humains dans le monde arabe. Il a publié, entre autres, Le politique et le religieux dans le champ islamique (Fayard, Paris, 2005). Il est signataire de l’Appel à la communauté internationale pour sauver les chrétiens d'Irak.

Voir la bio »
Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

Voir la bio »
Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »
  • Mercredi 7 janvier, un attentat a visé la rédaction de Charlie-Hebdo, faisant 12 morts et plusieurs blessés
  • L'un des terroristes a crié "Allahou Akbar", la piste islamiste est donc privilégiée
  • Les responsables politiques n'ont toujours pas dénoncé l'idéologie "islamiste" à la base de cette attaque
  • Les condamnations unanimes de la part de la communauté musulmane française et étrangères se font toujours attendre

Atlantico : François Hollande s'est exprimé à la suite de l'attentat qui a touché la rédaction de Charlie-Hebdo, en appelant à l'unité et au rassemblement. Dans une société fracturée, comment les politiques peuvent-ils aujourd'hui parvenir à cette unité ? Quelle réponse peuvent-ils apporter ?

Mohamed Chérif  Ferjani :La défense de la liberté de pensée et d'expression doit être la priorité. Je pense que le message doit être celui de l'unité et du rassemblement contre ceux qui menacent ces libertés fondamentales.

Christophe De Voogd : J'ai beaucoup apprécié les réactions de François Hollande mercredi matin et mercredi soir. François Hollande qui est connu comme un "minimisateur", n'a pas succombé à la tentation. Les choses sont nommées et les réponses sont fortes. Pour ce qui est de la réponse policière, je fais confiance à la police française pour que ces individus soient rapidement arrêtés. Il était également très important que le chef de l'opposition en la personne de Nicolas Sarkozy aille dans le même sens. Ainsi, il n'a pas seulement appelé à l'unité mais l'a illustré. Pour le moment, ils n'ont fait que la moitié du chemin. Car ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy n'ont prononcé le mot "islamisme", ils ont parlé de "fondamentalisme", de "terrorisme", ils ont appelé à "l'unité nationale". On n'arrive toujours pas à savoir où est le problème. Toute nation a besoin de savoir où elle s'arrête, la définition de toute collectivité humaine, repose à la fois sur des liens et des valeurs comme la liberté d'expression, mais aussi sur des frontières. Il faut parvenir à désigner ceux qui ne font pas partie de la collectivité. Comme l'a dit Philippe Val, l'ancien directeur de publication de Charlie-Hebdo, il ne faut justement pas laisser aux extrêmes le soin de désigner. Il faut très clairement dire qu'il y a une véritable guerre contre les islamistes radicaux. J'attends encore que la chose soit clairement dite et elle n'est pas dite par peur de l'amalgame.

Guylain Chevrier : Les élites politiques et les associations antiracistes ont sous-estimé ou dénié  le fondamentalisme et les médias n'ont pas joué leur rôle pour alerter l'opinion, par peur que certaines communautés ou populations se retournent contre la République. Ce déni n'a fait que retarder la possibilité de questionner le religieux et ses façons d'être pratiquées. Il ne s'agit, bien sûr, pas d'associer les musulmans à ce qui vient de se passer mais il y a un certain nombre de problèmes qu'il faut clarifier. On se refuse à interroger un lien entre le communautarisme, en banalisant certains faits qui montrent un retour à la tradition et au religieux. Il y a une radicalisation des relations entre le religieux et la démocratie. Toute la question est de savoir si on peut interroger le lien entre cette dérive extrémiste et la façon de considérer le religieux comme au-dessus du droit. La République porte la liberté de conscience et la liberté des cultes. Mais la démocratie donne des libertés qui peuvent se retourner contre elle. Nous courrons aujourd'hui le risque de favoriser le communautarisme et la segmentation et ainsi de favoriser un certain fondamentalisme. Aujourd'hui, la condamnation ne suffit pas. Il faut appeler tous les acteurs à  jouer le jeu des valeurs républicaines.

En quoi le Front national a-t-il une responsabilité particulièrement en termes de parole qu'il portera sur cette situation ?

Mohamed Chérif  Ferjani : Cet attentat est du pain béni pour le Front national. Mais cet attentat ne peut être récupéré par des causes qui n'ont rien à voir avec la vérité. Il n'y a rien à attendre des forces obscurantistes. Autant je suis horrifié par ce crime, autant je n'accepte qu'il soit récupéré pour développer la haine.

Contre quels "démons" lutter sans pour autant céder à la facilité en se focalisant sur la question religieuse ?

Christophe De Voogd : Pour éviter toute récupération, il est essentiel que les responsables au pouvoir et les grands partis d'opposition nomment la menace. La menace est très claire et elle ne se cache pas. Ne pas nommer l'ennemi c'est prendre le risque de l'amalgame. Il faut être intraitable avec les Imams qui refusent de condamner les départs en Syrie. On évitera l'amalgame qu'en désignant l'amalgame. Il faut aller plus loin, on ne peut plus tolérer que des autorités théologiques aient un discours ambigu. L'islamophobie n'a littéralement aucun sens. Charlie-Hebdo était clair, il s'agit d'une attaque contre une religion dans ses dérives. Le totalitarisme de notre époque est là, entre Daech et les djihadistes dans notre pays.  De même que le communisme est une perversion d'une belle idée qu'était le socialisme, de même que le nazisme était une perversion d'une idée puissante qu'est le nationalisme. On fait très bien la distinction. De la manière, on peut faire la distinction entre islam et islamisme. Et qui ont été les deux plus grands adversaires d'Hitler ? Churchill et de Gaulle qui étaient des nationalistes. Voilà, comment on empêche l'amalgame, on a vu des nationalistes convaincus devenir les pires ennemis du nazisme qui était un nationalisme dévoyé. Et je suis sûr que l'on verra des musulmans devenir des ennemis redoutables de l'islamisme. Et je tiens à rappeler que les islamistes font d'abord régner la terreur dans leur communauté.

Hanin Ghaddar : Suite à ce tragique événement, les Français sont face à deux défis. Ils doivent être prudents et ne pas poser le problème en termes d'opposition entre l'islam et l'Occident. Il s'agit d'un combat pour la liberté d'expression mené par les sociétés musulmanes depuis longtemps. Au Liban, par exemple, nous avons souffert à de nombreuses reprises de terrorisme intellectuel. J'ai pour ma part été menacée de nombreuses fois, certains de mes collègues ont été assassinés simplement pour avoir usé de notre liberté d'expression. Ce combat n'est par celui de l'Europe contre le terrorisme mais plutôt de l'ensemble des citoyens aspirant à la liberté, y compris du monde musulman, contre le terrorisme sous toutes ces formes.

Cette attaque terroriste ne doit pas pousser l'Europe à s'entendre avec des régimes autoritaires comme celui de Bachar Al Assad simplement parce qu'ils affirment lutter contre les djihadistes. Ces régimes sont la raison pour laquelle les djihadistes se sont multipliés. Le terrorisme revêt de nombreuses formes et elles doivent être combattues. La France doit être particulièrement prudente sur ce point. Cela s'est déjà produit par le passé et les régimes autoritaires ne font que mener à davantage de terrorisme. N'oublions pas que la première fatwa contre la liberté d'expression a été émise par l'Iran contre Salman Rushdie.  

La première réaction de Dalil Boubakeur a été d'estimer que les musulmans étaient des victimes de tout cela. Quelle position peuvent adopter les musulmans pour ne pas être réduit à un rôle de victime ?  

Mohamed Chérif  Ferjani : Les musulmans sont les premières victimes de l'Etat islamique et du fanatisme qui s'exprime au nom de leur religion. Ils sont des victimes directes quand on compte le nombre de victimes à travers le monde en Syrie, en Irak, au Liban ou en Afghanistan. Ils sont aussi des victimes indirectes puisque c'est au nom de leur culture et religion que ces crimes sont commis : ils sont désignés, soupçonnés de connivence et de complicité. Ils sont appelés à dénoncer ces crimes là et à ne pas chercher de justification à ce genre d'attentat.

Hanin Ghaddar : Les musulmans et particulièrement les musulmans modérés ont un rôle crucial à jouer. Ils se doivent de "faire le ménage" et ne doivent pas jouer les victimes. Les pays arabes et musulmans doivent commencer par abolir les Imams fanatiques et doivent établir une contre-stratégie à leur rhétorique. Ils ne peuvent pas prétendre lutter contre le terrorisme tout en laissant les fanatiques faire ce qu'ils veulent. Les musulmans modérés doivent condamner haut et fort cet attentat et arrêter de se trouver des excuses. C'est une question de liberté d'expression. Point barre. 

Guylain Chevrier :  La victimisation est une idée qui nous est renvoyée par les discours médiatiques et politiques qui ne prennent pas les problèmes à prendre à bras le corps.Les représentants de la communauté musulmane doivent être sans ambiguïté dans la défense des valeurs communes qui permettent à toute religion de s'exprimer à partir du moment où on accepte ce qui fonde notre cohésion sociale : le principe d'égalité de tous et le fait qu'aucune religion ne doit imposer aux individus une façon de vivre différente de celle qu'ils auraient choisi eux-mêmes. Il faut également s'appuyer davantage sur ces musulmans que l'on n'entend pas, une majorité silencieuse qui s'inscrit dans les valeurs de la République.

Au Royaume-Uni des initiatives tel que la campagne #NotInMyName ont été prises. Comment expliquer qu'en France les  musulmans ne sont pas emparés du problème de l'islamisme de manière aussi affirmée ?

Mohamed Chérif  Ferjani :Ils réagissent plus vite que d'habitude. Les associations qui parlent au nom des musulmans se démarquent de Daech et de tout ce qui se fait ailleurs, des crimes commis. Bien sûr on aimerait les voir plus vite et nombreux et qu'ils soient les premiers à dénoncer les criminels qui agissent au nom de leur religion. Et dénoncer ceux qui cherchent à trouver des justifications à ces crimes, au nom de l'islamophobie, des crimes commis contre les musulmans à travers le monde : rien ne justifie des actes aussi criminels.

Obama, Poutine, la Reine d'Angleterre ont exprimé leur solidarité à la France, l'Ambassade du Qatar en France s'est contentée d'un communiqué. Face à cet enjeu, ne serait-il pas temps que les alliés de l'Occident dans les pays arabes condamnent plus vivement ce qu'il s'est passé ?

Mohamed Chérif  Ferjani : La réaction molle du Qatar ne m'étonne pas : il n'est pas étranger au développement du fanatisme sous ses formes les plus abjectes notamment en Syrie et en Irak. Ces mouvements ont été soutenus par le Qatar et l'Arabie Saoudite au nom de la lutte des sunnites contre les chiites et des injustices dont serait responsable l'Occident à l'égard de l'ensemble du monde musulman.

Hanin Ghaddar : J'ai vu les communiqués du Qatar et de l'Arabie Saoudite condamnant cet attentat, mais ils sont arrivés bien tard et ne sont pas suffisamment fermes. Ces pays devraient faire bien plus que cela. Les communiqués ne sont plus suffisants. Ce problème doit être traité en interne et dans toute la région. En clair, il faut couper les canaux de financement des djihadistes et faire en sorte que leur idéologie cesse de faire des émules. Ces Etats devraient commencer par balayer devant leur porte. La démocratie, la réforme et la liberté ne sont pas que des mots. Les Etats arabes doivent commencer par réformer le système éducatif et le droit de la presse, puis empêcher les Imams fanatiques de s'exprimer dans l'espace public. Sinon, rien ne changera. Nous ne devons pas attendre de l'Occident qu'il soit compréhensif et qu'il maintienne nos relations si nous n'intégrons pas un certain nombre de valeurs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !