Pape à Marseille : que faire du message de François sur les migrants ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Beaucoup de catholiques Français sont perturbés par le discours du pape sur les migrants, qu'ils peinent à accorder avec leur vision politique des problèmes que pose l'immigration en France.
Beaucoup de catholiques Français sont perturbés par le discours du pape sur les migrants, qu'ils peinent à accorder avec leur vision politique des problèmes que pose l'immigration en France.
©FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Discordance

Le chef de l’Eglise catholique a fait de la dénonciation de l’indifférence face aux tragédies vécues par les migrants une pierre angulaire de son pontificat en ignorant parfois le contexte culturel, économique et politique des pays européens. Est-il possible de trouver un équilibre ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Hugues Portelli

Hugues Portelli

Hugues Portelli est sénateur UMP du Val-d'Oise et maire d'Ermont.

Il est professeur à l'université Panthéon-Assas (Paris II), où il dirige le Master 2 de recherche études politiques, le cours de 1re année de droit constitutionnel, et membre du comité de rédaction des revues Pouvoirs et Pouvoirs locaux.

Hugues Portelli est notamment l'auteur de L'Italie de Berlusconi (Buchet Chastel, 2006).

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Atlantico : Beaucoup de catholiques Français sont perturbés par le discours du pape sur les migrants, qu'ils peinent à accorder avec leur vision politique des problèmes que pose l'immigration en France. Comment réconcilier défis politiques contemporains et message de l'Evangile puisque catholique signifie universel ?

Bertrand Vergely : Il y a quelque temps de cela, lorsque le pape François a évoqué la question de l’immigration, il a commencé par fustiger l’égoïsme des pays occidentaux en appelant à une ouverture des frontières afin de laisser rentrer les migrants. Puis, quelques jours plus tard, il a précisé qu’il fallait bien sûr que les migrants respectent les lois françaises. La question posée par l’immigration aujourd’hui est celle de l’illégalité. L’immigration à laquelle on assiste en France et en Europe aujourd’hui est illégale, les migrants rentrant en France sans aucune autorisation. Concrètement, cette illégalité confronte à une contradiction majeure. Si, comme le pape François le souhaite, on ouvre les frontières. Il va falloir accepter que les migrants n’obéissent pas aux lois françaises. Si on veut qu’ils respectent les lois françaises, il va falloir renoncer à ouvrir les frontières. Quand les Français s’inquiètent à propos de l’immigration, c’est cette contradiction qu’ils ressentent sourdement. Il est possible d’apaiser les esprits. Il suffit de dire dans un même discours que l’on veut bien ouvrir les frontières à condition que les migrants respectent la légalité. C’est ce qu’a proposé dernièrement la commissaire européenne Madame von der Layen en baptisant cette formule du nom d’immigration raisonnée et choisie. Le pape devrait tenir un discours semblable. Va-t-il le faire ? Bien évidemment, non. S’il parle immigration raisonnée, il n’emballera pas les foules. S’il parle de générosité, d’ouverture, de fraternité et d’amour universel, il les emballera. Donc, il faut s’attendre à ce qu’il divise les catholiques sur ce sujet en faisant passer la générosité avant la raison.

Damien Le Guay : Le discours traditionnel de l'Eglise sur l'immigration repose sur l’accueil des étrangers. Dans les Evangiles, Jésus indique que lorsqu’un étranger ou un inconnu est accueilli et soigné, Jésus est accueilli à travers lui. La demande d’accueil, de prise en charge des étrangers, quels qu’ils soient, est inscrit dans la tradition de l’Eglise catholique depuis toujours. Il a toujours été question d’accueillir et de prendre soin des faibles et des étrangers comme dans la parabole du bon Samaritain.

Plusieurs choses doivent être prises en considération dans ce que dit le Pape. Le souverain pontife considère qu’il faut effectivement avoir une attention particulière à l’égard de la tragédie des migrants. Il n’est pas possible d’être indifférent au sort des migrants à Lampedusa et en Méditerranée. Certains décèdent lors des traversées en mer Méditerranée. Le pape alerte sur cette réalité depuis de nombreuses années. En revanche, une tension existe dans le discours du pape entre cette attention particulière à l’égard des migrants et la question de l’accueil au sein de l’Union européenne. Le pape a même fait un discours auprès des instances européennes pour vanter les mérites d’une Europe « inclusive » et qui devrait considérer l’afflux des migrants comme une chose positive, comme une chance et une opportunité. La priorité accordée aux migrants, cet appel à les recevoir, à les accueillir et le fait que l’Europe puisse devenir une terre d’hospitalité inconditionnelle viennent heurter de front la constitution d’une Europe telle qu’elle s’est faite au fil des siècles. Le danger est grand quand on ne tient pas compte, comme le dit Pierre Manent, de ce « petit miracle » des Etats-nations européens qui sont fragiles et qui pourraient péricliter si elles étaient submergées par la question migratoire et par l’afflux constant de migrants. Le vrai conflit au sein des catholiques et des peuples européens est relatif à cette hospitalité sans limite des migrants qui viennent sans respecter le droit, qui ne repartent pas s’ils sont reboutés, qui ébranlent le principe même des frontières et remettent en cause le droit à la continuité historique des peuples façonnés par une matrice chrétienne commune.   

Le message chrétien, ô combien légitime et nécessaire, amène à dépasser les égoïsmes individuels. Il vient s’adresser aux consciences individuelles et vient inscrire de façon générale cette destination universelle des biens. Cela est une question d’objectif. Le christianisme doit rappeler aux chrétiens et à tous la générosité à  promouvoir, l’accueil à mettre en œuvre pour les faibles et les étrangers, et la conversion des cœurs afin de lutter contre ses propres égoïsmes. Cela correspond à l’horizon général du christianisme. Mais il importe, afin de concilier l’ambition chrétienne et la réalité des communautés chrétiennes, de respecter l’autonomie des Etats-nations, de ne pas interférer dans les décisions des gouvernements, de respecter la capacité qu’ont les Etats-nations à pouvoir déterminer eux-mêmes s’ils peuvent ou non accueillir des étrangers et comment  ils entendent  préserver leur cohérence culturelle et politique. Ce que le pape dit sur les migrants amène à une forme de confusion des horizons avec une rêve européen « inclusif » qui n’est pas celui des peuples européens.  Ses appels à une charité sans frontière sont autant d’injonctions qui ne s’adressent pas uniquement aux individus mais surtout aux Etats-nations et à la vieille Europe toute entière qui devraient rejoindre le rêve argentin – une terre de migration, de mixité de population et de mélange des cultures. Il y a comme une imposition d’un modèle d’accueil appliqué à une Europe chargée d’histoires, de traditions, de particularismes politiques. Le pape semble ne pas tenir compte des extrêmes dangers d’incohérence culturelle qui guettent l’Europe et des sensibilités exacerbées des électeurs européens à l’égard de cette disparition programmée de la cohésion culturelle, politique, civilisationnelle de l’Europe.

Le pape est un prophète sans armée, sans moyen d’action autre que sa parole. Cela représente toute sa noblesse et toute sa force. Il y a un magistère du verbe et de la parole charitable. Mais les prophètes ne gouvernent pas et ne doivent pas donner des conseils politiques aux Etats.

Hugues Portelli : Le discours du Pape sur les migrants, qui est d’ailleurs celui de l’Eglise, ne peut pas être réduit pas à des formules simplistes.

Dans son message pour la 109e Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié (JMMR) qui aura lieu le dimanche 24 septembre 2023 sur le thème : "Libre de choisir d’émigrer ou de rester »,  le Pape François rappelle que "les migrants fuient la pauvreté, la peur et le désespoir" et souligne que certaines des causes les plus visibles de la migration sont "les persécutions, les guerres, les phénomènes météorologiques et la misère".

Dans cette optique, le Saint-Père indique dans son Message qu'"un effort commun de chaque pays et de la communauté internationale est nécessaire pour garantir à tous le droit de ne pas avoir à migrer, c'est-à-dire la possibilité de vivre en paix et dans la dignité sur sa propre terre".

Le Pape demande également "de reconnaître dans la migration non seulement un frère ou une sœur en difficulté, mais le Christ qui frappe à notre porte" et ajoute que "tout en travaillant pour que chaque migration soit le fruit d'un choix libre, nous sommes appelés à avoir le plus grand respect pour la dignité de chaque migrant".

"Où que nous décidions de construire notre avenir, dans notre pays de naissance ou dans un autre, l'important est qu'il y ait toujours une communauté prête à accueillir, protéger, promouvoir et intégrer tout le monde, sans distinction et sans laisser personne de côté", a écrit le Pape François. 

Un des volets de ce libre choix du migrant et de l’action nécessaire de la communauté internationale est la lutte contre le trafic d’êtres humains : « Que les trafiquants d’êtres humains soient arrêtés, qu’ils ne puissent plus disposer de la vie de tant d’innocents »  a demandé le Pape dans une allocution du 3 mars 2023 après le naufrage d’une embarcation au large de Crotone qui avait fait 50 morts.

Comment l'Eglise, confrontée à la déchristianisation accélérée de l'Europe, peut-elle gérer le défi de mouvements de droite conservateurs qui ne retiennent de l'héritage catholique que son côté identitaire ? Peut-elle se passer d'eux et que dire à ceux qui revendiquent les racines chrétiennes de l'Europe en oubliant parfois le côté disruptif de la parole du Christ ? 

Bertrand Vergely : L’Église a parfaitement les moyens de faire face à sa partie conservatrice. Quand elle parle de Dieu, de vie mystique en ne se posant pas face à une Église de droite ou pour une Église de gauche, la droite et la gauche disparaissant devant Dieu et la vie mystique, tout le monde se rassemble. Lorsque, poussée par son aile gauche, elle entreprend de vouloir aller titiller son aile droite, la réaction ne se fait pas attendre. L’’Église se divise et a bien du mal à éteindre l’incendie quelle a elle-même allumé. La politique a toujours nuit à l’Église. Si elle veut pouvoir faire face aux tensions qu’il peut avoir en son sein, il faut qu’elle renonce à en parler. Elle peut le faire, la vie en Dieu lui offrant une porte de sortie que l’on ne trouve jamais dans les partis politiques qui sont soit de droite contre la gauche soit de gauche contre la droite.

Damien Le Guay : Au sein des pays européens, les catholiques ont tendance à se replier. Cela conduit à un renforcement des identités. Le pôle le plus identitaire, sur les questions des messes traditionnelles et de la défense des cultures particulières, se fait entendre plus qu’avant. Les chrétiens de gauche sont plus à l’unisson de ce que le pape dit. Le pape va se rendre à Marseille qui est le lieu d’un catholicisme particulier, plus ouvert, plus populaire, plus accueillant de par sa géographie et la composition de sa population.

Ce conflit-là est d’autant plus exacerbé que le pape insiste beaucoup sur la question des migrants et de l’écologie comme si l’Eglise était une ONG parmi les autres, un mélange de super resto du cœur et de mouvement écologique mondial, alors que l’inquiétude des églises locales concerne avant tout la baisse de la pratique, le manque de prêtre et de fidèles. Inquiétude renforcée par la certitude que les discours sur les migrants et l’urgence climatique ne feront pas revenir les catholiques égarés et les chrétiens volatilisés dans la nature.

Hugues Portelli : Le catholicisme ne peut pas être défini comme une religion identitaire mais comme une religion universelle – c’est le sens du mot catholique – qui a vocation à accueillir tous les peuples en respectant leur histoire et leur identité. C’est cela la vocation d’un chrétien.

Le problème des migrations massives est d’abord celui de l’incapacité des pays européens, vieillis et déchristianisés, à s’ouvrir à ceux dont ils ont de toute façon besoin pour assurer leur développement et retrouver leur vitalité, mais aussi à fournir une aide au développement solidaire pour aider les migrants potentiels à vivre dignement dans leur pays d’origine.

Au-delà de la question des flux migratoires stricto sensu, que dit l'Eglise sur l'assimilation ou l'intégration de populations aux racines culturelles et religieuses très différentes ?

Bertrand Vergely : L’Église a depuis longtemps dans son histoire l’habitude de vivre avec des populations dont la culture et la religion ne sont pas chrétiennes. En étant respectueuse et courtoise, elle est parfaitement parvenue à faire face à cette diversité. Prenons un pays comme le Liban qui est un pays multiconfessionnel. Depuis longtemps déjà, les cultures et les religions qui s’y trouvent cohabitent très bien ensemble, celles-ci ayant l’habitude de se côtoyer, de se connaître, de se respecter et d’avoir des relations courtoises.

Damien Le Guay : Depuis Vatican II, il est clair que l’idée selon laquelle il n’y aurait pas de salut en dehors de l’Eglise a été remise en cause. Tous les hommes de bonne volonté, tous ceux qui ont une autre religion ou qui n’ont pas encore rallié la foi chrétienne ont tous la capacité d’avoir une sagesse, une connaissance, un accès à la vérité. Les voies d’accès au salut prennent maintenant des formes différentes. Jean-Paul II avait beaucoup insisté sur l’œcuménisme, le rapprochement des religions. Toutes les religions doivent promouvoir un discours de paix. Or, chaque religion poursuit des objectifs différents. Rémi Brague à notamment évoqué l’illusion de certains politiques qui pensent que toutes les religions se valent et sont les mêmes et qu’il y aurait des similitudes fortes entre les trois « religions abrahamiques » sans comprendre la spécificité de chacune. De loin tout est pareil. De près les différences sont nombreuses – et souvent irréconciliables.

Hugues Portelli : Le premier danger que court l’Europe post-chrétienne est d’abord en elle-même. Pour reprendre l’exortation de Jean-Paul II, qu’a fait la France de son baptême ? Que les chrétiens d’Europe retrouvent leurs racines et leur vocation, et le reste suivra. Aujourd’hui, si nos églises de banlieue sont remplies et ferventes, c’est grâce aux chrétiens venus des quatre coins du monde, du Portugal au Moyen-Orient, de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est.

Certaines voix plus conservatrices au sein de l'église, Mgr Sarah notamment, n'ont pas hésiter à alerter sur le risque que font courir à la civilisation européenne les ambitions de l'islam politique ? François voit-il ce défi là ? 

Bertrand Vergely : Monseigneur Sarah est un sage à qui on doit deux propos nullement conservateurs mais pleins de raison. Le premier a consisté à dire que quitter son pays pour aller vivre ailleurs n’est pas une solution. Il faut bâtir un monde dans lequel personne n’aura envie de partir de chez lui pour aller vivre ailleurs. Si tout le monde quitte son pays pour aller ailleurs, il ne sera jamais possible de construire un monde vivable. Par ailleurs, il est vrai que l’islamisme est dangereux. Ce ne sont pas les Européens qui le disent, mais les musulmans eux-mêmes, ceux-ci étant souvent les principales victimes des islamistes qui leur reprochent de ne pas être de bons musulmans. Bien évidemment, le pape ne va nullement exprimer de tels propos. Quand il parlera, il, exprimera d’abord sa compassion envers les migrants victimes de la guerre ou du climat. Et s’il aborde la question de l’Islam, il parlera d’ouverture à l’autre. Toutefois en laissant le pape et le cardinal Sarah s’exprimer, on peut dire que l’Église est fine en assurant un équilibre subtil entre la générosité du pape et la sagesse du cardinal Sarah.

Damien Le Guay : Le cardinal Sarah insiste beaucoup sur les particularités des identités et des cultures européennes et africaines. Toutes les cultures ne se diluent pas dans la générosité. Les cultures existent et se défendent et veulent perdurer. Il faut donc promouvoir l’accueil des étrangers sans mépriser le génie particulier des christianismes locaux. Le grand avantage du catholicisme est qu’il a toujours réussi à promouvoir une culture catholique locale. Il n’y a pas de langue universelle ou originelle au catholicisme comme l’hébreu pour les juifs ou l’arabe pour les musulmans. Le Christ a parlé en araméen, les premiers textes étaient en grec et la Bible universelle était en latin et depuis lors chacun lit la Bible dans sa langue. Les cultes et les rites se sont adaptés, dans une forme de plasticité culturelle, à tous les espaces que le christianisme et le catholicisme ont rencontrés.

Le génie des peuples européens est un mélange d’histoire, de traditions politiques et de déclinaisons différentes d’une même matrice chrétienne. Il importe de ne pas faire en sorte que cette particularité culturelle, que cette spécificité du catholicisme et que l’histoire de l’Europe ne soient pas percutées par un accueil inconditionnel des migrants qui n’ont pas la même culture et la même religion. Tous les humains sont à respecter mais le devoir d’humanité ne doit pas écrabouiller les exigences culturelle des peuples et celle, en particulier, à la continuité dans la cohérence civilisationelle.

Selon Mgr Aveline, archevêque de Marseille, dans les colonnes du Parisien, le pape pourrait infléchir son discours en parlant du droit des migrants à vivre dignement là où ils sont nés plutôt que d’insister sur l’accueil. Cette évolution pourra-t-elle changer la donne et participer à de nouvelles solutions ?

Bertrand Vergely : Si tel est le cas, on assistera à une véritable révolution permettant de vraiment apporter une réponse à la question de l’immigration. Depuis longtemps déjà partisans du « plus de frontières » et du « non à l’immigration » s’affrontent sans parvenir à se départager. Il est certain que si, demain, le pape invite les migrants à rester chez eux afin de bâtir un pays leur permettant de vivre en paix et dignement, Tous les problèmes qui pèsent aujourd’hui sur la vie politique à cause de l’immigration et des passions quelle peu provoquer s’envoleront. Le « non à l’immigration «  ne fera plus peur, tout simplement parce que le « pas de frontières » aura cessé de le provoquer. Le pape et le cardinal Sarah ne seront pas alors deux voix discordantes mais une seule et même voix et le monde connaîtra une voie nouvelle montrant qu’il est possible de résoudre des questions que l’on pense impossibles à résoudre.

Damien Le Guay : Les discours prononcés jusqu’alors par le pape François sur l’immigration ont heurtés beaucoup de catholiques européens. Ces derniers insistent beaucoup sur la capacité des corps politiques à défendre ce qu’ils sont, à être maîtres de leurs frontières et à accepter ou non de s’agrandir tout en considérant qu’il y a un droit d’entrée culturel et un devoir d’assimilation qui s’impose à tout le monde. Si l’intelligence collective des Etats-nations européens n’est pas maintenue d’un point de vue culturel, politique ou d’homogénéité de population, le risque est alors grand que les injonctions papales affaiblissent encore plus la cohérence culturelle européenne.

Mais l’Europe elle-même, qui est spirituellement faible et qui a peu confiance de sa propre homogénéité, entend ce discours papal comme un message qui viendrait à l’unisson de son projet en l’absence de projet. Le sociologue allemand Ulrich Beck a défini l’Europe comme un mélange entre  « une vacuité substantielle » et « une altérité radicale ». L’Europe est incapable de se définir elle-même. Elle est incapable de définir ses propres valeurs, de dire qu’elle est « un club chrétien ». Elle préfère, bien plutôt, promouvoir cette altérité radicale, l’accueil inconditionnel de l’altérité qui permettrait de renouveler l’espace européen - marqué par deux totalitarismes et par une succession d’affrontements idéologiques abominables.

De mon point de vue, il y a une forme d’alliance non objective mais réelle entre l’insistance chrétienne légitime de l’accueil et la priorité européenne pour une « altérité radicale ».  Mais cela devient problématique lorsque l’accueil en Europe vise à faire sauter les frontières et à faire en sorte que les citoyens européens soient dans l’obligation chrétienne d’accueillir tout le monde sans rien exiger de personne alors qu’il importe toujours, quand on vient d’ailleurs, de prendre le pli de la culture d’accueil. L’Europe renonce peu à peu à son identité et met en avant cette vacuité et cette incapacité à se définir sinon par l’accueil, par l’altérité. Il ne faudrait pas que le catholicisme soit à l’unisson de ce discours et, en Europe, se fasse ainsi hara-kiri tout en participant au lent suicide de l’Europe culturelle.  

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