Modes de production
Le localisme pour la production alimentaire ? Une imposture environnementale
De plus en plus de consommateurs se tournent vers l'alimentation locale, les circuits courts et s'intéressent à l'origine des produits alimentaires qu'ils achètent. Le transport des aliments ne joue pourtant qu’un faible rôle dans l’empreinte carbone de notre production alimentaire, selon des données de Our World in Data.
Atlantico : Selon des données de Our World in Data, le transport des aliments est négligeable dans leur bilan carbone. Comment expliquer cette constatation au moment où le localisme est plébiscité, notamment par certains candidats à l’élection présidentielle ?
Gil Rivière-Wekstein : Tout d’abord, le localisme se décline sous plusieurs formes et recouvre plusieurs définitions. Ainsi, si certains localivores refusent d’acheter des denrées qui seraient produites à plus de 200 kilomètres de chez eux, d’autres privilégient simplement les denrées alimentaires produites en France plutôt que celles importées, surtout si elles viennent de l’autre bout du monde. Ensuite, il faut faire attention à ne pas confondre localisme et circuits courts, qui implique plutôt d’avoir peu d’intermédiaires. C'est, par exemple, le cas d’une personne achetant un produit venant d’Australie, mais avec seulement un intermédiaire (le client, l’acheteur en question).
Cependant, d’un point de vue écologique, le bilan carbone ne se limite pas à la question du transport des marchandises et des produits. Et l'affirmation que consommer localement sera forcément bon pour le CO2 ne résiste pas à une véritable analyse. Ainsi, un rapport signé du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) paru en 2021 note que « l’impact environnemental ne penche pas davantage en faveur du local ». Se référant aux travaux de l’Ademe et à une étude du projet CECAM, le rapport confirme que c’est bien la phase de production qui a le plus d’impact, tant pour les gaz à effet de serre que pour l’environnement en général. « Un aliment produit et consommé en France et parcourant 450 km émettra davantage qu’un aliment produit en Europe et consommé en France qui parcourrait 500 km (103,9 contre 101,5 GtCO2) », indiquent les auteurs, qui en déduisent qu’il n’y a pas de causalité univoque entre la distance effectuée par un aliment et ses émissions de CO2 dues au transport. En fin de compte, le rapport estime que « le caractère local des approvisionnements alimentaires ne constitue pas un levier substantiel d’amélioration de la durabilité environnementale des systèmes alimentaires ». Autrement dit, la course au localisme, pourtant prônée par de très nombreux acteurs, ne serait finalement rien d’autre que l’exemple typique d’une fausse bonne idée… D’autant que, même pour les producteurs, ce n’est pas nécessairement une bonne solution. « Les circuits d’approvisionnement locaux ne seraient pas en mesure de générer une valeur ajoutée supérieure aux circuits classiques », et cela en raison des fameux « avantages comparatifs » qui permettent, en produisant ce qu’on produit de mieux, de faire une plus-value pour pouvoir commercialiser le reste, expliquent les auteurs, qui concluent qu' « en relocalisant l’alimentation, on perd une partie de cette efficacité économique ».
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D’ailleurs, tout cela est assez logique. Prenez le cas des tomates, par exemple, produites sous serres en Bretagne, où le soleil et la chaleur ne sont pas présents tous les jours, qui implique de consommer beaucoup plus d’énergie que pour produire les mêmes tomates au Maroc ou dans le Sud de l’Espagne. Dans ce cas, le mode de production va largement dépasser le coût en CO2 du transport. Cet exemple suggère que manger local n’est pas toujours la meilleure façon de diminuer les émissions de GEF.
La production d’agneaux en Europe constitue un autre exemple, qui a fait l’objet d’une étude de l’Inra il y a quelques années. Cette étude a démontré qu’en raison des vastes zones de pâturage disponibles en Nouvelle Zélande, le mode de production est bien plus économe en émissions de GEF qu’en Europe. Il y a, certes, le transport, mais au kilo rapporté, il sera finalement assez faible. En faisant la somme de l’ensemble, un agneau transporté sur une longue distance émettra moins de CO2 qu’un agneau produit en France.
Enfin, le cas des haricots du Kenya, importés par avion, est lui aussi très intéressant. Théoriquement, le bilan semble en effet catastrophique. Sauf qu’en réalité, son impact sur l’environnement sera moindre que le haricot venant en camion de Bretagne. Pourquoi ? Tout simplement, parce que les haricots kenyans sont transportés par des avions qui, de toute manière, auraient fait le voyage retour vers l’Europe. Dans la « vraie vie », qu’il y ait ou non des haricots dans les soutes ne change donc rien au bilan carbone du vol de l’avion.
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Si le transport n’est responsable que d’une petite partie des émissions de carbone, quels facteurs de notre production alimentaire génèrent des gaz à effet de serre ? Certains types de produits en génèrent-ils plus que d’autres ?
Chaque mode de production induit d’une manière ou d’une autre des gaz à effet de serre, et paradoxalement, c’est l’agriculture biologique qui se révèle être le moins bon élève. Pourquoi ? Simplement du fait que la production en AB n’est pas très intensive, et que les rendements sont moitié moins importants qu’en conventionnel pour certaines cultures, comme le blé ou d’autres céréales. Il faut donc davantage de surface pour produire la même quantité de produits finis. Ensuite, l’agriculture biologique exige beaucoup plus de passages avec un tracteur – ce qui augmente l’énergie utilisée – qu’une agriculture conventionnelle qui, grâce aux pesticides de synthèse, va réduire le nombre de traitements et donc de passages dans les champs. Calculé par unité de production, le bilan pour l’AB n’est pas vraiment formidable.
Plus d’efforts pourraient-ils être faits sur le changement d'affectation des terres et sur l’agriculture pour un meilleur bilan carbone ?
L’affectation des terres ne se fait pas par rapport au bilan carbone, mais en fonction de la demande du marché. On le voit parfaitement avec la crise ukrainienne, et les tensions mondiales sur la production du colza et du tournesol, puisqu'on assiste déjà aux États-Unis, au Canada ou en Europe, à une incitation à semer du colza et du tournesol plutôt qu’autre chose. Je vous rappelle que la vocation première de notre agriculture reste de nourrir notre population, et au-delà, de participer à la stabilité politique des pays qui ne peuvent produire suffisamment pour nourrir leur propre population. Sa finalité n’est pas de résoudre les problèmes climatiques. Et, comme le montre le conflit actuel, ce serait une erreur stratégique de penser qu’il y aurait aujourd’hui d’autres impératifs que la production comme objectifs pour le monde agricole. Il faut bien entendu prendre en compte les questions environnementales, mais pas à n’importe quel prix.
Comment conjuguer une écologie rationnelle avec une efficacité plus concrète pour le localisme ? Comment expliquer l'excellente réputation du « localisme » et des circuits courts, auxquels on prête souvent le rôle de bienfaiteurs pour l’environnement ?
Le localisme et les circuits courts ont une très bonne presse en raison de l’ignorance de la plupart de nos concitoyens sur l’économie agricole. Cela est d’autant plus vrai qu’a priori cela semble une évidence. Mais, comme je vous l’ai déjà dit, ce n'est qu'une fausse bonne idée.
Quelles seraient les solutions alternatives viables pour limiter l’impact carbone sur la production agricole ? La piste d’une taxe carbone universelle peut-elle être envisagée ? Quels éléments faudrait-il prendre en compte pour développer une politique agricole plus respectueuse de l’environnement ?
Il est important de préciser que la politique agricole européenne est déjà l’une des plus respectueuses de l’environnement qui existent sur la planète. Je ne pense pas que ce soit le secteur prioritaire pour réduire notre empreinte carbone. En revanche, l’agriculture peut être une solution par rapport aux émissions de gaz à effet de serre. Je renvoie vos lecteurs à toute la stratégie qui avait été mise en place par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, l’initiative appelée « 4 pour 1 000 », qui favorise le stockage dans le sol des émissions de CO2. L’idée est de capter un maximum de carbone dans le sol par les pratiques agricoles qui permettent de le faire. Comme les productions végétales utilisent l’énergie solaire pour capter le CO2 disponible dans l’air et fabriquer de la biomasse grâce à la photosynthèse, on sait qu’un hectare de blé ou de maïs capte 4 à 8 fois plus de CO2 qu’il n’en est émis pour le produire. Ainsi, à la récolte, ce processus permet de fabriquer 15 à 20 tonnes de biomasse à l’hectare (50 % sous forme de grains, 50 % sous forme de paille et de racines). Une étude d’Arvalis a montré qu’à titre d’exemple, 7,5 à 10 tonnes de paille et racines produisent 1,1 à 1,5 tonne d’humus stable dans le sol. Cela représente un stock de 450 à 600 kg de carbone, soit 1 650 à 2 200 kg eq CO2 par hectare. C’est ce qu’on appelle un « puits de carbone ». Se focalisant sur ce mécanisme naturel, une étude de l’Inrae rendue publique en juillet 2019 indique qu’il est techniquement possible de séquestrer l’équivalent d'environ 40% des émissions agricoles. Mais pour atteindre un tel résultat, il faudra une transformation des techniques culturales sur la totalité des surfaces en grande culture, le potentiel y étant plus élevé en raison du faible stock actuel de carbone et du faible stockage des techniques culturales actuellement majoritaires. Certaines modifications sont assez simples à mettre en œuvre, comme l’usage de culture intermédiaire, qui permet de stocker en moyenne 240 kg de carbone par hectare chaque année. Aujourd’hui, le monde agricole s'est d’ailleurs déjà engagé dans cette voie, et de nombreuses initiatives ont déjà été prises, notamment dans la filière du maïs.
En tout état de cause, c’est au travers d'une intensification de l’agriculture que l’on arrivera encore mieux à capter du carbone et à faire en sorte que le volet céréales de notre agriculture soit une réponse aux défis climatiques et non un problème. En ce qui concerne l’élevage, des efforts sont également réalisés avec le type d’alimentation donné aux ruminants, qui sont amenés à rejeter moins de méthane.
Gil Rivière-Wekstein est rédacteur de La Lettre Agriculture et Environnement. Il est l’auteur de Panique dans l'assiette - Ils se nourrissent de nos peurs, aux éditions Le Publieur.
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