La France, cet autre Qatar qui s’ignore ? Selon le New-York Times, des milliers de travailleurs immigrés auraient été exploités dans les travaux pour les JO <!-- --> | Atlantico.fr
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Des ouvriers construisent les gradins sur le chantier du parc urbain de la Concorde pour les prochains Jeux olympiques de Paris 2024, le 16 avril 2024.
Des ouvriers construisent les gradins sur le chantier du parc urbain de la Concorde pour les prochains Jeux olympiques de Paris 2024, le 16 avril 2024.
©ANTONIN UTZ AFP

Chantiers olympiques

Le quotidien américain donnant régulièrement dans le french bashing, qu’en est-il exactement ?

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Atlantico : Cela fait des années, maintenant, que la France travaille activement à la bonne tenue des Jeux Olympiques de 2024. Après l'organisation de la Coupe du monde de football par le Qatar, Emmanuel Macron s’était engagé à ce que les travaux en France pour les JO de Paris se passent dans des conditions beaucoup plus humaines et à ce que les travailleurs ne soient pas exploités. Désormais, le New-York Times affirme que la France a exploité des milliers de travailleurs immigrés. Que sait-on du phénomène et de son ampleur ?

Patrick Stefanini : Commençons par rappeler qu’à chaque fois qu’il y a des grands chantiers, il y a aussi le risque que des travailleurs immigrés soient embauchés de maière illégale. S’il est vrai que la législation française contre le travail illégal a été durcie ces quinze dernières années, il serait naïf de penser que cela n’arrive jamais. S’agissant de travailleurs étrangers, les employeurs ont l’obligation de se rapprocher de la préfecture pour s’assurer que la personne qu’ils envisagent d’embaucher est bel et bien porteuse d’un titre de séjour et d’une autorisation de travail en bonne et due forme. C’est une obligation légale et tout laisse à penser que la plupart des grandes entreprises s’y soumettent, au moins pour des raisons d’image sociale, de prestige, mais aussi pour éviter de potentielles poursuites pénales ou des amendes dont le montant peut être considérable. 

Malheureusement, certains utilisent des alias pour contourner cette législation. Parce qu’ils ont plusieurs identités, l’identité réelle de ces travailleurs peut s’avérer très difficile à établir et il n’est alors pas simple de savoir que la personne embauchée n’a en vérité aucun titre de séjour, aucune autorisation de travail. Elle se présente parfois devant l’employeur avec un document qui n’est pas nécessairement le sien. Ce phénomène des alias peut permettre à des travailleurs clandestins et parfois à des employeurs peu scrupuleux (quoique la majorité soient des victimes de ce problème) de contourner la loi. Par définition, ce sont les employeurs qui sont supposés procéder aux vérifications demandées par la loi et, la plupart du temps, ils butent sur le fait que la préfecture ne voit pas la fraude et leur donne le feu vert. Gardons en tête que dans certains des pays d’Afrique – et notamment en Afrique subsaharienne – l’Etat civil n’est pas nécessairement aussi performant qu’en France ou que dans le reste de l’Europe et il peut donc être très difficile de retrouver l’acte de naissance de quelqu’un. 

Si ce phénomène existe en France, c’est bien parce que notre pays fait face à d’autres problèmes de fond. Le niveau des charges sociales, d’une part, mais aussi parce qu’il y a une très grande pénurie de travailleurs. C’est une réalité que l’on observe pour de nombreux métiers pénibles, comme cela peut être le cas dans le cadre du bâtiment et de la construction, en raison des conditions météorologiques, des conditions physiques, du salaire notamment. Employer de manière irrégulière des travailleurs étrangers, c’est souvent payer des salaires moins élevés, pas de charges sociales, des salaires moins élevés et une main d'œuvre – en situation régulière ou supposée régulière – plus disposée à exercer ce type de métier. Ce sont, me semble-t-il, les trois facteurs qui peuvent pousser des employeurs à avoir recours à des travailleurs étrangers en situation irrégulière.  

Notons également que la comptabilité qu’évoque l’article du New-York Times a quelque chose de frappant : elle est sordide, un peu médiocre en cela qu’elle conduit à compter certains immeubles comme participants aux Jeux Olympiques et d’autres immeubles non. C’est une discussion complexe, mais le cas d’un hôtel en particulier est évoqué. Les éventuels accidents survenus sur ce chantier n’auraient pas été comptabilisés. Celui-ci, rappelons-le, était déjà construit et le chantier consistait, à priori, à le moderniser. Il est impossible de savoir si ces travaux auraient eu lieu s’il n’y avait pas eu les Jeux Olympiques. 

Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’enjeu, pour la France en tant que nation et pour ce gouvernement, est très important. En matière de réputation, il est tel que l’on peut penser que les pouvoirs publics ont contrôlé assidûment les entreprises concernées, d’autant plus que cela n’était pas nécessairement très compliqué à réaliser : il s’agissait de cibler les entreprises qui participent à des chantiers labellisés par le Comité organisationnel des Jeux Olympiques (COJO) pendant toute la durée des travaux. 

D’après le New-York Times, les cas des travailleurs immigrés qui ont été exploités ou blessés n’ont pas été comptabilisés dans les statistiques officielles. Comment l’expliquer, au juste ? Que faut-il en déduire ?

Cela s’explique, je pense, par l’enjeu statistique et réputationnel que cela représente et que nous venons d’évoquer. Les pouvoirs publics, il faut bien le dire, sont responsables des ouvrages qu’ils ont commandés. D’un côté, il y a le COJO, dont nous avons parlé, et de l’autre il y a aussi la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), qui a été chargée de la réalisation de la plupart sinon la totalité des ouvrages liés aux Jeux olympiques. Très probablement, les pouvoirs publics ont considéré que tout ouvrage commandé par Solideo et réalisé conformément à un cahier des charges arrêté par cette société constituait un chantier rattaché à l’organisation des JO. En bonne logique, ils étaient donc comptabilisés dans les statistiques relatives aux accidents du travail. 

A côté de cela, néanmoins, il y a aussi des constructions qui ne se seraient peut-être pas faites sans les Jeux Olympiques mais qui ne correspondent pas nécessairement à des bâtiments, des ouvrages ou des infrastructures commandées par Solideo à proprement parler. Dans ce cas de figure, qui semble être celui de l’hôtel évoqué par le New-York Times, on peut entendre que les chiffres ne soient pas comptabilisés. 

La toile de fond de ce phénomène, nous l’avons déjà dépeinte : c’est la pénurie de main d'œuvre à laquelle la France est confrontée depuis quinze ou vingt ans et qui était autrefois concentrée sur certains métiers spécifiques. Le secteur du bâtiment, celui des travaux publics, mais aussi les métiers de l’hôtellerie, de la restauration et du nettoyage étaient les plus concernés. Dorénavant, c’est une réalité qui touche la plupart des secteurs de l’économie française et qui constitue un véritable obstacle à l’accélération de la réindustrialisation de la nation. C’est pourquoi on cherche par tous les moyens à faire venir une main-d'œuvre étrangère, en provenance notamment du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne. Les Jeux Olympiques, en région parisienne notamment, ont accentué ce phénomène et c’est bien pour cela que le ministère de l’Intérieur prévoyait, dans le cadre de la loi Immigration, la possibilité pour les préfets de régulariser les travailleurs étrangers intervenant sur des métiers en tension. Le gouvernement en viendra d’ailleurs certainement à actualiser la liste des métiers en tension pour mieux l’adapter à la réalité des besoins économiques du pays. Ne perdons pas de vue que la France distribue environ 50 000 titres de séjours liés à un motif de travail par an. A titre de comparaison, ce chiffre oscillait entre 15 000 et 20 000 par an il y a quelques années. 

Peut-on légitimement comparer la France au Qatar, en matière de tenues des travaux, compte tenu des éléments dont nous disposons ? Quels sont les garde-fous qui existent en France et qui n’existaient pas au Qatar ?

Sans nier la réalité du phénomène décrit par le New-York Times, force est de constater que la situation au Qatar et celle en France n’ont effectivement rien à voir. Le Qatar, comme la plupart des États du Golfe, s’appuie sur une économie extrêmement prospère, s’appuyant en grande partie sur une population d’origine étrangère pour ce genre de main-d'œuvre. Les travailleurs en question viennent pour la plupart d’Asie, notamment du Pakistan ou du Bangladesh. Les conditions de travail et de séjour n’ont rien à voir avec celles que l’on observe en Hexagone, où des contrôles réguliers sont appliqués et ou la loi a d’ailleurs été plusieurs fois durcie ces dernières années. Gérald Darmanin n’a pas seulement ouvert la porte à la régularisation des salariés étrangers en situation irrégulière exerçant des métiers en tension : il a aussi considérablement renforcé les sanctions pour les employeurs employant une main d'œuvre illégale. 

Un certain nombre de travailleurs immigrés auraient décidé de s’attaquer juridiquement aux entreprises qui les employaient. Que faut-il attendre de telles procédures, selon vous ?

Ce sont des procédures, me semble-t-il, qui ont des chances d’aboutir. La CGT s’est faite, depuis des années déjà, le gardien des salariés étrangers en situation irrégulière. Elle travaille activement pour obtenir la régularisation de ceux qui sont parfois employés au noir et constitue désormais un interlocuteur reconnu par les pouvoirs publics sur ce sujet. Si les travailleurs en question sont appuyés par les syndicats, ils pourront peut-être obtenir gain de cause, mais ce ne sera pas chose facile compte tenu des incertitudes qui peuvent peser sur leur identité réelle et que nous avons évoquées.

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