Contestation
L’évolution naturelle des universités et grandes écoles face à l’obscurantisme militant
La contestation contre le partenariat entre l’Ecole Polytechnique et LVMH révèle une profonde méconnaissance des réalités académiques et économiques que de nombreux pays, y compris en Europe, ont assimilé depuis des décennies.
Le 9 novembre, une cinquantaine de personnes, essentiellement des anciens et actuels Polytechniciens, des riverains et quelques élus, se sont mobilisées contre le chantier à trente millions d’euros, engagé par LVMH dans les bâtiments de l’ex-école Polytechnique, dans le cinquième arrondissement de Paris. Si la manifestation était teintée de vert - les protestations concernaient essentiellement la destruction d’un jardin protégé au sein de l’établissement dont un arbre centenaire -, pointait derrière ces arguments la dénonciation d’une volonté du groupe de luxe de pénétrer les rouages d’une grande école publique.
Passons rapidement sur l’élan écologiste de la manifestation. La question environnementale a toujours été centrale dans la définition et l’évolution du projet de rénovation. Le bâtiment futur respectera évidemment les normes les plus strictes en matière de respect de l’environnement et des émissions de CO2. Quant au tilleul centenaire, il devrait être simplement déplacé et plusieurs autres arbres seront plantés dans le jardin carré.
Il est en revanche plus intéressant de s’attacher à la contestation de fond. En clair, il est reproché à LVMH de privatiser l’excellence académique française. Quand bien même, le lieu est appelé à devenir un centre de conférence international, propriété de l’École polytechnique, répondant aux meilleurs standards internationaux. Situé au cœur de Paris, ce centre devrait permettre de renforcer le rayonnement intellectuel et scientifique français en accueillant des colloques, conférences et symposiums internationaux régulièrement organisés ou hébergés par l’École, des événements du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et certaines manifestations de l’association des anciens de l’X (AX) et de la fondation de l’X.
Bref, derrière la critique anticapitaliste habituelle chez certains activistes, on note surtout une incompréhension profonde des impératifs modernes du monde universitaire, où le partenariat entre les institutions académiques et les grands groupes privés offrent de nombreux avantages mutuels significatifs.
Le financement des universités par des grands groupes privés permet ainsi une alternative cruciale aux sources de financement traditionnelles, telles que les subventions gouvernementales. En diversifiant leurs sources de revenus, les universités deviennent moins dépendantes des fluctuations budgétaires gouvernementales (ce qui arrive fréquemment dans un pays où l’État est surendetté) et peuvent investir davantage dans des programmes novateurs et des installations de pointe.
De plus, les grands groupes privés apportent souvent une expertise spécialisée dans des domaines tels que la technologie, la santé, l'ingénierie, etc. En finançant des départements ou des chaires spécifiques, ces entreprises contribuent à la formation d'une main-d'œuvre hautement qualifiée, alignée sur les besoins spécifiques de l'industrie.
Enfin, les grands centres d’enseignement sont aujourd’hui des marques en concurrence à l’échelle mondiale. Ils se doivent donc de soigner leur image et leur capacité de séduction, en attirant des événements et des personnalités permettant un rayonnement maximal. La présence d'universités et de grandes écoles de renom, financées par les fleurons industriels locaux, attire également les investissements étrangers. Les entreprises internationales cherchent à établir des partenariats avec des institutions éducatives réputées, créant ainsi des opportunités de collaboration.
Ce fonctionnement gagnant-gagnant n’est en rien nouveau. Il est un moteur naturel d’un développement équilibré et il est assimilé et respecté comme tel dans de nombreux pays. Quand on l’évoque, on pense évidemment aux États-Unis, où les institutions académiques les plus réputées, comme Harvard, attirent de nombreux investisseurs soucieux de voir leur image liée à la réputation d’excellence de l’établissement.
Mais il existe aussi, à moins de quinze kilomètres de la frontière française, un prestigieux exemple de ce système. En Suisse, sur les rives du Léman et face aux Alpes, l’immense campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) constitue un impressionnant pôle d’enseignement et de recherches bénéficiant de près d’un milliard d’euros de budget. Classé au septième rang des universités européennes (classement d’où les instituts français sont étrangement absents…), l’EPFL jouit d’une solide notoriété et continue à travailler sur son attractivité en nouant de fructueux partenariats avec d’importants groupes privés, dont les poids lourds locaux. Logitech y a installé l’un de ses trois sièges sociaux. Le Nestlé Institute of Health Sciences (NIHS) y accueille depuis 2012 plus de cent scientifiques se concentrant sur les liens entre nutrition et maladies chroniques. Quant à l’horloger Rolex, il y a financé en 2010 un immense bâtiment - les courbes et volumes, imaginés par le bureau japonais d’architecture Sanaa, diffèrent des bâtiments traditionnels vaudois - qui abrite une bibliothèque, un centre d’échanges culturels mais également des boutiques et des restaurants. L’attraction de l’EPFL dépasse aujourd’hui le cadre académique, comme le prouve la volonté affichée en 2018 de la RTS d’y implanter ses locaux, pour baigner dans un cadre favorable aux innovations technologiques.
On le comprend, la présence et l’appui de grands groupes industriels ont transformé une grande école et sa région en un catalyseur d’énergies, moteur de développement. Voir un des fleurons industriels nationaux investir dans l’essor académique de son pays et participer à améliorer l’attractivité de sa capitale devrait être un motif naturel de satisfaction. La contestation parisienne contre l’implication de LVMH dans le développement de Polytechnique semble appartenir à un autre espace-temps, dans lequel se perd l’enseignement français depuis trop longtemps.
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