Inégalités : patatras, une étude américaine ATOMISE les données de Piketty et Saez sur les revenus des 1% les plus riches aux Etats-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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Thomas Piketty lors d'une séance photo pour l'AFP.
Thomas Piketty lors d'une séance photo pour l'AFP.
©JOEL SAGET / AFP

Un mythe s’envole

Une récente étude de Gerald Auten et David Splinter contredit l’analyse de Thomas Piketty et d’Emmanuel Saez sur les inégalités et sur les revenus aux Etats-Unis. Vincent Geloso, dans un article publié dans Economic Inquiry, a également décrypté les failles dans les calculs et les bases de données de Thomas Piketty.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Vincent Geloso

Vincent Geloso

Vincent Geloso est professeur adjoint d’économie à George Mason University. Auparavant, il était chercheur postdoctoral à la Texas Tech University. Vincent Geloso est titulaire d’un doctorat en histoire économique de la London School of Economics and Political Science et d’une maîtrise en histoire économique du même établissement. Ses articles scientifiques ont été publiés dans Economic Inquiry, Public Choice, Health Policy & Planning, la Revue canadienne d’économie (CJE), Economics & Human Biology, Southern Economic Journal, Research Policy, European Journal of Law & Economics, International Review of Law & Economics et The Journal of Economic History. Il est également l’auteur du livre Du Grand Rattrapage au Déclin Tranquille, sur l’histoire économique du Québec depuis 1900, publié en 2013.

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Atlantico : Une étude de Gerald Auten et David Splinter (Income Inequality in the United States: Using Tax Data to Measure Long-Term Trends) publiée dans Journal of Political Economy décrypte la réalité des inégalités. En quoi cette étude contredit l’analyse de Thomas Piketty et d’Emmanuel Saez sur les inégalités et sur les revenus aux Etats-Unis ? Est-ce que le mythe de la théorie de Thomas Piketty vole en éclats ?

Vincent Geloso : Ce n’est pas la première étude qui attaque la présentation des faits proposés par Piketty, Saez et Zucman. Il s’agit probablement de la trentième. Cependant, il s’agit de la première qui propose une série alternative post-1960 qui peut être utilisée facilement par les universitaires. Cette étude complète un article que j’avais co-écrit dans Economic Journal et qui propose une série alternative pour les années antérieures à 1960. Au regard de ces travaux, on voit que les inégalités sont toujours plus basses que les estimations de Piketty et consorts. Toujours ! L’évolution est différente aussi – le nivellement des inégalités dans la première moitié du 20ème siècle est plus modeste et se produit largement entre 1929 et 1941. C’est-à-dire pendant la Grande Dépression. En sus, le plancher de 1950-1975 n’est pas aussi bas que relativement au pic de 1929 que dans la série de Piketty. Finalement, l’augmentation des inégalités dans la seconde moitié du 20ème siècle (avant les transferts fiscaux) se produit largement entre 1980 et 1995 et il n’y a pas d’augmentation depuis.

De plusieurs manières, les travaux de Piketty et ses collègues volent en éclat. Au début, ils disaient que les inégalités ne cessaient d’augmenter depuis 1980, que les États-Unis étaient le pays le plus inégalitaire et qu’on dépassait les niveaux des années folles. Ils disaient aussi que le nivellement s’est produit en raison des impôts élevés sur les riches et que les augmentations survenaient lorsque les impôts baissaient. Toutes ces affirmations sont maintenant invalidées et démantelées. Les changements combinés par Auten et Splinter dans Journal of Political Economy et les nôtres dans Economic Journal montrent que le niveau d’inégalités aux États-Unis est exagéré. On voit aussi que les années 1920 n’étaient pas une période de grande inégalité. Que le nivellement n’était pas le grand succès proclamé par Piketty mais plutôt un modeste succès. Mais surtout, il n’y a plus de lien fort entre les changements de taxes et les inégalités. Ce lien est éclipsé par des facteurs plus mondains comme la mobilité géographique des individus aux États-Unis et la convergence entre régions. Aussi, la Grande Dépression explique la majorité du nivellement via l’érosion des gains en capital. Mais surtout, le reste du nivellement s’explique par des changements bien plus importants que la taxation – l’émancipation des femmes, la montée des droits civiques des minorités et l’élimination des lois discriminatoires dans le Sud des États-Unis.

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En 2013, Thomas Piketty prédisait que l’augmentation inexorable des inégalités entraînerait la chute du capitalisme. Ce fut aussi l’année où elles cessèrent de croître…

Et c’est ici qu’on voit un comportement très décevant de la part de Thomas Piketty – il esquive. Il dit simplement qu’on ne peut nier l’augmentation des inégalités. Aucune des critiques de Piketty ne nie l’augmentation relativement à 1980. La critique est liée aux propositions de politiques publiques qu’il dérive des estimations trompeuses qu’il a produites. Il est malhonnête d’agir ainsi alors qu’il sait pertinemment que personne ne nie l’augmentation. Il va même plus loin – il traite ses critiques de négationnistes (un terme chargé et violent que seuls les politiciens utilisent).

Pierre Bentata : La méthode de calcul des revenus et donc des inégalités de revenus dans le temps long de Piketty et Saez est invalidée par ces études. Plusieurs travaux de recherche avaient déjà été publiés, notamment par François Geloso, et ils démontraient la même chose. Cette nouvelle étude montre bien que les inégalités de revenus ont globalement stagné et que les calculs que vont faire Piketty et Saez reposent sur une surestimation des revenus des plus riches. Pour de nombreuses raisons, il y a une multitude de biais. Nous ne pouvons pas considérer que c’est volontaire car l’objet de l’étude laissait de nombreuses possibilités de biais. Lorsque des données de revenus sont étudiées sur du temps très long, il convient d’examiner les données fiscales, c’est-à-dire l’ensemble des transformations de la fiscalité. Cela concerne aussi les changements d'assiette.

La grande hétérogénéité des données rend très difficile la comparaison d’une décennie par rapport à une autre. Lorsque l’étude est à très long terme, comme celle du capital remontant à l'Antiquité, le risque de surestimation des écarts et donc d'erreur est très important.

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A contrario, l’étude du Journal of Political Economy permet de corriger l'ensemble de ces biais possibles grâce à une méthode qui est plus précise. Au lieu d’avoir un gigantesque écart de revenus qui se creuse, le revenu des plus riches stagne par rapport au reste de la population.

Comme toujours, ces constructions de données biaisées n’invalident pas le modèle de l’étude. Mais il faut faire très attention aux données qui sont fournies par Piketty, car le creusement des inégalités dont il nous parle est illusoire. La suite de sa théorie est contredite par une autre théorie publiée récemment par Gomez et Gouin-Bonenfant. Elle vient d’une autre excellente revue, Econometrica, qui est une des deux plus grandes revues en économie. Selon ces travaux, les plus riches s'enrichissent davantage quand le taux de rendement du capital est inférieur au taux de croissance, c'est-à-dire quand R est inférieur à G.

Quant à l’étude de Piketty, tout le travail consiste à montrer que comme le taux de rendement du capital R est supérieur à G, les plus riches qui ont accès au capital s'enrichissent plus vite. Le fait d'avoir une analyse sur les revenus erronée et d'avoir une conclusion qui est contredite par un article qui est publié dans une des deux meilleures revues du monde, interroge sur la pertinence de l'ensemble des travaux de Thomas Piketty sur sa théorie. Les données sont erronées ou tout du moins contredites et la conclusion est aussi contredite.

Qu’est-ce que révèle l’étude américaine sur la part des revenus des 1 % des plus riches par rapport à la réalité des 1 % post impôts et post transferts ?

Vincent Geloso : Après impôts et transferts, les inégalités n’ont virtuellement pas changé depuis 1960. C’est assez intéressant comme trouvaille. Il faut comprendre que les inégalités avec les revenus de marché (i.e., avant transferts et impôts) montrent une hausse modeste depuis 1980. Simultanément, la taille de l’État a diminué depuis 1980. Ainsi, malgré la hausse des inégalités avec le revenu de marché et la diminution de la taille de l’État, les inégalités post-transferts et impôts sont restées stables. L’État-Providence américain a donc mieux réussi que ne le laisse sous-entendre Thomas Piketty et ses acolytes.

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Pierre Bentata : Nous observons la même tendance en France. D’abord, notre système redistributif fonctionne très bien. La croissance des revenus avant impôts depuis les 70 dernières années, augmente à peine plus pour les 1 % les plus riches que le reste. Cependant, en comparant les revenus après impôts et transferts, le rapport a stagné et même baissé en France.

Donc s’il peut y avoir des désaccords sur le fonctionnement de l’impôt ou sur son rôle, il faut reconnaître que la redistribution est très bonne. Elle permet aux revenus les plus riches de stagner et donc de profiter aux autres. 

Est-ce que les différences de méthode expliquent les différences d’analyse sur les inégalités notamment par rapport à l’âge d’or de l’égalité dans les années 60 ?

Vincent Geloso : Absolument ! Voyez-vous, il faut comprendre que Piketty et ses comparses sonnent les cloches des hausses d’impôts pour combattre les inégalités. Pour ce faire, ils utilisent constamment l’âge d’or des années 1950-1970. Cependant, les corrections offertes ne leur permettent plus de faire cela. Premièrement, le plancher des inégalités de cet âge d’or n’est pas aussi bas. Ils exagèrent donc le nivellement. Deuxièmement, la période 1950 à 1970 est marquée par une augmentation importante de la taille de l’État avec absolument aucun changement dans le niveau d’inégalité (tant au titre des inégalités avant et après impôts et transferts). Autant dire que les politiques sociales que les impôts devaient financer n’ont pas générées les résultats avancés. Troisièmement, la grande partie du nivellement s’est produit pendant la Grande Dépression avec l’érosion des gains en capital. Il est dur de se réjouir d’un nivellement des inégalités qui s’est produit lors d’une période durant laquelle tout le monde s’appauvrissait. Quatrièmement, il faut aussi considérer des travaux récents comme ceux de Sylvain Catherine de l’Université de Pennsylvanie. Ce dernier a démontré que lorsqu’on tient compte de la valeur des régimes de retraite publics (i.e., la sécurité sociale américaine) dans les calculs d’inégalité, on voit que le niveau est demeuré stable depuis les années 1960. Ceci implique que le programme gouvernemental qui a eu le plus d’effets pour contrôler les inégalités est celui du régime de retraite public. Ce ne sont pas les impôts massifs sur les riches.

Il faut ajouter que n’importe quel économiste, qui refuse de s’abreuver des points de vue politiques et historiques (de gauche comme de droite), aurait pu réaliser ce que je viens de décrire. L’État est immensément capable de promouvoir la mobilité sociale avec des programmes très modestes et ciblés sans établir des taux d’imposition élevés ou de surréglementer l’économie. Les travaux d’économistes et sociologues de gauche comme de droite comme Peter Lindert, Peter Berger, Milton Friedman, Finis Welch, et bien d’autres ont mis en avant des preuves empiriques qui sous-tendent cet argument.

Il est peut-être temps de réaliser que Thomas Piketty possède une mono-obsession sur le « remède » (s’il en est vraiment un) des impôts sur les nantis. Une mono-obsession qui ressemble à celle des conservateurs américains qui pensent que baisser les impôts peut régler le déficit fiscal. Une mono-obsession qui est bien puérile.

Pierre Bentata : Certes, les différences de méthodes modifient les conclusions mais elles traduisent aussi la façon de prendre les données et de les compiler. Cela fait montre d’une approche idéologique complètement différente. Elle n’apparaît pas directement dans Le Capital de Piketty, mais c’est limpide dans son dernier livre publié avec Julia Cagé.

En comparant les deux ouvrages, nous pouvons facilement deviner l’objectif éminemment politique derrière la méthode. Je vous en donne un exemple dont Julia Cagé a beaucoup parlé, donc ils l’assument parfaitement. Elle en a parlé récemment sur une chaîne sur YouTube.

Elle explique que la fiscalité est aujourd'hui favorable aux plus riches. Elle donne le cas de la déduction fiscale : « quand vous faites un don à une organisation, dit-elle, une ONG ou un parti politique, c'est le contribuable qui paye 75 % de votre don. » Cela signifie que dans leur esprit, le revenu appartient nécessairement au public et qu'il en fait don en partie au privé. Cette conception des choses est profondément communiste.

Selon ce même paradigme, lorsqu’une personne ne paye pas d’impôt, cela signifie que c'est l'État qui a payé. En définitive, tous les revenus appartiendraient à l'ÉtatIls considèrent que n'importe quel type d'inégalité de revenus doit être mécaniquement corrigé par l'État. Cette correction viendrait pallier une défaillance de redistribution, étant donné que tout l'argent appartient au départ à la même personne : l'État. Voilà le biais. Dans ce cas, l’unique objectif est d’établir des revenus égaux, sans s’interroger sur les conséquences ou sur la source de ces inégalités. Le biais de fond, c'est de prouver absolument qu'il y a des inégalités pour montrer qu'il y a un problème.

Avec Phil Magness, John Moore et Phil Schlosser, vous avez revisité les estimations d'avant 1960 et découvert des erreurs, des hypothèses non fondées, des hypothèses fausses et d'autres problèmes similaires à l’analyse d’Auten et Splinter par rapport aux thèses de Thomas Piketty. Les inégalités n’étaient-elles pas aussi élevées que celles décrites par Thomas Piketty ?

Vincent Geloso : Non, elles ne l’étaient pas ! Elles étaient bien plus modestes ! Nous avons démontré – dans un article publié dans Economic Inquiry – que les données pré-1943 souffrent d’un grave problème. Voyez-vous, avant 1943, les déclarations fiscales étaient volontaires. Il n’y avait pas de retenues à la source. La qualité des informations fiscales est donc relativement faible – mais surtout chez les moins nantis et non pas chez les plus nantis. La petite bureaucratie fédérale américaine de pré-1943 se concentrait largement sur les plus fortunés et ceux-ci rapportaient leurs revenus bien plus fidèlement que les moins fortunés. Ces derniers, sachant qu’il y avait peu de chances qu’ils seraient soumis à des enquêtes fiscales, déclaraient des sommes plus petites afin de payer moins d’impôts. En utilisant les données des régimes fiscaux des Etats qui avaient leurs propres régimes d’imposition sur le revenu et qui étaient bien plus agressifs que la bureaucratie fédérale, nous avons découvert exactement cela ! En moyenne, les niveaux d’inégalités proposés par Piketty apparaissent surestimés d’environ 18% simplement en raison de la qualité des données.

Mais ce n’est pas tout. Nous avons aussi démontré que les choix qu’ils ont fait pour utiliser les données étaient problématiques. Piketty et ses acolytes ont commis de multiples erreurs de faits et de définitions. Ils ont aussi fait des choix arbitraires que les sources utilisées ne justifient pas. Notre long inventaire des erreurs commises par Piketty et Saez – publié dans Economic Journal – démontre que le niveau des inégalités proposé par Piketty est surestimé d’environ 20%.

Il est difficile de combiner les résultats des deux articles pour arriver à un taux global d’erreur de Piketty pour la période pré-1960 en raison de la qualité des données. Cependant, il est clair que l’erreur est plus grande que 20%, ce qui est, nous devons le reconnaître, une erreur assez importante.

Malheureusement, Thomas Piketty et ses collègues continuent d’ignorer les critiques. C’est assez triste.

Que pensez-vous de la récente étude de Vincent Geloso et d'autres auteurs comme Phil Madness qui ont revisité les estimations d'avant 1960.  Les inégalités n'étaient-elles pas aussi élevées que celles décrites par Thomas Piketty finalement ?

Pierre Bentata : Evidemment, comme toujours dans une démarche scientifique, il convient d’avoir plusieurs apports, plusieurs méthodes, plusieurs papiers publiés et d’avoir une discussion. Et notre discussion sur les travaux de Thomas Piketty nous permet d’identifier les problèmes de fond : le fait qu'il ne prenne pas les mêmes bases pour calculer les revenus en fonction des pays par exemple. Et en science, le fait de choisir les données qui vous arrangent s’appelle du « cherry picking ».

L’IREF avait sorti un excellent livre à ce sujet, avec des contributions de nombreux économistes et de membres de l'IREF. Entre la France et l'Angleterre par exemple, dans son ouvrage Le Capital, Piketty prend dans un cas les revenus fonciers et pas dans l'autre. C’est très étrange et cela n’a aucune légitimité économique. De la même manière, en réintégrant la totalité des revenus que l’IREF fournissait dans sa base de données et qu'il n’utilisait pas en totalité, le résultat était encore plus étonnant. D'après les données de Piketty, le taux de rendement du capital devenait égal au taux de croissance, sur le long terme. Ce résultat est exactement l'inverse de la conclusion de Piketty.

Donc il y a de tels biais, de telles zones d'ombre dans la façon d'exploiter les données et dans le calcul des données elles-mêmes, qu’il est parfois difficile de dire s'il y a un biais chez tel ou tel économiste. Ces études laissent beaucoup de place à l'idéologie. Il est donc nécessaire d'avoir un ensemble de méthodes. Mais le fait que soient publiés au même moment plusieurs articles qui viennent contredire, tant sur l'aspect théorique que sur l'aspect collecte de données, les travaux de Thomas Piketty, cela doit alerter la communauté scientifique et les médias afin d’arrêter de prendre pour argent comptant ce que nous dit Thomas Piketty.

La majeure partie du nivellement des inégalités d’avant 1960 ne s’est-il pas produit pendant la Grande Dépression, et non pendant la guerre contre la politique fiscale comme le soutient Thomas Piketty ? Cela était-il principalement dû à l’effacement des gains en capital ?

Vincent Geloso : Selon Piketty et son collègue Emmanuel Saez, la part des revenus des 1% des plus riches aurait chuté de plus de cinq points de pourcentage entre 1941 et 1950. C’est une réduction d’environ un tiers du niveau moyen (plus ou moins stable) de la période 1917-1941. Selon nos révisions, il y a une baisse continue de 1929 à 1941 de plus de cinq points. Entre 1941 et 1950, la part des plus riches a chuté d’un point de plus. Ainsi, selon Piketty et Saez, 100% de la baisse est liée à la Seconde Guerre Mondiale et ses politiques fiscales. Selon nos estimations, plus de 80% de la baisse s’explique par l’épisode de la Grande Dépression. Dans notre article publié dans Economic Inquiry, nous avons montré que la part du revenu des plus riches demeure stable lorsqu’on exclut les gains en capital. En somme, c’est l’effacement des gains en capital pendant la Dépression qui explique le nivellement. Si Piketty et Saez veulent se réjouir de ce fait, bien leur en fasse. J’admets avoir plus de difficultés à me réjouir de l’idée que les mieux nantis se sont appauvris plus que le reste de la population.  

Pierre Bentata : C'est encore une affaire d'études empiriques, purement scientifiques. Il faudrait davantage d'études pour trancher. Mais ce qu’observe l'étude publiée dans Econometrica, c'est en partie le fait que c'est bien dans les moments de crise que les difficultés se résorbent. C’est, d'une certaine façon, assez intuitif du point de vue économique. D’autant plus que ces observations étaient faites par des gens qui ne peuvent être accusés d'être des vrais libéraux. C’est le cas de Durkheim dans son ouvrage Le Suicide, où il observe que le suicide provient d'un sentiment profond d'inégalité. Et ce sentiment profond d'inégalité se matérialise par des suicides dans les périodes de forte croissance. Cela se comprend parfaitement dans une logique schumpétérienne : lorsque la croissance est très forte, il y a forcément un décalage entre ceux qui vont s'enrichir les premiers et les autres. C'est là que s'observe la plupart du temps l'inégalité. Et pas du tout dans des périodes de crise où mécaniquement l'effondrement, particulièrement dans des économies financiarisées, va toucher d'abord les riches. Et dans des périodes de relances de politiques monétaires, l'effet de l'inflation va aussi toucher les riches. Il y a donc de fortes chances que ce soit le phénomène de crise qui résorbe les inégalités. Dans ce cas-là, se pose la question d’avoir comme objectif, pour les politiques publiques, de résorber les inégalités. Est-ce que cela doit être une fin ou est-ce juste un moyen pour arriver à une autre fin ?

En suivant cette logique comme Thomas Piketty où l’on se focalise sur les inégalités, il y a le risque de perdre l'objectif en termes de politiques publiques. Il s’agit de celui des économistes qui travaillent dans ce domaine, à savoir lutter avant tout contre la pauvreté. Si les inégalités s'effondrent au moment où tout le monde est pauvre, il n’y a plus vraiment d'intérêt pour un économiste.

Vincent Geloso est professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et économiste sénior à l’Institut économique de Montréal.

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