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Il faut être « trop cynique » pour dire qu’il y a « trop de culture » en France
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Rigoureusement culturel

Plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer un certain nombre de subventions accordées aux musées ou au cinéma français. L'exception culturelle française est-elle menacée par la crise et l'équilibre budgétaire ?

Olivier Amiel

Olivier Amiel

Olivier Amiel est avocat, docteur en droit de la faculté d’Aix-en-Provence. Sa thèse « Le financement public du cinéma dans l’Union européenne » est publiée à la LGDJIl a enseigné en France et à l’université internationale Senghor d’Alexandrie. Il est l’auteur de l’essai « Voir le pire. L’altérité dans l’œuvre de Bret Easton Ellis» et du roman « Les petites souris», publiés aux éditions Les Presses Littéraires en 2021.

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Si un sujet a toujours réussi à bénéficier d’un de ces si rares consensus politiques français qui transcendent les lignes partisanes droite-gauche, c’est bien la culture. D’André Malraux à Jack Lang, contre vents et marées… et alternances, une singulière continuité gouvernementale a permis à ce qu’une politique culturelle cohérente basée sur la démocratisation et l’interventionnisme puisse être portée par l’ensemble des gouvernements de la Vème République.

Or, un discours pernicieux se fait entendre depuis quelques jours : il y aurait trop de culture en France.

Il y aurait tout d’abord trop d’expositions. Des propos dans ce sens sont largement repris dans les médias dont notamment Le Figaro (édition du 6 octobre), et tombent à point nommé pour justifier les baisses de subventions publiques accordées aux musées et lieux d’expositions par un Ministère de la culture chargé de participer à l’effort budgétaire national au nom de la politique de rigueur. Voilà un moyen astucieux de faire avaler la pilule de l’austérité au milieu muséal français : on baisse les subventions ? Oui, mais de toute manière il y a trop d’expositions… Il s’agit d’une erreur contraire à des années de volontarisme politique afin de faire découvrir les arts au plus grand nombre. Car en effet, la politique tarifaire pratiquée par les musées français permet une réelle démocratisation de la pratique culturelle, loin du faux semblant de la « gratuité » pratiquée dans les musées anglo-saxons avec des prix exorbitants pour les expositions temporaires et les nombreuses institutions privées…

Un exemple parlant de cette méprise actuelle réside dans la volonté d’arrêter la manifestation « Monumenta » qui permet chaque année à un prestigieux nom de l’art contemporain d’occuper la nef du Grand Palais pour une exposition spécialement conçue pour ce lieu. Il s’agit d’un succès populaire et critique incontestable : une moyenne de 270 000 spectateurs sur à peine plus d’un mois lors des deux dernières éditions, et surtout l’ouverture de l’art contemporain à un public plus vaste et varié. Pourtant, la manifestation a été considérée comme « coûteuse » et ne devrait pas avoir lieu en 2013. Un choix emblématique de cette politique de rigueur appliquée à la culture alors que « Monumenta » ne coûte que 5 millions d’euros par an, dont la moitié est prise en charge par les mécènes privés des artistes invités, soit seulement 2,5 millions d’euros à débourser par les institutions publiques, ce qui représente 25 minutes du paiement des seuls intérêts de la dette française…

Il y aurait également trop de films et trop de livres. Pour les premiers, c’est le Centre National de la Cinématographie qui fait récemment les frais d’attaques injustes car c’est oublier que notre mécanisme de financement public du cinéma sert de modèle au monde entier par un système d’autofinancement de l’industrie audiovisuelle qui a permis à cette dernière de résister à une globalisation voire un impérialisme d’Hollywood. En aidant à la production d’un nombre important de films en France, le CNC permet de maintenir l’activité de professionnels du secteur et la défense de la diversité culturelle par le vecteur de l’image.

En ce qui concerne les livres, la critique annuelle du nombre d’ouvrages publiés durant la « rentrée littéraire » est le fait de pisse-vinaigres qui feignent d’oublier que cette manifestation permet malgré tout, la médiatisation et la mise en avant de la littérature auprès de l’ensemble de la population.

Ceux qui affirment aujourd’hui avec un certain aplomb qu’il y aurait « trop de culture » en France cachent mal leur cynisme justifiant une politique de rigueur appliquée aux arts, et prennent le risque de développer une voie libérale contraire à notre tradition française, en faisant de la culture un luxe privé soumis à l’injustice de la reproduction sociale. La crise économique que nous traversons ne doit pas permettre une remise en cause de notre politique culturelle. Sainte-Beuve considérait que « quand la société a tant à lutter pour subvenir au strict nécessaire, il peut arriver que le jour de la réparation se fasse longtemps attendre pour le superflu »… Sommes-nous prêts en France à considérer la culture comme superflue ? Espérons que non.

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