Grèce : la démocratie résistera-t-elle au chaos ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestations devant le Parlement grec à Athènes cet été.
Manifestations devant le Parlement grec à Athènes cet été.
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Tragédie

Après des manifestations regroupant près de 100 000 personnes et les émeutes de quelques centaines de jeunes cagoulés, le gouvernement grec a décidé d'anticiper les élections législatives. Une stratégie de la dernière chance ?

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre est maître de conférences à l'INALCO, spécilisée en civilisation de la Grèce. Elle est notamment l'auteur de La Grèce inconnue d'aujourd'hui, de l'autre côté du miroir, l'Harmattan 2011, 252p. En collaboration avec 4 doctorants ou docteurs de la section grecque de l'INALCO.

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Atlantico : La Grèce connaît une vague d’émeutes après le vote de la rigueur par le parlement. Qui sont ces Grecs qui se rebellent ?

Joëlle Dalegre : Pour l’instant on ne peut pas identifier de mouvements, les auteurs  agissant à visages couverts, ils sont encore inconnus. Toutefois, une centaine de personnes a été arrêtée, cela devrait donner des informations sur le profil des émeutiers.

Pour l’instant, l’extrême-gauche est accusée par la police d’être à l’origine des révoltes. De son côté, elle rétorque qu’il s’agit de provocateurs envoyés par la police. Quoiqu’il en soit, les vrais activistes sont en réalité assez peu nombreux, tous assez jeunes. Les autres,  même s’ils sont peu portés à la violence, laissent faire. Cela traduit la colère intérieure et la frustration que beaucoup de Grecs ressentent.

Il y a toujours eu une école anarchiste assez forte en Grèce, comme dans tous les pays méditerranéens. Mais il n’est pas certain que les lanceurs de cocktails Molotov ces derniers jours soient réellement des anarchistes. On peut se demander si ce ne sont pas juste des furieux désespérés qui ne sont pas menés par une conscience philosophique ou politique très poussée.

L'ensemble de la population soutient-il ces mouvements ? 

Personne ne soutient le fait de brûler les magasins, les banques et les bâtiments officiels. Dans l’ensemble les gens sont plutôt tranquilles et tout le monde regrette l’image que cela donne des Grecs. Ils s’inquiètent des conséquences sur le tourisme. Les Grecs sont sans doute à la fois exaspérés et désespérés. Depuis le mois de mai, la Grèce est sous tension et nombreux sont ceux qui pensent que le pays est au bord de l’explosion.

Pourquoi s'étonner si les plus jeunes ont un sursaut de fureur ? Les chômeurs grecs sont passés d'un peu plus de 500 000 personnes en novembre 2009 à plus d'un million en novembre 2011 (chiffres officiels de l'ELSTAT) soit 20% des actifs, le chômage touche 48% des jeunes de moins de 25 ans (et plus encore les jeunes filles), les diplômés universitaires voient se fermer devant eux la médecine, l'enseignement qui ne recrutent plus, les commerces qui ferment... et quand on parle de fixer le Smic brut à 580 euros (soit environ 480 net), on précise que pour les jeunes de moins de 25 ans, on peut descendre légalement en dessous des 500 euros bruts ! 

On note également une baisse des salaires et des retraites, un chômage en hausse rapide, des loyers impayés et des commerces fermés,  la mise en place d'un impôt foncier et d'une sorte de CSG, le passage de la TVA au taux maximum autorisé sur tous les produits, l'essence la plus chère d'Europe et la hausse de la vignette automobile (au point que des milliers de personnes ont remisé leur voiture et remis leurs plaques d'immatriculation à la police pour ne plus avoir à payer). On a même vu des appels de Médecins du Monde sur les chaînes de télévision pour récolter de l'argent et des produits alimentaires, la multiplication des sans-logis et des mendiants dans les rues des grandes villes...

La situation risque-t-elle, selon vous, de dégénérer ?

Le nouveau plan d'austérité a été voté à une immense majorité ce dimanche, c’est nouveau. Mais il ne faut pas oublier que des députés ont refusé de le voter quitte à être exclu de leur parti, des ministres ont démissionné plutôt que de participer à ce gouvernement. Certains d’entre eux ont clairement expliqué leurs convergences, contestant l’efficacité des plans d’austérité et promettant déjà un prochain plan d’austérité. Les quatre ministres d’extrême droite qui ont démissionné ne supportaient pas l’idée d’être à ce point mis sous tutelle étrangère.

Cette position intervient notamment après la proposition allemande d’établir un commissaire spécial chargé de surveiller l’évolution de la situation en Grèce. Cette proposition s’ajoute à l’existence d’une commission composée de 45 spécialistes européens, chargés de vérifier en permanence l’application des mesures d’austérité. Cette situation est difficile à digérer pour tous les Grecs et la situation peut expliquer que le gouvernement se sente obligé d’annoncer qu’il y aura des élections anticipées. Mais on peut se demander comment et pourquoi les gens vont voter.

Le gouvernement a, en effet, annoncé lundi des élections législatives anticipées pour avril. A quoi peut-on s'attendre pour ce scrutin ?

Cela pourrait profiter aux deux extrêmes mais pas, pour autant, suffire à les faire accéder au pouvoir. Les dernières élections ont certes permis à l’extrême droite, pour la première fois, d’entrer à l’Assemblée et au gouvernement. Pour autant, les deux grands partis resteront les partis les plus importants. Toutefois, comme ils ont tous les deux accepté de voter le mémorandum, les électeurs n’ont plus tellement de choix – d’autant plus qu’aucun parti ne prétend le renégocier. Ce sont peut-être les abstentionnistes qui risquent de gagner.

Peut-on imaginer l’accession au pouvoir d’un nationaliste, prônant la sortie de l’euro et faisant défaut sur la dette ?

Il y en a pour le dire mais les Grecs font l’objet d’une campagne massive visant à expliquer les conséquences d’une sortie de l’euro ; cette campagne dissuasive est efficace. En mai 2010, on a expliqué aux Grecs que, moyennant quelques durs sacrifices, leur pays serait sauvé et que, rois de l'évasion fiscale, ils devaient payer leurs erreurs... Certains ont accepté le deal, mais,  trimestre après trimestre, chacun a constaté que la situation était loin de s'améliorer :  le PIB ne cessait de diminuer alors que la dette grandissait par simple calcul mathématique, et de nouveaux plans « de sauvetage » sont apparus, chaque fois insuffisants avant même d'entrer en application, chaque fois associés à des diminutions de ressources pour les particuliers, chaque fois liés à des contrôles de plus en plus étroits des organismes prêteurs étrangers.

Pendant ce temps, quelques mauvais payeurs-recordmen ont été spectaculairement arrêtés, puis libérés sous caution tandis que le salarié déclaré, -impôt retenu à la source sur salaire- continuait de payer. Tout cela pour aboutir à un nouveau « plan de la dernière chance ».

Les officiels se sont acharnés à expliquer aux citoyens que le refuser, c'était quitter l'euro, donc périr : plus de retraites, plus d'argent pour payer les salaires des enseignants, du personnel hospitalier, une dévaluation qui réduirait à néant les économies, l'exclusion de l'Europe, la honte face au reste du monde... Athènes a 4 millions d'habitants, mais seuls 100 000 ont trouvé encore le courage de manifester tandis que les autres, résignés choisissaient de subir une mort silencieuse.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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