Cette solution pour redresser les finances publiques à laquelle personne ne pense en France<!-- --> | Atlantico.fr
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« Je maintiens l'objectif de repasser sous les 3% en 2027 », a assuré le ministre de l’Économie Bruno Le Maire mardi, après l’annonce de l’Insee qui fixe le déficit public de la France à 5,5% du PIB en 2023.
« Je maintiens l'objectif de repasser sous les 3% en 2027 », a assuré le ministre de l’Économie Bruno Le Maire mardi, après l’annonce de l’Insee qui fixe le déficit public de la France à 5,5% du PIB en 2023.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Alerte rouge

L’absence de croissance est un problème conséquent pour les finances publiques françaises.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : L’absence de croissance est un problème conséquent pour les finances publiques françaises. L’exemple américain semble montrer, cependant, qu’il est possible de la retrouver. En quoi appeler la croissance de ses vœux ne relève pas nécessairement de la pensée magique ?

Don Diego de la Vega : L’exemple américain est à double tranchant. Il montre en effet que la croissance peut revenir mais avant tout qu’elle ne se décrète pas. Il ne suffit pas d’un décret de Washington pour retrouver la croissance et la Fed ne peut pas l’invoquer sur sa seule volonté. Rappelons également que le soubassement de la croissance potentielle américaine était considérablement plus importante aux Etats-Unis qu’elle ne peut l’être chez nous. Il ne faut pas non plus perdre de vue la façon dont cette croissance est ensuite réinvestie : les Etats-Unis en ont profité pour tomber plus encore dans l’excès budgétaire. Leurs déficits sont plus importants que les nôtres, ce qui signifie que la surcroissance  est payée par le contribuable. C’est une sorte de mouvement circulaire qui alimente la bourse, laquelle alimente ensuite l’effet de richesse et, in fine, produit ce que l’on appelle un effet “quality”. Tout ceci peut s’avérer positif, c’est certain, à condition de s’assurer que la croissance soit durable et stabilise les finances publiques.

Ce premier point étant évoqué, il va de soi que cela ne veut pas dire qu’il faut capituler sur l’idée que la réponse de premier ordre, pour la stabilisation des finances publiques pérenne, c’est le retour de la croissance. Et en particulier d’une croissance drive par les gains de productivité. Une croissance par le haut, en somme. C’est l’instrument de premier rang, la seule réponse d’un économiste convenablement éduqué aux sciences économiques. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut décréter et il faudra la réinvestir correctement si l’on espère stabiliser nos finances publiques. Il ne faut pas non plus qu’elle émane d’une augmentation des impôts : ce serait une croissance, certes, mais sale. Malheureusement, en France, nous avons souvent tendance à dilapider la surcroissance quand nous en avons.

Peut-on dire de l’absence de croissance, en France comme en zone euro, qu’elle ne relève pas de la malédiction mais plutôt du mal auto-infligé ?

C’est un problème, c’est vrai, qui est lié en partie à des taux d’intérêts trop hauts et à des taux de changes très élevés. Dès lors, c’est un mal qui relève au moins pour partie de la BCE. Pour ce qui est de la politique budgétaire, on peut lui reprocher beaucoup de choses mais on ne peut pas lui opposer le grief d’avoir été trop restrictive. Globalement, en France, cela fait des années que la politique budgétaire est très mal calibrée. C’est particulièrement vrai depuis le Covid. Notre politique budgétaire n’est pas bien financée, elle n’est pas crédible et elle vise souvent à sauver des canards boiteux. Elle est dispendieuse et malgré cela elle n’est pas respectée. Si nous nous sommes tirées des balles dans le pied, ce ne sont pas des balles d’austérité. Et c’est dans notre pied monétaire que nous nous les sommes tirées. Désormais il faut comptabiliser avec un taux d’intérêt à 4% alors que la croissance stagne à 0% depuis bientôt deux ans.

L’étendue des dégâts se voit bien du côté de l’immobilier, des crédits et de nombreux éléments spécifiques. L’industrie de moyenne gamme est particulièrement pénalisée, sans même parler d'autres soucis liés à la complexité ou la lourdeur réglementaire qui frappent la France et l’Europe. C’est vrai également du côté fiscal. Et ce sont sur ces derniers créneaux qu’il est le plus facile d’agir aujourd’hui, dans la mesure où nos politiciens ont décidé que le domaine monétaire était désormais hors de notre portée. Naturellement, c’est quelque chose qui mériterait d’être contesté puisque, rappelons-le, la BCE n’a guère que l’indépendance que nous lui prêtons. Il est légitime d’estimer que nous sommes des actionnaires que nous pouvons donc en reprendre partiellement le contrôle. Ou à tout le moins, la challenger davantage. Ceci étant dit, maintenant que nous avons refusé cette voie là, il ne nous reste guère que le volet réglementaire. Il faudrait donc procéder à des libéralisations sectorielles. Une libéralisation de l’offre reproductive, ce qui correspond à rendre le marché du travail plus fluide, même si malheureusement cela ressemble à un vœu pieux. Il y a malheureusement des pressions très fortes en faveur de l’alourdissement de la réglementation auxquelles il faut faire face.

Un choc de simplification serait en théorie une façon efficace de stimuler la croissance, mais je suis assez sceptique à ce sujet parce qu’il se trouve que nos administrations ont tendance à empiler du règlement sur le règlement. Nous avons trop de strates d’administration, trop de gens intéressés à la complexification de la réglementation parce qu’ils en vivent.

Pourquoi cet aveuglement français sur les erreurs macroéconomiques de pilotage de la zone euro et de l’économie française ?

C’est, indéniablement, une question très large. Plusieurs éléments de réponse, que nous avons d’ores et déjà abordés par le passé dans ces mêmes colonnes, permettent de l’expliquer. Il y a bien sûr l’espèce de prima du budgétaire qui s’accompagne le plus souvent d’une ignorance crasse de la politique monétaire, mais aussi le tabou de l’indépendance de la BCE ou celui de l’euro? Sans oublier l’aveuglement devant la notion de compétition administrative ou le fait, nous le disions, que dans l’esprit collectif on est soit communiste soit fasciste quand on ose toucher (ou penser à toucher) à la politique monétaire. Selon moi, c’est un aveuglement qui naît d’un fait simple : nous refusons toute forme de comparaison pertinente. D’aucuns pourraient en effet évoquer le cas des nations européennes qui ne font pas partie de l’euro. En général, elles s’en sortent plutôt mieux (pas nécessairement dans tous les domaines), comme l’illustre notamment le cas suisse. La Suisse ne fait pas face aux mêmes problèmes industriels que la France, par exemple. On pourrait également parler du cas norvégien, qui est un peu particulier parce qu’il est très lié aux hydrocarbures, ou le cas suédois qui a cela de particulier que la Suède avait procédé à d’importantes réformes avant de rejoindre l’Union européenne. Tout ou presque des pays européens qui ne sont pas dans le carcan BCE présentent une super-performance en comparaison aux autres.

Autre point essentiel pour bien comprendre notre situation : nous ne sanctionnons pas les erreurs. Pire ! Bien souvent, elles sont récompensées. Prenons l’exemple d’Elisabeth Borne. Pendant la période où elle a officié en tant que directrice du cabinet de Ségolène Royal, elle a tout fait pour que EDF désigne 24 réacteurs nucléaires à fermer. Il aura fallu moins de 10 ans pour tous les fermer. Quelques années plus tard, elle est devenue Première ministre. Ce problème ne se limite pas à la seule classe politique (il serait relativement aisé à corriger, sinon), mais il concerne aussi la classe administrative et pour résoudre ce problème il faudrait donc s’assurer que quiconque quitte le grand corps ne puisse simplement pas y revenir. Il faut rendre ce système plus concurrentiel. Ce n’est pas le cas pour le moment.

N’oublions pas non plus la logique décroissante qui touche beaucoup le milieu associatif et le milieu militant. Les représentants de cette idée s’organisent désormais en gros bataillons, en témoigne la présence parmi eux de Jancovici. Nos figures politiques ne sont pas touchées, notamment parce qu’elles comprennent bien qu’une réduction du secteur privée, ce qu’implique mécaniquement la décroissance, c’est aussi à terme une réduction du secteur public. Ce qui ne veut pas dire que ce modèle idéologique ne touche pas certains de nos secteurs clefs : il ne serait pas possible, par exemple, de prendre au sérieux les objectifs de l’accord de Paris sans recourir à la décroissance. Notre niveau de technologie ne nous permet pas, aujourd’hui, d’espérer une telle réduction de nos émissions sans en passer par un recul de l’activité et de la croissance. La capitulation vis-à-vis de la croissance est manifeste, elle est désormais perçue comme un sport de spectateurs, qui ne profite pas aux citoyens.

Au regard de l’ampleur du dérapage des finances publiques, est-ce qu’il n’est pas vain, aujourd’hui, d’imaginer qu’une logique de réduction des dépenses publiques puisse suffire ?

Cela reste un horizon tout à fait intéressant : la réduction des dépenses publiques c’est, fondamentalement, un gain de liberté pour l’ensemble des acteurs. Je ne veux pas d’une société où la dépense publique est déjà à 55% du PIB, c’est-à-dire quasiment au summum des pays de l’OCDE, et irait jusqu’à 60, 65 ou 70% à terme. Avant même de parler de gaspillage, avant même de parler de meilleurs utilisations des deniers publics, il faut aussi parler de liberté. Je pense à la liberté du citoyen ordinaire de ne pas tomber sous le coup de trois règlements et quatre directives tous les 100 mètres, mais je pense aussi aux mécanismes sociaux de base. Il faut pouvoir assurer certains services publics, qui visent à préserver les plus démunis. Or, pour garantir le bon fonctionnement de ces systèmes, il faut d’abord éviter les dépenses contre-productives… Au risque sinon d’aboutir à des logiques régressives. Cela pourrait vouloir dire qu’il faut faire attention à l’immigration, par exemple.

La réduction des dépenses publiques reste quelque chose d’important.

La vraie question, derrière, c’est comment est-ce que l’on assure cet assainissement ? D’abord et avant tout par la croissance, mais malheureusement nous faisons face à une situation où nous ne sommes plus en mesure d’activer nos canaux de croissance : nous n’avons plus la main sur certains d’entre eux, quand nous ne refusons pas tout simplement de la reprendre. Il faut donc mettre en place une gestion disciplinée. Or avec, une classe politique non disciplinée et une administration telle que la nôtre, cela va s’avérer complexe. Il va falloir canaliser notre administration, faute de pouvoir faire une réforme de l’Etat à carte territoriale constante. Puis, c’est justement l’intervention de l’Etat qu’il faudra canaliser et sortir de ce modèle du “tout-prioritaire” si cher à la Macronie. Nous avons développé un peu trop de gras dans l’Etat providence, plus que ce que nos perspectives de croissance permettaient de soutenir. Pour que tout cela tienne il nous faudrait un égout collecteur des droits non gagnés, ce qui peut correspondre à la possibilité de jouer sur le taux de change, d’opter pour la dévaluation. Ce n’est plus possible depuis que la monnaie a été abandonnée à la seule gestion de la BCE. Cela fait plus de 20 ans, désormais, que l’égout est fermé. Forcément, cela commence à sentir mauvais. Pour s’en sortir, il faudrait rétablir la valeur réelle de l’euro sous le dollar, au risque sinon d’être contraints de détruire une partie de l’Etat providence. Ce n’est pas une option plaisante – ni même satisfaisante – mais c’est malheureusement ce qui se profile. C’en est désespérant.

On l’a oublié mais, en 1958, un des facteurs de l’effondrement de la IVè République, c’était aussi la crise des finances publiques dans laquelle s’enfonçait le pays. Comment est-ce que le général de Gaulle et son gouvernement ont-ils redressé la barre ?

On pourrait également citer les travaux de Florin Aftalion, qui avait très bien noté que la Révolution française est arrivée par un échec des finances publiques dans les années 1770-1780. De même, vous avez raison d’évoquer 1958, et les réformes mises en place par le général de Gaulle ainsi que Jacques Rueff. Sans oublier, bien sûr, le Franc Poincaré, sur lequel travaillait également Jacques Rueff (avec l’aide de Raymond Poincaré). J'apprécierais une réforme de la même ampleur aujourd’hui, mais il suffisait d’écouter Macron en 2017, devant la pyramide du Louvre, pour savoir que ce n’était pas au programme. Pour réformer, il faut partir du principe que l’on ne peut pas s’appuyer sur la croissance. Il a fait l’exact inverse. Nous avons perdu le sens du long terme.

Le plan Rueff, rappelons-le, c’était l’idée de coupler le sérieux budgétaire à un programme de libéralisation sectorielle, quoique pas tout azimut. Il y a eu de vrais efforts en matière de modestie réglementaire, un nouveau franc et donc une dévaluation. Malheureusement, la dévaluation n’est plus une option aujourd’hui. A partir de là, les choix budgétaires visent à aménager la chèvre et le chou. Chaque restriction entraîne un mouvement de protestation, comme l’illustrent les Gilets jaunes.

Pour parvenir à un résultat similaire, il faut réunir des gens qualifiés, avec un bon track record, qui savent de quoi il parlent. Il faut les faire plancher sur les différents freins à la croissance et ne pas tomber dans le format catalogue. Il nous faut une vingtaine, peut-être une trentaine de mesures simples, rapides et qui peuvent donner une impulsion. L’exact inverse de ce que l’on a actuellement.

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