Cette catastrophe budgétaire que s’apprête à s’infliger l’Allemagne (et que nous subirons aussi)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le ministre des Finances Christian Lindner s'exprime à côté du chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une conférence de presse, le 13 décembre 2023, à Berlin.
Le ministre des Finances Christian Lindner s'exprime à côté du chancelier allemand Olaf Scholz lors d'une conférence de presse, le 13 décembre 2023, à Berlin.
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Modèle allemand en panne

Face à d'importantes difficultés sur le plan de l'économie, le ministre des Finances allemand multiplie les coupes budgétaires, mettant en péril certains objectifs du gouvernement.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

Voir la bio »

Atlantico : Le ministre des Finances allemand fait actuellement pression pour obtenir d’importantes coupes budgétaires nominales, auxquelles s’ajouteront d’autres coupes potentielles, notamment du côté du fonds climatique. Qu’est-ce que cette panique fiscale dit de la catastrophe budgétaire à laquelle l’Allemagne semble aujourd’hui confrontée ?

Philippe Waechter : Force est de constater que le modèle allemand ne fonctionne plus, notamment au regard de la question économique. Les problèmes sont nombreux : il faut faire face à des prix de l’énergie qui augmentent, parce les débouchés chinois ne sont plus ceux qu’ils étaient il y a encore deux ans. Plusieurs facteurs de cette nature entraînent une source de fragilité profonde pour l’Allemagne. Mais ce n’est pas le seul élément dont il faut tenir compte : il faut bien réaliser que l’Allemagne a sans cesse repoussé certaines dépenses essentielles, des investissements d’infrastructures, ce qui rendait possible une certaine capacité de retour à l’équilibre budgétaire. Au détriment de tout un tas de points qu’il aurait pourtant fallu financer. C’est le cas notamment des dépenses militaires, mais aussi de celles concernant le rail, par exemple. 

Nous assistons aujourd’hui à une remise en cause du modèle allemand. L’Allemagne est désormais contrainte de se poser la question d’accepter ou non un déficit public durable pour faire face aux très nombreux engagements qu’elle a pu prendre, tant sur l’agriculture que sur le développement des véhicules électriques, la rénovation des infrastructures ou le changement climatique. Aujourd’hui, le gouvernement allemand a fait le choix de rogner sur tout un tas d’éléments de ce type, ce qui n’est pas sans poser des problèmes aux industriels dont les soutiens sont coupés, en plus de soulever la question de la capacité du pays à remplir les objectifs qu’il s’est fixé.

En vérité, il faut bien comprendre que l’Allemagne refait ce qu’elle a toujours eu l’habitude de faire… sans réaliser que son système ne fonctionne plus comme il le faisait il y a peu. Quand le pays pouvait encore s’appuyer sur des impulsions provenant de la Chine ou d’autres pays d’Asie, quand le prix de l’énergie était moins élevé, il était plus simple de faire illusion. Désormais c’est beaucoup plus compliqué et il faut donc intégralement repenser le modèle économique allemand. Cela implique potentiellement de dépenser beaucoup d’argent pour remplir d’autres objectifs mais force est de constater que nos voisins ne prennent pas le temps de réfléchir. Ils agissent aujourd’hui dans une forme d’urgence.

Dans quelle mesure est-ce que le gouvernement allemand peut-il espérer parvenir à ses fins, en procédant à de telles coupures ?

J’ai peur que cela s’avère très compliqué, comme nous avons déjà pu le souligner. D’autres points permettent aussi de l’expliquer. 

L’exécutif allemand, par exemple, espère faire voter rapidement une réforme des retraites qui pourrait coûter très cher à la population et qui risque d’ajouter à la complexité. Comprenons-nous bien ! Cela fait plus de vingt ans que le système allemand n’avait pas été réformé et, à l’époque, le pouvoir avait décidé de mettre en place un plan de capitalisation pour limiter la hausse des taux de prélèvement sur le système de répartition. Hélas, force est de constater que personne n’a joué le jeu. Se faisant, les taux de remplacement des salaires, pour les gens qui arrivent à la retraite, vont baisser considérablement… à moins que le gouvernement ne se décide à augmenter les cotisations de manière extrêmement forte.? Un caillou de plus dans la chaussure de l’exécutif.

Dans quelle mesure peut-on décemment penser que c’est l’Allemagne elle-même qui est responsable de son désarroi budgétaire ? Qu’est-ce que cela dit du problème de fond ?

L’Allemagne est intégralement responsable de son propre désarroi budgétaire. Il y a un véritable impensé, Outre-Rhin (mais aussi chez nous), de la question budgétaire. Si l’on devait parler en image, on pourrait comparer la situation budgétaire à la situation énergétique : il est hautement imprévoyant de penser que ce qui a marché par le passé fonctionnera nécessairement sans accroc à l’avenir et qu’il n’est donc pas nécessaire d’anticiper des problèmes, des solutions alternatives.

Dans un monde idéal, bien sûr, nous n’aurions pas à faire preuve de ce type de prévoyance. En réalité, les choses ne fonctionnent pas de la sorte. Par conséquent, il apparaît évident que les équilibres allemands étaient durablement perturbés déjà à l’époque. C’est un phénomène qui s’est illustré récemment, à la fin de l’année 2023. Certains pays ont beaucoup investi en Chine, comme ce fut le cas de l’Allemagne qui a d’ailleurs été le principal investisseur sur cette période. D’autres, comme les Etats-Unis, le Japon ou la Corée ont au contraire fait le choix de désinvestir. 

Si l’Allemagne a continué, c’est parce qu’elle a tendance à produire un certain nombre de ses véhicules en Chine. Malheureusement pour elle, ces produits ne sont plus compétitifs par rapport à ceux des constructeurs chinois. On observe pourtant une forme d’entêtement qui s’avère très préjudiciable. Il y a une vraie dynamique à l'œuvre, qui se caractérise par une incapacité réelle à se remettre en cause et qui, aujourd’hui, éclate au regard de tous. Elle s’inscrit dans un contexte particulier, marqué par une situation politique de plus en plus complexe en Allemagne, où l’AFD prend des voix à chaque élection. A cet égard, le résultat des prochaines élections européennes sera très intéressant à analyser.

Autre élément essentiel à bien comprendre : ces derniers temps, l’Allemagne se décide à exporter sa production. C’est une nouveauté, jusqu’à présent (hormis les voitures), le pays tenait à produire sur son propre sol ou au sein de pays limitrophes ; à l’inverse du système français donc. Le Mittelstand allemand, c’est-à-dire le coeur de son industrie, est fragilisé et vieillissant. Il y a de quoi s’inquiéter pour ce qui pourrait arriver dans un avenir relativement proche.

Faut-il penser que la France pourrait souffrir d’une crise budgétaire émanant d’Allemagne ? Quelles en seraient les conséquences exactes pour l’Hexagone ?

La France, rappelons-le, fait face à un vrai problème budgétaire. La semaine qui s’ouvre devrait s’accompagner des estimations précises de l’INSEE concernant le déficit français en 2023, mais l’on sait déjà combien la situation est complexe. L’objectif de croissance n’a pas du tout été tenu. De même que l’objectif de réduction des déficits. La croissance ne s’élèvera pas à 1%, le déficit est à 5,6% plutôt qu’à 4,4. 

Ce postulat posé, il va de soi que la situation allemande n’améliore pas les choses. Pour être exacte, elle tend même à complexifier la situation. Si les mesures annoncées sont prises, elles auront un impact négatif sur l’activité et il faudra alors s’attendre à un effet de contagion sur notre propre économie. La seule chose que l’on soit en droit d’espérer aujourd’hui, c’est la possibilité de voir certaines mesures et contraintes budgétaires prises à l’échelle européenne finalement repoussées. Avec un peu de chance, on peut envisager la remise en cause de la loi constitutionnelle sur les finances publiques…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !