Ces victimes de la violence que ne veulent pas voir les décoloniaux <!-- --> | Atlantico.fr
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Des messages et les fleurs apportés en hommage à Nahel, mort à Nanterre après un refus d'obtempérer.
Des messages et les fleurs apportés en hommage à Nahel, mort à Nanterre après un refus d'obtempérer.
©ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Différence de traitement

L'habitant de Vieux-Condé âgé de 72 ans, qui avait été passé à tabac le 6 juillet par trois hommes, après leur avoir demandé de faire moins de bruit, a succombé à ses blessures dans la nuit du 10 au 11 juillet 2023. Comment lutter contre l'indignation à géométrie variable, à droite comme à gauche, qui est profondément néfaste pour notre vivre-ensemble ?

Rachel Khan

Rachel Khan

Rachel Khan est juriste, spécialiusée en droit public, en droit international et en droits fondamentaux. Elle a aussi été actrice et écrivaine, ainsi qu'une athlète de haut niveau.

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Atlantico : Vous avez réagi à l'annonce du décès tragique d'un homme âgé de 72 ans, violemment attaqué par des adolescents. Quelle est votre réflexion face à cette histoire tragique ?

Rachel Khan : Je suis profondément attristée par cette annonce. Il est alarmant de constater que malgré la pandémie que nous venons de traverser, où il était primordial de prendre soin de nos aînés et de les protéger, nous continuons de négliger leur bien-être dans "le monde d'après". Il y a un manque de respect flagrant envers nos aînés, et c’est particulièrement préoccupant parce que cela raconte des choses sur notre société. Personnellement, en tant que personne binationale, quand je me rends en Afrique, j’observe les regards des policiers, des jeunes et même des enfants, le respect qui est accordé à mon père qui est très âgé puisqu’il a presque 90 ans. C'est quelque chose de remarquable.

Ce qui m'interpelle, c'est que ceux qui prodiguent des leçons de morale sur la colonisation et la culpabilité de la France, les soi-disant "décoloniaux" devraient en réalité appliquer eux-mêmes les principes fondamentaux de l'Afrique, tels que le respect des anciens. Le respect des anciens est une valeur universelle, profondément enracinée dans nos sociétés. Cela représente le respect de la transmission, des connaissances et des expériences. Cependant, il semble y avoir une fracture générationnelle, où la “jeunesse” est complètement déconnectée de ces valeurs. Nous avons d’ailleurs intégré cette fracture puisque même sur le plan politique, les jeunes sont souvent stigmatisés et réduits à un groupe homogène, ce qui n’est pas juste. La jeunesse, c’est à nous de les éduquer véritablement, plutôt que de les craindre. Le président de la République a d'ailleurs rappelé à juste titre que l'éducation est avant tout la responsabilité des parents. (C’est l’enseignement qui se fait à l’école) Cependant, cette tragédie ne répond en rien aux principes universels de respect envers les anciens, et ce drame est véritablement inqualifiable. Pourtant, ceux qui ont l'habitude de nous donner des leçons sur tout sont comme frappés de silence. 

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Comment expliquer cette incohérence ?

L'auto-proclamation du décolonialisme, soixante ans après la décolonisation, est déjà en soi une insulte envers nos aînés qui ont été acteurs de cette période. Se déclarer décolonial alors qu'on est né en France et qu'on ne parle souvent même pas la langue de ses origines, car nous parlons ici de la deuxième ou troisième génération d'enfants d'immigrés, est un moyen de déstabiliser l'unité républicaine, tant sur le plan national qu'international. Il est clair que cette approche ne vise qu'à se présenter en tant que victime pour obtenir des postes, des positions et des privilèges. Le deuxième aspect est de culpabiliser les autres en utilisant le terme de décolonisation, afin de les faire taire. 

Les hasards de l'actualité font ressurgir sur les réseaux sociaux l'affaire tragique du jeune Miloud, battu à mort dans le quartier de la Bagatelle à Toulouse en février dernier. Cette affaire n'a pas suscité beaucoup d'échos à l'époque et ne semble pas en recevoir beaucoup plus aujourd'hui, après le décès de Nahel. Une émotion légitime au regard de la responsabilité de la police dans ces faits, mais comment expliquer cette différence de traitement ?

Ce jeune homme, dont on ne parle pas, était en réalité un individu qui tentait de réparer la société et d’y contribuer de manière profondément citoyenne. Il s'efforçait d'agir dans son quartier, avec une responsabilité envers ses concitoyens dans un esprit de fraternité. Il souhaitait apporter des changements positifs. Cependant, ceux qui cherchent à diviser la société utilisent deux arguments pour discréditer ces actions.

Lorsqu'on agit dans cette responsabilité envers la société cela ne devrait pas être une question de droite ou de gauche, mais simplement une question de citoyenneté. Aujourd’hui, agir conformément aux principes fondamentaux et à la Constitution, c’est être un traître ou être relégué à l’extrême-droite. De toute façon, tout ceux qui ne pensent pas ou n’agissent pas comme l’extrême gauche le voudrait, c’est d’extrême-droite. Par exemple, cette idée omniprésente selon laquelle tout le monde déteste la police. Ce slogan est une injonction qui imbibe la société, insufflée le soft power, une influence subtile, calquée des Etats-Unis. Des lors, comme ce jeune ne rentre pas dans ce “narratif” car il se comporte en citoyen, on n'en parle pas. La notion de violence policière ici est devenue un refrain anti-capitaliste, pourtant importée par une forme de colonisation, le soft power américain. Via cette notion, on pousse à fond pour déstabiliser un pays, pour continuer à le culpabiliser, et partant fragiliser nos élus et nos institutions.

Comment lutter contre l'indignation à géométrie variable, à droite comme à gauche, qui est profondément néfaste pour notre vivre-ensemble ?

Il est crucial de comprendre que ceux qui participent aux émeutes et dénoncent les violences policières renforcent l'extrême droite. Cela fait maintenant 25 ans que cette tendance existe, et l'extrême droite n'a cessé de croître. Il est donc nécessaire d'être lucide et de penser presque à contre-courant pour revenir à nos fondamentaux républicains qui sont ancrés dans notre Constitution. Le plus déroutant c’est que Pour certaines personnes, la Constitution est devenue un texte extrémiste ! Il est donc important de faire preuve de discernement et ne pas se laisser perturber par ces attaques. Même lorsque vous êtes accusé d'être d'extrême droite simplement parce que vous ne pensez pas dans le sens de l'extrême gauche, il est crucial de ne pas entrer dans le jeu de la culpabilisation, du procès en illégitimité et de continuer à réfléchir de manière indépendante. Sinon, on risque facilement de sombrer dans des excès inverses, en réponse. Lorsque l'on est harcelé en ligne par certains antidémocratiques qui ne supporte aucune contradiction, il faut résister. D'ailleurs, je pense que les Français sont épuisés. Les récents événements impliquant les élus de LFI en sont la preuve. Je crois donc qu'il est nécessaire de rester vigilants. Les différents partis, qu'ils se situent au centre, à gauche ou à droite doivent véritablement se remettre en question et décider de travailler ensemble, car il n'y a pas d'autre choix. 

Est-il possible de réparer cela, de réussir à faire le chemin inverse et de ne plus parler de ces décès d'un côté ou de l'autre, afin que ces morts soient traités avec la même dignité, la même humanité ?

Pour parvenir à cela, nous devons transcender les clivages politiques, en particulier ceux entre la gauche et la droite. Tous les républicains doivent s'unir, de la même manière que les maires et les territoires l'ont fait. Bien que cette période ait laissé une empreinte profonde, nous pouvons effectuer un changement positif. Les signes annonciateurs étaient présents depuis 40 ans, et nous pouvons inverser cette tendance en abordant de manière plus forte les inégalités territoriales et les questions d'aménagement du territoire. Nous devons réellement mettre en pratique les principes républicains de liberté, d'égalité et surtout de fraternité. Lorsque nous les appliquerons de manière puissante dans tous les domaines, nous ne nous laisserons plus fragiliser et détruire par des dogmes qui cherchent à nous diviser et nous tuer.

« Nous diviser et nous tuer ». Vous utilisez des mots forts. À quel point est-ce un enjeu crucial ?

En effet, le langage utilisé par ces dogmes est souvent morbide, marqué par le racisme, la racialisation, la décolonisation,… Tout cela à un lien avec la mort en tout cas déshumanise la vie. Il y a très peu de place pour la vie dans ce discours, que ce soit du côté de l'extrême droite ou de l'extrême gauche. Les idées de racialisme d'un côté et de racisme de l'autre sont toutes empreintes de mort puisqu’elle nous coupe entre nous. Nous devons faire en sorte de revitaliser notre démocratie en lui redonnant de la noblesse. Nous avons besoin de politiques incarnant ces principes, des hommes et des femmes qui les portent véritablement et protègent nos valeurs fondamentales. Si nous n'y parvenons pas, tout sera perdu. Malgré la tonalité pessimiste de ces propos, je reste persuadé qu'un esprit de résistance persiste, puissant mais discret. Il y a une majorité silencieuse qui est là. Personnellement, je parcours tout le territoire et j'en discute avec tout le monde. Nous ne sommes pas d'accord sur tout, c'est certain, mais nous sommes tous en accord avec le socle commun qui est celui de la protection de nos valeurs fondamentales.

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