Ces stratégies de transition énergétique venues des Etats-Unis qui pourraient sauver les petites fermes françaises <!-- --> | Atlantico.fr
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Un agriculteur porte un veau dans sa ferme de Vinton, dans l'Iowa, où il cultive du maïs, du soja, de la luzerne et élève du bétail Red Angus.
Un agriculteur porte un veau dans sa ferme de Vinton, dans l'Iowa, où il cultive du maïs, du soja, de la luzerne et élève du bétail Red Angus.
©JIM WATSON / AFP

Innovation

De nombreux agriculteurs américains ont parié sur la transition énergétique pour diversifier leurs activités et développer un nouveau modèle économique.

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : Les États-Unis ont déployé une stratégie en pariant sur la transition énergétique afin d’endiguer des décennies de disparition de fermes. Sur quoi repose cette stratégie et quels sont les principaux atouts de cette méthode pour les petits agriculteurs ?

L'agriculture américaine a depuis longtemps adopté une dimension énergétique. La production de biocarburant a eu deux phases d'accélération, une entre 2001 et 2004, puis entre 2005 et 2010. Elle est ainsi passée de 7 330 millions de litres (ML) en 2001 à 13 958 ML en 2004, puis à 17 035 ML en 2005 et enfin 52 281 ML en 2010. Maintenant, elle avoisine les 57 000 ML par an. (Source: USDA)

La méthanisation agricole est une autre dimension énergétique de la production agricole qui a quelques années déjà, surtout en Europe. Aux États-Unis, elle est quasiment inexistante, le biogaz étant essentiellement produit en récupérant le méthane des déchets et eaux usées (source: IAEA). C'est probablement lié à la concurrence du gaz de schiste.

L'article de Bloomberg porte, lui, si un autre aspect énergétique, effectivement plus récent: l'agrivoltaïsme.

L'idée est que la production d'énergie photovoltaïque se combine bien avec l'activité agricole. D'abord, une ferme a souvent beaucoup de toits et d'espaces pouvant accueillir des panneaux solaires. Ensuite, les panneaux peuvent aussi être installés dans des prairies, qu'ils peuvent protéger du stress hydrique excessif en apportant de l'ombrage. Mieux, cet ombrage bénéficie aussi aux animaux qui y paissent.

Ce n'est pas quelque chose qui favorise en soi les petits agriculteurs.  D'ailleurs, il y aurait 314 de ces projets, représentant 2.8 GW de capacité en mars 2023 (ce qui fait environ 8917 KW en moyenne).

Néanmoins il est possible de favoriser davantage les petits projets en plaçant des plafonds. Cela donne un revenu supplémentaire en permettant de valoriser des espaces autrement non ou moins valorisés.

Les États-Unis avaient déjà voté en 2023 une loi, "Agrivoltaics Research and Demonstration Act of 2023", prévoyant le financement de la recherche sur l'agrivoltaïsme à hauteur de 15M$/an. D'après l'article de Bloomberg, les États-Unis vont

  • investir des dizaines de milliards de dollars pour promouvoir les pratiques agricoles "écoresponsables". Il favoriserait aussi le développement des biocarburants pour avions.
  • investir un trillion de dollar dans les infrastructures de transport pour notamment mieux connecter les fermes au marché mondial;
  • favoriser la production agricole d'énergie renouvelable;
  • favoriser la vente locale.

Par ailleurs, la stratégie américaine pour protéger les petites exploitations compte d'autres volets, parmi lesquels:

En quoi ces stratégies ciblées pour la transition énergétique, la quête de nouveaux marchés potentiellement lucratifs comme les biocarburants et des investissements massifs pourront-ils sauver les petites fermes françaises et l’économie rurale qui en dépend ?

Le problème de l'énergie photovoltaïque en France est qu'elle est d'une utilité relative, n'étant pas pilotable, et la quasi-totalité de notre électricité étant déjà décarbonée. Je ne suis pas sûr de la rentabilité des biocarburants, surtout en France, ni de leur viabilité écologique. Le problème de ces stratégies est qu'elles risquent d'être très dépendantes de réglementations d'une durabilité discutable. Par exemple, que faire si l'énergie photovoltaïque perd sa priorité sur le nucléaire dans le réseau électrique ? Elle serait intéressante si elle était couplée à une consommation comparable, par exemple si la transformation de l'aliment se faisait à proximité.

De plus, le problème de la réduction des fermes réside en large partie dans une réduction de l'attractivité de l'activité. Quand les agriculteurs choisissent cette carrière, c'est pour cultiver et/ou élever, pas pour planter des panneaux solaires. Or, il y a deux problèmes cruciaux et proches, qu'il faut adresser:

  • L'incertitude réglementaire dissuadant les investissements: vous ne savez pas si la culture sur laquelle vous basez votre rotation et votre modèle économique sera encore viable dans deux ans ou si l'État va choisir arbitrairement de supprimer des outils indispensables.
  • Le mépris et la violence d'une frange de la société contre les agriculteurs.

Les deux mécaniques résultent de l'opportunisme politique des entrepreneurs pseudo-écologistes et de l'inaction des grandes organisations supposées lutter contre la désinformation et l'agribashing. On peut suspecter ces mécaniques derrière la faiblesse des investissements, dénoncés par le rapport FranceAgriMer de 2021 comme un des facteurs expliquant la perte de compétitivité de l'agriculture française. Un autre facteur important évoqué est la rareté des partenariats à long terme entre producteurs et industriels. On pourrait peut-être commencer par-là ?

Ce modèle et ce type d’efforts peuvent-ils être copiés et se démocratiser en France afin de permettre de lutter contre la crise agricole et pour ne plus voir de fermes disparaître ?

Tout d'abord, il faut comprendre qu'on ne pourra pas empêcher les fermes de disparaître, en raison d'un problème d'âge: "La moitié des exploitations sont dirigées par au moins un exploitant de 55 ans ou plus." et la moyenne est à 51.4 ans en 2020. (INSEE)

L'agrivoltaïsme a un intérêt particulier en France: il permet de combiner production photovoltaïque avec exploitation agricole sur le même terrain et donc limiter l'artificialisation des sols, comme l'a relevé un rapport du Sénat courant 2023. Encore une fois, cela permet de valoriser des actifs à disposition des agriculteurs, mais est-ce que ce sera suffisant pour faire une différence ? Et est-ce que ce sera, en pratique, quelque chose de si intéressant ? Je ne sais pas.

Les agriculteurs sont-ils de plus en plus enclins à suivre et à adopter des programmes intelligents dans le cadre de la protection de l’environnement et de la transition énergétique ? Cela permet-il aux agriculteurs de diversifier leur offre et d’être toujours plus compétitif ?

Le nombre de projets de méthanisation est en constante augmentation depuis les premiers en 2011. Selon GRDF ils ont presque doublé depuis 2021 (655 en 2023 contre 365 en 2021).

Par ailleurs, les agriculteurs n'ont pas attendu l'agitation pseudo-écologiste ou l'État pour innover. En effet, les machines, pesticides et engrais ont un coût et le minimiser (ou plutôt l'optimiser) est un des principaux enjeux pour les agriculteurs. Par exemple, une éleveuse du massif central m'a raconté mélanger plusieurs céréales ensemble pour rendre son champ résistant aux infestations, ce qui lui permettait de ne pas y appliquer de pesticides. Un autre agriculteur me raconte la pratique du "bas volume": ce qu'on épand, c'est une "bouillie", un mélange eau-produit et éventuellement adjuvant, et les pulvérisateurs étaient conçus pour pulvériser 150L/ha et les pratiques préconisées par les instituts aussi. Néanmoins, il était possible aussi de pulvériser moins ce qui, dans certaines conditions et en respectant les bonnes pratiques, permettait au produit d'être plus efficace et, donc, de réduire la quantité totale.

Plus largement, on a eu le développement de l'agriculture de conservation des sols (ACS) tout au long du XXe siècle, avec une accélération vers la fin, lorsque les limites des méthodes issues des innovations des années 50 se sont faites sentir. Elle est de plus en plus populaire: elle concernait 2% des agriculteurs en 2014, 7% en 2017. Elle permet de favoriser la vie des sols, d'économiser les intrants et de moins utiliser les machines. Et beaucoup plus d'agriculteurs ont adopté des techniques réduisant le travail du sol et l'utilisation de cultures intermédiaires.

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