Bienvenue dans la galaxie des milliardaires qui manipulent l'élection présidentielle américaine<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
L’année dernière le New York Times a publié une étude inquiétante montrant que 158 riches familles ont versé près de 50 % des fonds levés par les candidats à la Maison blanche.
L’année dernière le New York Times a publié une étude inquiétante montrant que 158 riches familles ont versé près de 50 % des fonds levés par les candidats à la Maison blanche.
©

THE DAILY BEAST

Les Etats-Unis ne sont plus un pays qui fonctionne "par le peuple, pour le peuple" mais plutôt une ploutocratie. Un documentaire, "Meet the Donors", montre que son système politique est cassé et comment des super-riches le manipulent.

Marlow Stern

Marlow Stern

Marlow Stern est journaliste au Daily Beast.

Voir la bio »
Copyright The Daily Beast - par Marlow Stern (traduction Gilles Klein)

"Je pense que l’on croit que d’une certaine manière tout le système à Washington est contre le citoyen de base. Les gens ont cette impression parce qu’ils ont raison : il est tourné contre le citoyen ordinaire et il favorise les riches".

C’est ce que dit Tom Downey (ancien élu du Congrès, à New York, qui a fondé la puissante société de lobbying Downey McGrath Group, Inc) l’un de ceux qui parlent dans Meet the Donors, un documentaire qui a été diffusé sur la chaîne HBO.

Ce film est signé Alexandra Pelosi, la fille de la leader démocrate de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi. Le film fait brièvement état d’un affrontement entre Pelosi Junior et un lobbyiste de droite qui a violemment attaqué sa mère en la présentant comme le monstre Godzilla qui détruit une ville. Mais, malgré cette affaire familiale, le documentaire est un regard impartial sur l’influence de l’argent qui corrompt la politique, tout en montrant comment la démocratie américaine est devenue une ploutocratie. C’est l'exaspération des Américains face à ce système corrompu, qui a, en partie, permis l’émergence de candidats populistes comme Bernie Sanders, ou Donald Trump.

L’année dernière le New York Times a publié une étude inquiétante montrant que 158 riches familles ont versé près de 50 % des fonds levés par les candidats à la Maison blanche. Des donateurs qui sont, pour la plupart, des hommes blancs, riches, et vieux, issus de la finance et du secteur de l’énergie.

"A elles seules, 158 familles, et les sociétés qu’elles contrôlent, ont versé 176 millions de dollars dans la première partie de la campagne", estime l’enquête du New York Times. Jamais depuis l’affaire du Watergate, si peu de personnes et de sociétés n’ont fourni autant d’argent au début d’une campagne, en passant généralement par des canaux devenus légaux grâce à la loi Citizens United, une décision de la Cour Suprême prise il y a cinq ans. 

La décision sur "Citizens Unitedv. Federal Election Commission" a changé les règles du jeu, permettant aussi bien aux organismes à but lucratif ou non lucratif d’être considérés comme des personnes ordinaires, ce qui, de fait, interdit au gouvernement de contrôler les dépenses électorales. Cela a conduit à la création des super PAC, ou Political Action Committees, qui permettent à des particuliers, des entreprises, et d’autres organisations de verser de grosses sommes d’argent pour influencer les élections, principalement via des spots télévisés agressifs. Le stratège conservateur Karl Rove supervisait ces super PAC qui ont versé plus de 300 millions de dollars aux candidats républicains pendant l’année électorale 2012.

Meet the Donors évoque certains aspects historiques inattendus, expliquant comment argent et politique vont de pair en Amérique depuis l’époque des Founding Fathers (Pères Fondateurs). Exemple : George Washington a utilisé les fonds levés pour sa première campagne politique pour fournir de l’alcool à des électeurs assoiffés, alors qu’Andrew Jackson a inauguré le "spoils system" (système des dépouilles) lorsqu’il a remplacé beaucoup d'employés au sein de l’administration pour y placer ceux qui l’avaient soutenu.

Et cela nous amène à l’époque qui a suivi le scandale du Watergate, au moment où le système de financement des campagnes électorales a été modifié pour éviter la corruption, afin que les budgets soient alimentés par des fonds publics. Cette pratique a duré jusqu’à Obama, qui a choisi de refuser 84 millions de dollars de fonds publics, au profit d’un financement privé qui lui a permis de lever 778 millions. Une partie du problème est que l’élection présidentielle américaine est devenue une aventure terriblement coûteuse, et que ce coût continue à augmenter. En 1996, les deux principaux partis avaient dépensé 448,9 millions de dollars pour l’élection ; en 2012, ils ont dépensé 6,3 milliards, selon le Center for Responsive Politics.

Quand il faut un budget totalement obscène pour être candidat à la présidence, et que vous ajoutez la règle du Citizens United, cela aboutit à un scénario cauchemardesque où les entreprises et les citoyens les plus riches exercent un pouvoir démesuré sur les élections, et par extension, sur le gouvernement tout entier.                        

Pelosi a interrogé un certain nombre de donateurs influents qui tirent les ficelles de l’élection présidentielle 2016, en commençant par les résidents avec le code postal de la zone où l’on trouve le plus grand nombre de donateurs de tout le pays : 10022. Il correspond à l’Upper East Side à Manhattan. Dans ce quartier, elle a assisté à un dîner destiné à lever des fonds pour Hillary Clinton, organisé par Bernard Schwartz, un magnat des télécoms, qui est aussi un donateur du parti démocrate. Il explique qu’il a personnellement donné à peu près un million de dollars pour cette élection, et considère cela comme un "privilège".

"Je ne soutiens pas Hillary Clinton parce que je suis d’accord avec tout ce qu’elle dit – je suis en désaccord avec elle sur un certain nombre de points – mais parce que je pense qu’elle a l’étoffe d’un leader, et c’est ce qu’il nous faut à la Maison Blanche" explique-t-il face à une pièce remplie de puissants donateurs.

Quand on lui demande ce qu’il obtient en retour pour cet "investissement", Schwartz, comme beaucoup de ceux qui s’expriment dans le documentaire de Pelosi, prétend qu’il n’exerce aucune influence sur les prises de décision, avant de dire le contraire.

"Je ne demande pas aux politiciens de faire ce que je dis, mais je veux qu’ils m’entendent quand j’ai un problème." précise-t-il.

Ensuite, voici le sorcier des actions, Foster Friess, qui donne des millions aux candidats conservateurs catholiques, comme Rick Santorum, candidat à la primaire des républicains en 2012.

"Quand j'étais enfant dans une petite ville du nord du Wisconsin, notre système scolaire, nos familles, notre église, et notre gouvernement reposaient un même système de valeur, alors que maintenant nous sommes tiraillés dans des directions différentes. Je veux participer au rétablissement du système de valeurs judéo-chrétiennes qui a fait de nous une grande nation." explique Friess.

"Je sais que beaucoup de gens n’apprécient pas que je donne, mais c’est comme çà. Je n’essaie pas de me donner de l’importance, mais on a fait vivre à Jésus des moments assez durs à cause de ce qu’il disait. Et je pense que Jésus est républicain. Non, je plaisante" ajoute Friess.

Nous voyons aussi de grands donateurs comme John Catsimaditis (PDG de Gristedes, une chaîne de supermarchés) et Bruce Charash (un cardiologue) qui semblent donner simplement pour le plaisir d’une séance photo avec un président, comme l’explique Charash : "Plus vous avez, dans votre bureau, des photos où vous êtes avec des gens puissants, plus les gens pensent que vous êtes, vous-même, puissant. Et ils réagissent différemment quand ils pensent que vous avez du pouvoir."

Le plus inquiétant, ce sont les élites donatrices qui se débrouillent pour décrocher un poste important dans l’administration du candidat qu’ils ont soutenu financièrement, comme Elisabeth Bagley, fidèle donatrice de Bill Clinton, nommée ambassadeur au Portugal quand Bill Clinton était président, ou comme Penny Pritzker, qui, selon, son frère, est devenue, en 2013, ministre du Commerce du gouvernement Obama pour avoir été l’une de ses premières donatrices.

Brad Freeman, qui a permis à George W. Bush de lever beaucoup d’argent pendant la campagne présidentielle de 2000, explique combien cette influence est prégnante.

"Quand le président Bush a gagné l’élection en 2000, beaucoup de mes amis ont obtenu des postes d’ambassadeurs, ou au sein du gouvernement. Il m’a appelé et il m’a dit qu’il avait quelque chose d’important à me demander. J'étais très intéressé. Je ne voulais pas être ambassadeur, il le savait, et pendant qu’il me parlait, j’ai commencé à penser qu’il allait me proposer de diriger la CIA. Et finalement, quand je suis allé le voir, il a souligné combien j’étais un proche et combien son chat m’appréciait. Il m’a dit : ''Brad, nous ne pouvons pas emmener Ernie à la Maison Blanche. Laura et moi aimerions que vous le preniez pendant ma présidence''.

Un autre exemple permet d’ouvrir les yeux sur la manière dont l’argent influence la politique – et contribue à empoisonner la campagne actuelle. C’est l’interview de T. Boone Pickens, le milliardaire du pétrole. Il est connu pour avoir personnellement financé un groupe d’anciens combattants qui ont violemment attaqué John Kerry lors de la campagne présidentielle 2004 où il était candidat, en tentant de dévaluer son passé militaire.

Pickens commence par dire : "Je n’ai jamais rien demandé au président Bush. Je ne me souviens pas qu’il ait fait quoi que ce soit qui m’ait rapporté le moindre centime." Puis, un peu plus tard, il raconte comment il a essayé de faire passer la loi Natural Gas Act, qui modifiait une autre loi, la Transportation Bill, et aurait obligé les plus gros camions à passer du diesel au gaz naturel. Un changement qui aurait favorisé Pickens, qui a investi dans le gaz naturel, mais qui allait contre les intérêts des puissants milliardaires que sont les frères Koch, les plus gros donateurs politiques de toute l’Amérique.

"J’avais contre moi les frères Koch. Ils avaient des raisons de préférer le diesel au gaz naturel. Je pense que ce sont des conservateurs sincères."

Pickens a perdu : un résultat qu’il attribue à la plus grande influence politique des frères Koch, qui soutiennent un panel de candidats républicains plus large que le sien : "Dans cette affaire, je pense qu’ils avaient une meilleure offre, ils avaient plus d’influence que moi, et, quoi qu’il en soit, ils m’ont battu".

A l’autre extrémité du spectre énergétique – mais c’est aussi quelqu’un très puissant financièrement – il y a Tom Steyer, un patron de fonds d’investissement, qui est aussi le fondateur de NextGen, et favorable à une énergie plus propre. Il a injecté 74 millions de dollars chez les démocrates, lors des élections de mi-mandat, en 2014, devenant ainsi le plus gros donateur individuel du pays. Il dépense des millions en spots publicitaires anti-Trump. Steyer assure que ses dons sont transparents, contrairement aux frères Koch, qui en disent le moins possible.

"Vous avez consulté la liste des gens qui indiquent qu’ils ont donné de l’argent" dit-il à Pelosi en secouant la tête, "mais le véritable financement politique, c’est de l’argent noir, l’argent qui ne laisse pas de traces, et qui n’est jamais rendu public, celui qui entre dans le système politique de manière anonyme."

En d’autres termes : le problème est bien pire que nous le pensons.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Hillary 2016 riche candidate des riches américains : le couple Clinton face au grand paradoxe du parti démocrate actuelÉtats-Unis : l'empire financier de Donald Trump représenterait un "cauchemar" pour la sécurité nationale États-Unis : Hillary Clinton reprend l'avantage sur Donald Trump, selon un nouveau sondage

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !