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Argent sale des syndicats :
le syndicaliste qui dénonce !
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Magouilles

Un rapport parlementaire sur le financement des syndicats enterré, un rapport de la Cour des comptes sur les dérives dans la gestion du comité central d'entreprise de la RATP : début de semaine chargé pour les syndicalistes français. L'un d'entre eux brise l'omerta et dénonce les pratiques en vigueur...

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly est syndicaliste. Il est aujourd’hui chez Sud, après avoir été pendant près de 30 ans à la CGT, et également délégué syndical FO chez Veolia. Il est l’auteur de L’argent noir des syndicats (Fayard, 2008) et reste, par ailleurs, conseiller régional en Ile-de-France d’EELV.

Il a publié, en septembre 2013, le livre Syndicats: corruption, dérives, trahisons chez First Editions.

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Atlantico : Un rapport de la Cour des comptes a dénoncé ce mardi de nombreuses dérives dans la gestion du comité central d'entreprise de la RATP. En tant que syndicaliste, êtes-vous surpris ?

Jean-Luc Touly : Ce rapport n’est pas pour moi une surprise. La gestion des comités d’entreprises (CE), dans les grandes entreprises publiques ou privées, depuis les années 2000, a montré que l’argent qui devrait revenir aux salariés sous différentes formes va plutôt aux fédérations syndicales pour alimenter le besoin de financement des syndicats français.

Pour vous citer quelques exemples concrets, tel comité d’entreprise choisira pour rénover ses centres de vacances non pas le mieux disant, mais des sous-traitants qui surfacturent leurs prestations. L’argent ira ensuite dans les caisses du syndicat.

Ce phénomène s’est accéléré : les syndicats font de plus en plus appel à ce genre de financements occultes et répréhensibles. La gestion de CE n’est qu’un élément parmi d’autres. Le système touche aussi les organismes paritaires, la publicité payée par les entreprises dans les journaux syndicaux, etc.

Le rapport Perruchot qui a fait tant de vagues cette semaine montre que les cotisations syndicales ne couvrent que 3 à 4% de leurs recettes. Plus de 90% viennent donc d’ailleurs. Principalement des entreprises, et accessoirement de l’Etat. Ceci explique l’omerta ambiante (comme l’illustre la non publication du rapport de Nicolas Perruchot) : les syndicats, le Medef et les partis politiques de droite comme de gauche ne souhaitent pas aborder ce sujet. Moi-même qui suis conseiller régional Europe Ecologie Les Verts en Ile-de-France, j’ai reçu de la part de certains amis politiques quelques « conseils » me disant « ce n’est pas le moment », « ça fait le jeu du Front national », « c’est du populisme », « as-tu des preuves ? », etc. Ce n’est jamais le moment ! Je peux les comprendre : quand on est de gauche, c’est difficile d’attaquer les syndicats. Nous nous trouvons finalement dans une situation comparable à la période qui a précédé la loi sur le financement des partis politiques : les dirigeants politiques prétendaient alors qu’il n’y avait aucune subvention des entreprises… Là c’est pareil ! Il faut arrêter de nier la réalité. Les syndicats doivent être indépendants des entreprises ou en tout cas la situation doit être transparente.

Les hommes politiques ignorent-ils la situation ou ferment-ils les yeux ?

La plupart d'entre eux est au courant, selon moi. A très haut niveau, d’un côté comme de l’autre, ils le savent : c’est une sorte de deal non écrit qui permet d’acheter la paix sociale. Les syndicats sont sous perfusion financière des entreprises. Et par conséquent, même ceux qui étaient considérés comme « révolutionnaires » il y a quelques années signent désormais des accords… C’est un peu « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Cette situation perdure bien sûr au détriment des salariés.

Cette situation ne symbolise-t-elle pas la misère du syndicalisme français, qui, faute d’adhérents, a recours à des modes de financement occultes ?

Malheureusement, oui. Il serait toutefois faux de dire qu’il y a trop de syndicats en France. Un fossé s’est constitué entre les salariés et certains syndicalistes. L’affaire de la RATP n’est pas isolée : on a déjà évoqué dans le passé les cas des comités d’entreprises d’Air France, de la SNCF, d’EDF,…

Avec ça, les jeunes ne sont plus motivés par le syndicalisme, forcément…

Que faire ?

Par exemple interdire le renouvellement des mandats des délégués syndicaux, ainsi que leur cumul. Comme en politique finalement ! Surtout, il faut renouveler les cadres syndicaux et instaurer davantage de transparence. L’opacité et les relations étroites entre  certains dirigeants syndicaux et grands patrons d’entreprise doit cesser.

Votre engagement pour une gestion plus saine des syndicats vous a-t-il causé du tort personnellement ?

Je me considère comme un lanceur d’alerte. On ne peut pas accepter la non publication du rapport Perruchot ! Aujourd’hui, je suis syndicaliste chez Sud et je ne subis aucune pression. Mais entre 1981 et 2008, j’étais syndicaliste à la CGT et c’est vrai qu’à la fin je sentais bien que je dérangeais. J’ai même eu droit à deux procès en diffamation de la part de mon propre syndicat (j’ai gagné à chaque fois devant les tribunaux). Mais il faut bien que des gens parlent !

Propos recueillis par Aymeric Goetschy.

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