Uppercut
“L’Union européenne n’est plus que le véhicule de l’Allemagne” : pourquoi la déclaration choc de Donald Trump devrait sérieusement nous faire envisager un rapprochement franco-britannique
A quelques jours de sa prise officielle de fonction comme 45e président des États, Donald Trump a lancé un pavé dans la mare en estimant que "l'Union européenne n’est plus que le véhicule de l’Allemagne”. Cette déclaration du futur locataire de la Maison Blanche oblige à repenser les alliances stratégique de l'UE.
Roland Hureaux
Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.
Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.
Aurélien Véron
Aurélien Véron est président du Parti Libéral Démocrate et auteur du livre Le grand contournement. Il plaide pour passer de l'Etat providence, qu'il juge ruineux et infantilisant, à une société de confiance bâtie sur l'autonomie des citoyens et la liberté. Un projet qui pourrait se concrétiser par un Etat moins dispendieux et recentré sur ses missions régaliennes ; une "flat tax", et l'ouverture des assurances sociales à la concurrence ; le recours systématique aux référendums ; une autonomie totale des écoles ; l'instauration d'un marché encadré du cannabis.
Atlantico : Dans une interview accordée par Donald Trump au Times et à Bild, le président élu déclare que "l'Union européenne n'est plus que le véhicule de l'Allemagne". Dans quelle mesure faudrait-il, dans un contexte de refonte des alliances comme actuellement, imaginer un rapprochement avec la Grande-Bretagne ?
Aurélien Véron : Donald Trump vise souvent assez juste. C’est pourquoi son insolence de sale gosse narcissique et mal dégrossi fait mal. Ses réponses consternantes n’enlèvent rien à la lucidité de son diagnostic. L'Europe ne tient qu'à un fil, et ce fil est allemand. L'Italie surendettée - dette à 133% du PIB - ressort gravement fragilisée avec la démission de Matteo Renzi. La France est inexistante depuis 2012. Le Brexit a fini l'ouvrage de détricotage de l'Union européenne. Laisser le Royaume Uni larguer les amarres sans chercher à la faire revenir au port constituerait la plus grande erreur de la décennie. Nous avons bien plus besoin des Britanniques que les Britanniques des Européens. L'Allemagne est sage mais n'a aucune envie de prendre le leadership d'un continent agité, malade de ses buveurs de vin. Outre-manche, on a su conjuguer la culture des buveurs de bière à celle des buveurs de vin. Le ferment capable de relancer l’Europe pourrait bien venir de ce berceau de la démocratie - la plus ancienne et la plus stable - et des libertés qu'elle a souvent dû venir défendre sur le continent.
La France ne devrait pas laisser Theresa May s'enliser dans un rejet irrationnel et chaotique du continent. Pour affronter la tempête qui nous menace tous en Europe - dette, vieillissement, nationalismes -, nous allons avoir besoin du talent des solides navigateurs que sont les Anglais (même si Armel Le Cléac'h devance encore Alex Thomson dans le Vendée Globe) ! Nous devons admettre qu’ils avaient de bonnes raisons de prendre leurs distances avec l'Europe, même si ce ne sont pas celles qui ont motivé les électeurs à voter le Brexit. L’Europe n’est pas elle-même en proie au doute et aux égarements dangereux ? Les politiques français - même ceux qui se prétendent européens - n’ont pas été les derniers à tirer sur l’Union européenne.
Partageons avec les Anglais le constat des dérives du continent pour reconstruire ensemble une Europe des libertés. Les libéralismes anglais et français pourraient – et devraient - être les piliers d'une renaissance européenne, distincte mais pleinement compatible avec l'ordo libéralisme allemand. Et même complémentaire, somme de Thatcher + Schroëder.
Roland Hureaux : Il est significatif de l'affaiblissement de la France sur la scène internationale que Trump exprime son point de vue sur l'Europe et l'OTAN dans un journal allemand et un journal anglais seulement. De la même manière, Obama en visite en Europe s'est arrêté à Berlin et à Londres, pas à Paris. Or, soit dit en passant, Obama était favorable à l'Europe supranationale, ce qui montre que cela n'a rien à voir avec le retour des Etats nations. C'est le résultat de la politique lamentable de Hollande.
Il est important de savoir que, de Washington, on voie l'Europe comme le véhicule de la seule Allemagne. Le rapport de force international est largement ce que les gens croient qu'il est. Il est vrai que l'Allemagne profite beaucoup plus de l'Europe et surtout de l'euro que les autres pays. Là aussi la place de la France s'est rapetissée.
Mais ce n'est pas seulement une question de force économique. La France a aujourd'hui la première armée d'Europe occidentale et cela n'entre pas en ligne de compte. L'explication de ce recul est dans la faiblesse de nos dirigeants et l'incompétence de notre diplomatie.
Il s'est produit, il y a quelques années, sans doute avec Sarkozy (et Kouchner) une rupture sans précédent dans l'histoire de la diplomatie française qui nous met aujourd'hui en très mauvaise posture. Le Quai d'Orsay a cessé d'être une machine diplomatique pour devenir une officine idéologique où on ne fait plus carrière que dans l'extrémisme, dans le courant dominant bien entendu.
La France a toujours été partie prenante à des alliances mais depuis le général de Gaulle elle se singularisait généralement en se tenant en retrait, étant ainsi toujours prête à jouer les tierces parties. Aujourd'hui que, la France cherche encore à se distinguer, mais en faisant de la surenchère, comme le roquet en avant de la meute : on l'a vu avec la Libye et la Syrie, on le voit avec le Brexit. C'est évidemment très ennuyeux quand le vent tourne.
C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier les premiers pas de Trump en Europe.
Pour les Etats -Unis, il y aura toujours une place pour l'Angleterre, Trump a tendu la main à Mme May, il a ajouté un message à l'Allemagne pour son influence prépondérante. La France en revanche est clairement passée au second rang.
Ceci dit, ne surestimons pas le rôle de l'Allemagne : Mme Merkel est très affaiblie par sa politique d'accueil des réfugiés qui a mis un grand désordre outre Rhin. Pour certains sujets essentiels, comme la solution de la crise de l'euro de 2015, elle est apparue comme un relais des Etats-Unis: s'il n'avait tenu qu'aux Allemands, la Grèce serait sortie de l'euro, ce sont les Américains qui ont imposé qu'elle y reste. Quant aux réfugiés, là aussi, il semble que ce soit Erdogan (avec l'appui d'Obama) qui ait imposé à Merkel de les accueillir largement.
Comment la France peut-elle sortir de sa position lamentable d'abaissement ? Bien sûr, nous pourrions nous rapprocher de l'Angleterre mais cela signifierait l'abandon de notre positon punitive à l'égard du Brexit, ce qui supposerait un changement complet de pied que Hollande n'est pas prêt à faire avant son départ.
Par derrière la question du Royaume-Uni, se pose la question, plus fondamentale, de notre attitude vis-à-vis de la nouvelle donne qui résulte de l'élection de Trump et de son rapprochement avec Poutine. Comment les Européens et particulièrement les Français pourraient-ils se remettre dans le circuit ?
Il faudrait prendre les devants pour appuyer le rapprochement Trump-Poutine qui pose les bases d'un monde radicalement nouveau. Et même être les premiers à le faire. Cela passe par une nouvelle attitude non seulement face à Trump mais aussi face à Poutine.
Celui qui arrivera à monter le premier, sans inféodation ni bassesse, dans le train Trump Poutine, avec ou sans Bruxelles, tirera son épingle du jeu.
La France aurait pu jouer sa carte en prenant la première le nouveau train des choses. Elle pourrait profiter de l'obstination de Merkel à maintenir les sanctions vis à vis de la Russie et du fait que Trump ne semble pas l'aimer beaucoup : il l'a même traitée de folle !
Hélas, je ne vois pas comment la France de Hollande qui pourrait s'engager dans cette voie.
Je crains que ce soit une nouvelle fois l'Angleterre qui soit en pole positon. Trump a donné un satisfecit aux Britanniques pour le Brexit alors que les continentaux les battent froid. Le premier partenaire de Washington et de Moscou en Europe, avec tout autre que Hollande aurait pu être la France. Malheureusement ce ne le sera pas.
Le Royaume-Uni, Brexit ou pas , doit aussi manger sn chapeau : il reste attaché au libre-échange ; au Proche-Orient et face à la Russie, il avait fait lui aussi (et fait encore en Syrie) de la surenchère. Il reste qu'il est le seul en Europe à avoir amorcé un virage.
Ce serait une bonne raison de faire un pas de faire un pas vers les Britanniques.
Mais Hollande est aujourd'hui, comme Merkel, comme Juncker, dans le déni. Ils n'ont pas "avalé" l'élection de Trump - ni la défaite des djihadistes en Syrie. Ils font au nouveau président des leçons de morale crispées : ils se posent en gardiens des "valeurs " : on se demande lesquelles quand on a contribué avec Obama et Clinton à mettre à feu et à sang plusieurs pays du Proche-Orient et l'Ukraine. Hollande vient de dire que l'Europe n'a de leçon à recevoir de personne". Que n'osa-t-il dire la même chose quand Obama est venu à Prague nous presser pesamment de faire entrer la Turquie dans l'UE ou critiquer la France pour l'interdiction du voile !
L'élection de Trump contredit le sens de l'histoire auquel ces gens avaient cru: de moins en moins de frontières, de moins en moins d'Etat-nation (et donc pus d'Europe et de mondialisme) , de moins en moins de repères, une société de plus en plus libertaire . Ils étaient dans le cadre de l'OTAN les porteurs de ce projet universel contre le reste du monde , en premier lieu contre la Russie , supposée rétrograde, et voici que la tête du dispositif ( les Etats-Unis) change de camp !
Se trouve à l'unisson de ce déni, un journal comme Le Monde, qui fait ses grands titres sur les soi-disant interférences russes dans la campagne américaine, ce qui veut dire que, comme l' establishment pro-Clinton, il mise sur la destitution de Trump . On peut toujours rêver.
Nous devrions faire aussi un geste vers Trump et pour le moment il n'en est pas question.
En chantant les louanges du Brexit, en critiquant fortement l'Union européenne et l'OTAN, Trump joue certes les provocateurs à l'égard de ceux qui sont stupidement boudé son élection , mais il annonce aussi une Europe nouvelle.
Qu'est-ce que cette confédération apporterait à la France que l'Union européenne ne confère plus ?
Roland Hureaux : Confédération, le mot est un peu fort. S'agissant de relations de pays d'Europe entre eux, nous avons encore, malgré Bruxelles, quelque chose comme un "concert européen", ce qui veut dire deux choses :
- Il n'y a pas d'alliance exclusive (comme il y en avait eu ces dernières années des pays de l'OTAN à l'égard de la Russie ou comme l'UE en elle-même en constitue une mais seulement vis-à-vis de l'extérieur) . Nous sommes comme sur une piste de danse : on peut avoir un ou une partenaire privilégié mais faire de temps en temps un tour de valse avec un ou une autre partenaire.
- Les positions se distribuent de manière relativement stable entre les partenaires selon les sujets traités. S'agissant du libre-échange, qui n'est plus l'ordre du jour du fait de Trump, c'était plutôt l'Allemagne et le Royaume-Uni favorables contre la France plus réticente. S'agissant du soutien à l'agriculture, ce sont la France et l'Allemagne pour, le Royaume-Uni contre, pour la coopération militaire, la France et la Grande-Bretagne en avant, l'Allemagne en arrière etc.
Ces clivages sont plus ou moins des constantes qui ne vont pas disparaitre du jour au lendemain. Le meilleur moyen de se rapprocher de la Grande-Bretagne est donc de relancer la coopération militaire bilatérale, mais il y faut des moyens financiers qu'aucun des deux n'a pour le moment la volonté d'engager. Trump presse pour une meilleure contribution financière des pays de l'OTAN à leur défense, mais il n'est pas sûr qu'il y arrive, surtout s'il envisage de dissoudre l'organisation.
Pour ce qui est de l' Union européenne, elle est très mal en point : avant même l'élection de Trump, elle avait sa crise interne , au moins pour son volet principal, l'euro (l'affaire grecque n'est pas terminée ! ) et aussi la politique migratoire, mise à mal par les initiatives de Merkel contestées par le groupe de Visegrad.
Au moment où va s'engager le rapprochement Poutine - Trump, l'Europe va être encore pour quelques mois paralysée par un affaiblissement du leadership: Hollande , Merkel , Rienzi sont plus ou moins carbonisés . Le président du Conseil espagnol Rajoy n'a pas de majorité. Et aucune de ces personnalités ne pèse assez face à des géants comme Poutine et Trump (et Erdogan ?)
Comme je vous le disais, la seule à pouvoir s'insérer, c'est Mme May mais il me semble qu'elle se prend un peu les pieds dans le Brexit qu'il est vrai les continentaux font tout pour compliquer.
Celui qui arrivera à monter le premier, sans inféodation ni bassesse, dans train le train Trump Poutine, avec ou sans Bruxelles, tirera son épingle du jeu.
Hélas, je ne vois pas comment cela pourrait être la France de Hollande.
Aurélien Véron : La France est à l’arrêt depuis des décennies. Notre modèle social d’après-guerre produit du chômage et de la misère à la chaine. L’école est la plus inégalitaire d’Europe, les assurances sociales protègent de plus en plus mal, l’entreprise est en crise, l’Etat gonfle maladivement avec la dette, notre pays est plus divisé que jamais. Une telle confédération fondée sur le libre-échange, la protection de nos libertés et la concurrence fiscale et règlementaire relancerait l’esprit d’initiative, de réforme et de progrès. L’Etat déifié serait remis à sa modeste place, celle de protéger nos vies… et nos droits. Mais pour y parvenir, le continent a besoin d’une sévère cure de désintoxication à l’Etat providence qui mène - comme il l’a toujours fait - à la paupérisation générale et aux populismes. Bref de se voir inoculer le virus libéral anglais pour retrouver sa vitalité, sa créativité et sa confiance en lui-même dans un monde ouvert où la mobilité est constante et inarrêtable.
Et quelle forme ce rapprochement pourrait-il prendre ? Impliquerait-il nécessairement de s'éloigner de l'Union européenne ?
Aurélien Véron : C’est là que le bât blesse. Le processus engagé n’a quasiment aucune chance d’être remis en question. La sortie de l’Union européenne a été décidée par les Anglais, avec à la clef des années de procédures en perspective et le retour des séparatismes irlandais et écossais. Ils vont susciter la résurgence des nationalismes européens et nourrir des tensions que nous pensions disparues jusqu’au 23 juin 2016. Sauf catastrophe planétaire – ce que personne ne souhaite - permettant de justifier politiquement l’arrêt de cet engrenage monstrueux, nous allons devoir assister, muets, à l’implosion lente de l’Union européenne. A la plus grande satisfaction de Donald Trump qui compte bien profiter de notre faiblesse pour taxer nos exportations vers les Etats-Unis. La dernière fois que les Etats-Unis ont érigé des barrières protectionnistes, ils ont déclenché une crise mondiale qui s’est soldée par la seconde guerre mondiale. Raison de plus pour reprendre notre « destin en main », comme le suggère Angela Merkel, et proposer aux Britanniques un nouveau pacte européen fondé sur la liberté.
Roland Hureaux : Une rupture complète avec l'Union européenne n'est pas nécessaire dans l'immédiat. Ni une rupture avec l'euro qui mourra sans doute de sa belle mort à la prochaine crise financière sans qu'il soit nécessaire de prendre les devants. L'Union européenne marche par crises. Tant qu'il n'y a pas de crise, elle peut continuer sur l'inertie. Quand éclate une crise (la Grèce, peut-être bientôt l'Italie), fera-t- on l'effort de la résoudre ou non ? Je crains que depuis le Brexit le moral n'y soit plus. Et par derrière, une autre question : quelle sera l'attitude de Trump ? Interviendra- t-il pour forcer les Européens à se mettre d'accord, comme Obama l'a fait dans la crise grecque ou laissera-t-il l'édifice partir en vrille ? Ce n'est pas parce quil a critiqué très fort l'Union européenne qu'il ne cherchera pas à la sauver, le jour venu.
Je reviens sur ce que je disais au sujet du "concert européen". Le Brexit ne doit pas conduire à le rétrécir mais à l'élargir. Faute d'avoir une visibilité à court terme, rien ne nous empêche de réfléchir à une nouvelle organisation de l'Europe pour un avenir plus lointain.
Je la vois moins comme un bloc qui oppose les in et les out que comme une Europe "à la carte" composée d' une galaxie d' agences indépendantes pouvant intégrer au cas par cas certains pays tiers ( Royaume-Uni , Russie, voire Turquie, Maroc ) et où à l'inverse la participation des membres actuels ne serait pas obligatoire. Cela permettrait de jouer un jeu plus subtil qu' aujourd'hui : le Royaume-Uni , isolé par le Brexit ne deviendrait pas le 51e Etat des Etats-Unis et la Russie qui a toujours rêvé, non de détruire l'Europe occidentale come le disent les ignorants mais de s'y insérer, échapperait à la tentation du duopole avec les Etats-Unis. En même temps, les Etats d'Europe seraient libérés d'un carcan qui apparait de plus en plus comme une faiblesse et non une force. J'ajoute que ces agences permettaient de recycler le personnel de Bruxelles très inquiet pour son avenir.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !