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Le FN se retrouve en tête des intentions de votes (23%) aux élections européennes
Le FN se retrouve en tête des intentions de votes (23%) aux élections européennes
©Reuters

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Le Front national est déjà annoncé vainqueur dans les villes de Fréjus, Hénin-Beaumont et Forbach pour les élections municipales. Et se retrouve en tête des intentions de votes (23%) aux élections européennes. Analyse du profil des électeurs du parti de Marine Le Pen.

Guillaume  Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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Atlantico : Crédité de 35% des voix au premier tour, Florian Philippot devance le maire sortant (33%) pour les élections municipales de Forbach en Moselle (sondage Ifop pour Europe 1). Même situation pour la ville d’Hénin-Beaumont : la liste FN conduite par Steeve Briois, l’emporterait au second tour avec 50,5% des intentions de vote. Le FN l’emporte-t-il forcément dans des régions particulièrement désindustrialisées ?

Guillaume Bernard : Dans les récents sondages, il y a aussi le cas de Fréjus qui a défrayé la chronique : le FN est donné gagnant. Il est certain que l’échec des gouvernements de droite et gauche depuis une trentaine d’années profite au Front national : c’est une lapalissade. Ce qui est plus récent, c’est la progression de ce parti dans les villes moyennes, dans ce qui a été identifié comme la France périphérique qui ne profite pas et même pâtit de la mondialisation. Par conséquent, les régions frappées de plein fouet par la désindustrialisation se tournent presque naturellement vers le FN. Il est donc tout à fait possible qu’en mars prochain ce parti engrange des victoires. Et, ce, d’autant plus que, le « Front républicain » étant moribond, le mode de scrutin ne sera pas pour lui, cette fois, un handicap : en effet, au second tour, c’est la liste qui arrive en tête qui l’emporte. 

Au niveau national, ses résultats seront sans doute diminués par le fait qu’il ne présente qu’environ 500 listes. Mais, ce qu’il faudra regarder c’est sa progression là où il aura été présent. Si les pronostics se réalisent, il semble que l’on se dirige vers une recomposition du système partisan en trois pôles susceptibles (du moins en fonction des élections et/ ou en fonction des lieux) d’être de force à peu près équivalente : le PS et ses alliés, l’UMP et une partie du centre et, enfin, le FN. Cette transformation du paysage politique peut avoir des conséquences extrêmement lourdes comme l’incapacité de dégager une majorité parlementaire autre que par une « grande coalition ». 

Impôts, sécurité, emploi, éducation,… comment les motivations du vote FN ont-elles évolué ? Le vote FN est-il toujours un vote de contestation ?

Guillaume Bernard : Il est assez difficile de démêler ce qui relève de la protestation et ce qui appartient à l’adhésion. Elles sont, en fait, intimement liées : le vote FN peut (mais pas nécessairement) commencer par être l’expression d’un rejet des autres partis politiques pour, ensuite, se transformer en adhésion. Au sein de l’électorat FN, la progression de l’adhésion est, ces dernières années, certaine : si seulement la moitié des électeurs du FN il y a encore quelques années souhaitaient vraiment l’arrivée au pouvoir de son candidat à la présidentielle, ils sont maintenant une écrasante majorité (plus de 85 % semble-t-il). Quand il vote pour le FN, l’électeur ne se détourne plus seulement des autres partis, il fait un choix positif (du moins sur certains thèmes : l’immigration et l’insécurité bien entendu, mais aussi dans une moindre mesure la crise économique et sociale et la construction européenne). 

De manière générale, il est certain que le vote aux extrêmes est plus protestataire que celui qui se porte sur les partis modérés puisqu’il s’appuie sur le rejet des "sortants". Cela dit, est-il vraiment crédible de penser que les électeurs qui votent pour un parti libéral ont attentivement lu Adam Smith ou que ceux qui se prononcent pour les sociaux-démocrates ont une vision précise de l’œuvre de John Maynard Keynes ? Ainsi, l’opposition entre vote protestataire et vote d’adhésion mérite-t-elle d’être très fortement relativisée. Dans tous les courants d’opinion, la plupart des électeurs adhèrent, même de manière quelque peu imprécise, à quelques grands principes. Pour le FN, c’est le protectionnisme et la préférence nationale. 

Parmi les enjeux suivants relatifs à votre commune, quels sont les deux qui vont le plus compter pour vous au moment de votre vote, aux élections municipales des 23 et 30 mars prochains ?

Source : ifop

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Selon un sondage publié par le JDD, les listes du Front national obtiendrait 23% des voix aux élections européennes, contre 21% pour celles de l’UMP, et 18% pour le PS et le Parti radical de gauche. Quel est le profil des votants du front aux élections européennes ? Les votants affichent-ils ainsi leur adhésion au discours anti-européen de Marine Le Pen ?

Guillaume Bernard : Les élections européennes font partie de celles qui intéressent le moins les électeurs. Deux facteurs vont donc vraisemblablement jouer. D’une part, ceux qui se déplacent sont les plus motivés. Il est vraisemblable que le camp qui aura perdu les municipales sera plus démobilisé que l’autre. D’autre part, les électeurs qui se déplacent le moins sont plutôt les catégories populaires (plutôt eurosceptiques) que supérieures (plutôt en faveur de la construction européenne). Le résultat des élections européennes est donc encore assez aléatoire. 

Le FN risque de pâtir d’un désintérêt d’une partie de ses électeurs. Mais il peut espérer mobiliser (effet d’entraînement) par de bons résultats, voire des victoires, dans certaines communes. Enfin, il peut profiter d’un certain vote flottant : des électeurs qui auraient voté UMP aux municipales pour battre la gauche pourraient se reporter sur le FN aux européennes pour marquer leur mécontentement envers la classe politique dans son ensemble ou pour défendre certaines idées comme le souverainisme. Il ne faudrait pas perdre de vue le référendum de 2005 qui avait refusé la ratification du Traité établissant une constitution pour l’Europe et que la majorité des « non » venait de la droite. Un récent sondage, publié par votre site, n’a-t-il montré qu’une majorité de Français (écrasante à droite) était favorable à une renégociation des accords de Schengen dans le but de limiter la liberté de circulation ? La construction européenne est une question pour laquelle la droite modérée est particulièrement en mauvaise posture : son électorat est divisé. C’est un sujet où la fracture politique passe plus au sein de la droite qu’entre celle-ci et la gauche. Il est donc assez probable qu’une partie des électeurs de l’UMP se reportera sur le FN. 

Si les élections européennes avaient lieu dimanche prochain, parmi les listes suivantes, pour laquelle y aurait - il le plus de chance que vous votiez ?

Source : Ifop

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Source : Ifop

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Un sondage Ifop pour le JDD du 8 février 2014 montre que les intentions de votes pour les municipales chez les 18-24 ans sont très largement dirigées vers les listes du RBM/FN. En effet, près de 27% d’entre eux s’apprêteraient à voter pour un candidat RBM/FN. Qui sont les jeunes qui votent à l’extrême droite ? Sont-ils les mêmes qu’au temps de Le Pen père ?

Guillaume Bernard : La chose est bien connue de la sociologie politique : les jeunes sont plus portés à voter pour un parti extrême que les plus âgés. Le même phénomène touche les femmes par rapport aux hommes. Il n’est donc pas particulièrement étonnant que le FN semble toujours convaincre plus les jeunes que les vieux, plus les hommes que les femmes, plus les CSP – que les CSP +. 

Mais, ces généralités ne sont pas toujours aussi vraies qu’auparavant. Le FN séduit le moins parmi les 25-35 ans et les plus de 65 ans, mais s’il fait de très hauts scores parmi les 18-24 ans, il en fait aussi parmi les 40-65, sans doute parmi les personnes plus inquiètes quant à leur avenir et celui de leurs enfants. Par ailleurs, les CSP + ne sont pas toujours hostiles au FN : il semble qu’elles votent plus facilement pour lui dans le Sud-Est qu’ailleurs en France. Quant aux femmes, qui semblaient rétives vis-à-vis du vote FN, elles semblent avoir un vote en faveur de ce parti, du moins dans le Nord, de moins en moins différent de celui des hommes. Ainsi donc, l’électorat FN se lisse-t-il : le vote pour ce parti se répand dans toutes les catégories sociales. 

De manière générale, l’électorat FN semble se cristalliser. Il devient moins volatile qu’auparavant et se fidélise d’élections en élections. En outre, il progresse en captant des électeurs venant de droite et de gauche : en règle générale, les nouveau électeurs FN semblent venir pour les 2 / 3 de droite et pour 1 / 3 de gauche. Ceci est surtout vrai pour le Nord, l’Est et le Sud-Est car ailleurs, dans le Sud-Ouest et des grandes métropoles, là où les scores du FN sont les plus faibles, il semble que, en fonction de l’élection prise comme référence, la proportion soit susceptible d’être inverse. 


Le souhait de victoire aux élections municipales de mars 2014

Source : Ifop

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Marine Le Pen, en visite au Salon de l’Agriculture, a estimé que 40% des agriculteurs présents votaient FN. Le monde agricole est-il le nouvel électorat du parti ?

Guillaume Bernard : Je dois avouer ne pas être capable de différencier entre les agriculteurs en général et ceux présents au salon de l’agriculture. Ce qui est certain, c’est que les agriculteurs votent très nettement plus à droite que la moyenne des Français (sauf peut-être dans la catégorie des maraîchers). Très majoritairement, ils se prononcent pour la droite modérée. 

Ceci dit, ils sont près de 20 % à avoir voté pour le FN lors de la dernière présidentielle. Et, ce phénomène est en progression (notamment par un transfert d’anciens électeurs du centre et de droite). Deux facteurs pourraient contribuer à augmenter encore ce pourcentage : la déception pouvant aller jusqu’au rejet de la construction européenne et un certain mimétisme social (la progression du vote FN dans le milieu rural en général). 

Comment le profil sociologique des électeurs du FN a-t-il évolué ?

Guillaume Bernard : L’électorat du FN s’est construit par sédimentation. Au noyau dur de la droite radicale (d’ailleurs hétéroclite), se sont ajoutées d’autres couches (venues de droite depuis les années 1980 et de gauche à partir des années 1990), plus ou moins friables en fonction des circonstances. L’électorat du FN est, comme pour tout autre parti, à la fois déterminé (serait-il trop caricatural de citer le cas des Pieds-Noirs ?) et flottant. Ce parti a d’abord capitalisé sur le rejet des autres organisations puis s’est consolidé grâce à un phénomène d’adhésion à ses propositions ; il serait illusoire de penser qu’un parti puisse régulièrement réunir entre 10 et 20 % des suffrages, et ce pendant trente ans, en n’étant porté que par un vote exclusivement protestataire.

Les raisons du vote FN peuvent être rangées dans deux catégories : il y a, d’une part, des raisons conjoncturelles et, d’autre part, des raisons structurelles. Dans la première catégorie, il faut évoquer la perte de confiance (pouvant aller jusqu’à la défiance) dans la classe politique "institutionnalisée". A cela s’ajoute la tentation (pouvant être résignée) de la nouveauté : tous les autres partis ayant échoué, il ne reste plus que le FN à essayer. 

Dans la seconde catégorie, deux types de motivations peuvent être dégagées : la répression et la prévention. Le vote répressif et réactionnaire est celui des personnes qui vivent des situations qu’ils jugent injustes (insécurité physique et matérielle, insécurité économique et sociale, insécurité culturelle) : par ce vote, ils entendent, ne serait-ce que symboliquement, réagir contre elles. Le vote préventif et solidaire est celui des personnes qui ont réussi à échapper à ces insécurités (par exemple en fuyant certains lieux) ou qui ne les connaissent pas (mais les déplorent pour les autres et les craignent pour eux-mêmes) : par ce vote, ils espèrent ainsi les conjurer. Ce second type de vote explique qu’il puisse y avoir un important vote FN dans des circonscriptions qui ne connaissent pas ou peu, par exemple, l’immigration. C’est ainsi que les scores du FN se sont développés dans le péri-urbain et le monde rural.

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