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Les niveaux de confiance des Français envers la justice évoluent en fonction des grandes affaires.
Les niveaux de confiance des Français envers la justice évoluent en fonction des grandes affaires.
©Reuters

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Les niveaux de confiance des Français envers la justice évoluent en fonction des grandes affaires. Le rapport des citoyens à cette institution est complexe : service confronté par nature à l'échec, qui induit systématiquement un perdant, il ne peut satisfaire tout le monde.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Des sondages sont souvent menés lors de grandes affaires judiciaires, largement médiatisées. C'est le cas ces derniers jours pour la mise en examen de Nicolas Sarkozy, mais ce fut aussi le cas lors de l'affaire Outreau. Comment ces événements influent sur la perception de la justice par les Français ?

Philippe Bilger : Pour ce qui est de Nicolas Sarkozy, on a évidemment la mise en cause d’un ex-président qui peut intéresser l’opinion publique. Je dirais qu’en général, je ne suis pas persuadé que les affaires qui reviennent régulièrement et qui ont un caractère mi-politique, mi-judiciaire, soient véritablement de nature à avoir une incidence sur l’opinion publique.

Méthodologie : Sondage LH2 pour "Le Nouvel Observateur" réalisé les 22 et 23 mars, par téléphone, auprès d'un échantillon de 968 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).

Outreau, bien sûr, a été une immense tragédie collective dont les effets se sont fait durablement sentir. D’une certaine manière, même le citoyen lambda pouvait se sentir impliqué, préoccupé, par ce qui apparaissait comme un drame de la justice au quotidien.

Méthodologie : Sondage TNS Sofres/Logica pour Elephant & Cie, France 2 et Le Parisien réalisé du 25 au 28 septembre 2009, auprès d'un échantillon de 1000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile (méthode des quotas).

D’ailleurs, il faut bien voir que la publication de sondages réguliers sur la justice n’a guère de sens : cela peut fluctuer d’une semaine à l’autre. Il suffit que la justice ait eu affaire à un tueur en série et ait bien joué son rôle pour que d’emblée, la confiance envers la justice ne grimpe. Il suffit d’une affaire Sarkozy avec un affrontement droite / gauche, au-delà de la discussion judiciaire, pour que les résultats du sondage soient différents.

Je n’attache pas une importance décisive à ce type de sondages pour une autre raison, de fond : il est évident que le service public de la justice n’est pas un service public comme les autres. Le citoyen le ressent, plus ou moins confusément, mais la justice est un service qui gère en bout de course des situations qui sont par définition des situations d’échec. Il y a forcément un perdant et un gagnant, lors d’un procès : le gagnant n’a jamais assez gagné et le perdant a toujours trop perdu. Pour ceux qui sont confrontés à la justice, le rapport à ce service que l’on choisit contraint et forcé, est toujours bien particulier.

Si au cours des dernières années, les Français manifestent globalement une certaine confiance envers la justice, ils s’inquiètent à l’inverse de sa capacité à bien fonctionner et de ses moyens. Comment comprendre cette perception ?

C’est une opinion. Parmi les Français, certains ont dû être justiciables et ont certainement pâti de la lenteur de la justice. D’autre part, il est évident que le discours dominant, médiatique, reprenant celui des syndicats, insiste lourdement sur le manque de moyens.

On peut toujours souhaiter que la justice pénale, mais aussi les autres, soient dans un état alarmant. Il est normal de la souhaiter avec un meilleur fonctionnement. Pour ma part, j’estime qu’il ne faut pas nourrir la logique du pire : je reste persuadé qu’en dehors du fait qu’un citoyen faisant appel à la justice ne peut jamais être pleinement satisfait, mais je dirais que globalement, la justice fonctionne bien. Il y a des améliorations à apporter, on peut toujours tendre vers le mieux, mais on ne peut pas lui reprocher globalement de déshonorer la mission qui lui est confiée. Evidemment, on ne peut jamais refuser une augmentation des moyens et un accroissement du budget, mais je crois qu’il serait dangereux de laisser penser que ce soit la clef de tout.

Jamais, même dans cinquante ans, un syndicat ne viendra dire qu’il n’y a pas besoin de moyens supplémentaires. Je ne suis pas convaincu qu’une recherche systématique de plus de moyens solutionne toutes les limites de la justice. Pour reprendre l’exemple d’Outreau, je ne suis pas convaincu qu’à l’époque, plus de moyens auraient suffi à rendre les pratiques judiciaires détestables meilleures. Les moyens, si l’on en a d’avantage, tant mieux, mais qu’on ne laisse pas croire qu’il suffit de moyens pour améliorer la qualité de la justice.

Méthodologie : Sondage Ifop pour "Le Figaro" réalisé les 10 et 11 février 2011, par questionnaire auto-administré en ligne (CA WI - Computer Assisted Web Interviewing), auprès d'un échantillon de 1003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).

Si l’on remonte dans le temps, on remarque que dans les années 1960, les Français n’avaient vraiment pas confiance en la justice. Un rapport qui s’est largement amélioré lors des années récentes. Comment analyser cette évolution ?

Ecoutez, j’avoue que je ne sais pas. Je dois même admettre que j’aurais parié sur l’inverse, sur un délitement de l’appréciation positive !

Paradoxalement, le fait que les années 1960 aient été une phase de transition, qui a été remarquable sur le plan politique et économique, peut avoir créé une sensation d’instabilité et d’incertitude. Les réformes Debré, sur un plan judiciaire, montraient une vraie transition démocratique qui a pu entraîner une méfiance des citoyens envers la justice. Il ne faut pas non plus oublier que quelles que soient les immenses qualités d’un De Gaulle, il ne portait pas la justice en très haute estime. Et si l’exemplarité ne vient pas d’en haut, je crois à un effet assez délétère sur l’ensemble de la communauté nationale.

Il est à la fois étonnant et rassurant de voir que la confiance envers cette institution a progressé. Mais elle se confrontera toujours aux limites que j’ai évoquées à cause du service politique qu’elle représente. Elle est confrontée également à l’inculture judiciaire du citoyen, et cela, je ne peux pas lui reprocher, mais surtout l’inculture judiciaire de la classe politique elle-même. Cette dernière conduit non seulement vers une forme d’ignorance dévastatrice, mais conduit parfois, comme dans le cas des diatribes de Guaino, à scier la branche démocratique sur laquelle ceux qui vitupèrent contre la justice se sont assis.

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