Lance Armstrong passe aux aveux : la confession publique, rituel américain et triomphe de la com'<!-- --> | Atlantico.fr
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Après des années de farouches dénégations, Lance Armstrong a reconnu s'être dopé lors d'une interview avec l'animatrice Oprah Winfrey qui doit être diffusée jeudi 17 janvier.
Après des années de farouches dénégations, Lance Armstrong a reconnu s'être dopé lors d'une interview avec l'animatrice Oprah Winfrey qui doit être diffusée jeudi 17 janvier.
©Reuters

Trans-Amérique Express

Bill Clinton l'a fait, Richard Nixon aussi. De même que Tiger Woods, Marion Jones et bien d'autres. Jeudi, ce sera au tour de Lance Armstrong de se prêter au rituel de la confession publique en reconnaissant qu'il s'est dopé. Pour expier ses fautes, préserver son avenir professionnel, et satisfaire à un rituel national.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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"Faute avouée est à moitié pardonnée". C’est bien connu. D’ailleurs ce proverbe est français. Mais il est surtout appliqué aux Etats-Unis où la confession publique est devenue un sport national. Mieux, un rite de passage. Une étape incontournable dans la carrière d’une vedette ou d’une  personnalité, qui ayant connu le triomphe et la gloire puis la chute et l’humiliation, recherche le Graal ultime, la rédemption.

Ce phénomène s’est considérablement accentué depuis l’avènement de la télévision. Et encore plus depuis que la télévision se regarde dans les bars et les restaurants, dans les gares et les aéroports, sur les mobiles, les tablettes, et sur Internet où une scène peut être visionnée à la demande et à l’infini.  

Du coup, une confession publique bien orchestrée et bien chorégraphiée, c’est-à-dire précédée de son "plan média", de fuites savamment répandues, d’articles dans les magazines et, même, de commentaires pre-confession, peut devenir un grand  événement. Un coup médiatique.

C’est exactement le cas des aveux de dopage du cycliste Lance Armstrong. Le septuple vainqueur du tour de France (de 1999 à 2006) a accordé un  entretien à Oprah Winfrey, personnalité vedette de la télévision américaine, dans lequel il avoue avoir fait usage de produits dopants. L’interview a été enregistrée le 14 janvier. Elle sera diffusée, sur la propre chaîne de la présentatrice : "Oprah Winfrey Network", le jeudi 17 et le vendredi 18 janvier. En deux fois. Pour deux fois plus d’audience, et surtout deux fois plus de pubs ! Avec un décalage de trois jours entre l’enregistrement et la diffusion qui donne  juste le temps de faire "monter la mayonnaise", c’est-à-dire, l’anticipation et le tarif des trente secondes de pub…

C’est le "scoop" de l’année aux Etats-Unis.

Et pourtant cet entretien ne révèlera rien de nouveau, puisque son point clé, l’aveu de dopage, a déjà été communiqué. Quant aux détails des dix années de tricheries et dissimulations ils ont déjà été révélés. Ils sont dans le dossier établi par l’USADA (l’agence anti-dopage du sport américain) et communiqué à la presse à l’automne. Plus de mille pages, d’une précision chirurgicale, accusant le coureur d’avoir été à la tête "du  plus important système de dopage de l’histoire du sport". 

D’ailleurs le verdict est déjà tombé. Dans les médias américains  le nom de Lance Armstrong est désormais systématiquement précédé de l’adjectif "disgraced", "déshonoré" ! Le lecteur ou le spectateur n’a plus besoin de se poser de questions les médias ont décidé pour lui…

Pour Lance Armstrong cette confession publique n’est que la face émergée de l’iceberg. Ses propos sont moins destinés au public qu’aux juges, et aux dirigeants de la "United States Anti-Doping Agency". L’ancien champion a été radié à vie de toute compétition et il lui faut passer aux aveux pour espérer retrouver le droit de courir. L’expression américaine est  "come clean", "devenir propre". Il est également poursuivi en justice par ses anciens coéquipiers et sponsors. Et pourrait l’être par le gouvernement américain ! L’équipe de Lance Armstrong dans les années 1990-2000 comptait comme principal sponsor le U.S. Postal Service, c’est-à-dire la poste américaine, qui est une agence gouvernementale. Or le contrat spécifiait que les coureurs devaient être "propres", c’est-à-dire, non dopés.

Pour les Américains, cet entretien revêt une importance d’une toute autre nature. La confession publique est un rituel national. Un rituel qui tient de la pratique religieuse et de l’exorcisme collectif, mais qui sert aussi à préserver le tissu social et communautaire.

Pour la coupable cette confession est une étape, nécessaire sur le chemin de la rédemption, personnelle et médiatique, et de la renaissance sportive, artistique ou politique. Il s’agit à la fois de reconnaître sa faute passée, et d’avouer son mensonge pour la masquer. Ce sont les deux faces d’une même pièce.

Et ca marche. Nombre de personnalités s’y sont soumises après avoir été prises en faute.

Bill Clinton, qui avait eu une conduite personnelle indigne d’un président, et avait menti pendant des mois à tout le pays, alors même que les preuves de ses écarts étaient exposées dans les journaux jour après jour… Ce même Bill Clinton a fini par faire un acte de contrition publique. Douze ans plus tard, il était l’invité d’honneur de la dernière convention démocrate et son implication dans la campagne a été un des éléments clés de la réélection de Barack Obama.

Richard Nixon, contraint à la démission, pour avoir tenté d’intimider la justice et de bloquer l’enquête sur le Watergate, avoue sa faute et retrouve dans ses derniers jours son statut de vieux sage de la politique américaine.

Tiger Woods, rattrapé par ses infidélités, finit par avouer ses excès, et suivre une thérapie, pour pouvoir réintégrer son milieu sportif et retrouver ses revenus plus que confortables.

Marion Jones, perdra ses titres olympiques et passera six mois en prison pour avoir menti sur sa prise de produits dopants, mais en avouant publiquement ses fautes elle parviendra à remonter la pente.

Et ainsi de suite.

A l’origine de ces confessions publiques, il y a la Réforme. Tandis que la religion catholique fait de la confession un acte privé, entre soi et Dieu par l’intermédiaire du prêtre, la religion protestante en a fait un acte public. Il s’agit pour le fautif de s’excuser personnellement et directement, non pas auprès de Dieu, qui sait tout déjà et jugera les fautes en temps voulu, mais auprès de ses proches, voisins, ou amis. Tous ceux  que le fautif aurait pu blesser par son comportement. Réciproquement, il s’agit pour ces proches et pour l’ensemble de la communauté d’être témoin de la confession. Pour en accepter la réalité et juger de la sincérité du fautif.

Il y a certes du voyeurisme dans le fait d’assister à une telle confession. On goûte ce spectacle comme autrefois on se délectait des exécutions en place de grève. Un certain public se complet inévitablement à la vue de la déchéance des autres ; se rassure à l’idée que s’ils ont réussi, et non pas lui ou elle, c’est parce qu’ils ont triché. Heureusement la providence a fini par les rattraper et les punir…

Mais il y a plus. La confession publique est une forme d’expiation collective. On y assiste pour partager la peine du fautif. L’objectif n’est pas individuel, il se veut universel. Il ne s’agit pas seulement d’imposer une humiliation publique à quelqu’un, ou de lui permettre de soulager sa conscience, il s’agit pour le groupe dans son ensemble de clore un incident. De mettre un terme à une dispute, afin de pouvoir continuer à vivre ensemble. Car la vie en société est basée sur le respect de certaines règles. Qui brise ces règles ne se met pas seulement en faute, il menace la survie de la société, en brisant le lien de confiance essentiel existant entre ses membres.

Armstrong a brisé ce lien, en se dopant, et en mentant au sujet de ce dopage. Sa "confession" est le premier pas pour tisser un nouveau  lien.

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