Ce que la géographie électorale nous apprend pour mieux comprendre le vote à la présidentielle de 2012 <!-- --> | Atlantico.fr
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Les élections présidentielles sont l'occasion de dessiner, à travers des cartes nationales, les rapports de force politiques majeurs dans le pays.
Les élections présidentielles sont l'occasion de dessiner, à travers des cartes nationales, les rapports de force politiques majeurs dans le pays.
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« Politico Scanner »

Les élections présidentielles sont toujours l'occasion de dessiner, à travers des cartes nationales, les rapports de force politiques majeurs dans le pays : le rapport gauche-droite bien sûr, mais aussi la permanence de courants plus extrêmes comme le Front national ou le Front de gauche.

Michel Bussi,Jérôme Fourquet et Céline Colange

Michel Bussi,Jérôme Fourquet et Céline Colange

Michel Bussi est professeur de géographie à Rouen.

Jérôme Fourquet est directeur du département opinion publique de l’Ifop.

Céline Colange est ingénieur de recherche CNRS au sein de l’UMR IDEES.

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Les élections présidentielles françaises fournissent périodiquement l’occasion de dessiner, à travers des cartes nationales, les rapports de force politiques majeurs dans le pays : le rapport gauche-droite bien entendu, symbolisé par la carte du second tour (à l’exception de 2002), mais également la permanence des courants qui dépassent ou flirtent avec un score "à deux chiffres" (Front National, centre, gauche de la gauche), et enfin la marqueterie des "petits candidats" dont l’audience ne dépasse guère 5%, mais dont la géographie témoigne souvent de clivages plus importants susceptibles de devenir décisifs à l’occasion de scrutins plus favorables (écologie politique, extrême gauche, souverainisme…). Cette photographie de l’opinion politique française est d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagne d’une participation massive aux élections, liée notamment à l’intense campagne électorale, presque uniquement relayée par des médias nationaux. Les cartes issues des élections présidentielles peuvent donc bien être considérées comme une géoscopie relativement exhaustive de l’opinion politique française.

Géographie des votes : une lente évolution stabilisée en 2012

Loin de marquer une rupture, les cartes de l’élection présidentielle de 2012 apparaissent davantage dans la continuité des scrutins antérieurs. Si les scores de Marine le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon dépassent ceux de leur parti aux élections précédentes, et ont pu être présentés par les médias comme des modifications majeures des équilibres politiques, la structure géographique de leur électorat est loin d’être nouvelle. Ainsi, le vote pour Marine le Pen en 2012, calculé sur les cantons français, est corrélé à 0,95 avec le score de Jean-Marie Le Pen en 2007 : difficile d’y voir une rupture géographique comparable à la rupture de ton de la candidate frontiste, ou même un élargissement spatial net des sphères d’influence du Front National. Le vote pour le Front de Gauche, bien que nettement supérieur à celui de la candidate communiste en 2007, Marie-Georges Buffet,  ne bouleverse pas non plus la géographie de la gauche de la gauche (corrélation de 0.74 entre le vote Mélenchon en 2012 et le vote Buffet en 2007). La parenté est toute aussi nette entre François Hollande au premier tour et la répartition spatiale des voix pour Ségolène Royal en 2007, avec une corrélation de 0.92, strictement la même que celle entre Nicolas Sarkozy en 2012 et 2007 (0,92). Les changements de candidats ne jouent donc qu’à la marge sur les assises géographiques des partis. Si leur influence est considérable sur le score final du parti qu’ils représentent, elle ne modifie que peu la disposition des fiefs ou terres de missions nationales.

La lecture du scrutin de 2012 sera analysée selon deux temporalités. Tout d’abord le temps court de la description des cartes de 2012 ou des évolutions 2007-2012, ensuite le temps plus long des trente dernières années, et la comparaison éclairante de la "France de gauche" de 1981 à celle de 2012.

L’érosion différenciée de l’électorat Sarkozy

A la lecture de la carte-1, on constate que le mouvement de baisse enregistré au niveau national par Nicolas Sarkozy (-4 points par rapport au premier tour de 2007) se vérifie sur quasiment l’ensemble du territoire mais de manière non uniforme. Des reculs particulièrement importants (entre -5 et -13 points par rapport à 2007) ont eu lieu sur les cinq grandes zones suivantes : le littoral méditerranéen et la Corse, Rhône-Alpes, le Massif Central, l’Est intérieur et le Bassin parisien élargi à la Picardie, Champagne-Ardenne et à la Beauce. 

La majeure partie des territoires de plus forts reculs du candidat UMP correspond à des zones où Marine Le Pen a fortement progressé et où cette érosion n’a pas pu être compensée par l’apport d’électeurs centristes de 2007. C’est le cas du littoral méditerranéen et de la Corse, du sud-est de Rhône-Alpes (Isère, Drôme), de l’Est Intérieur, de la Picardie et des marges du bassin parisien. A l’inverse, bon nombre de zones de force historiques de la démocratie chrétienne, où le vote Bayrou a connu une sévère hémorragie entre 2007 et 2012, se caractérisent par des pertes limitées pour Nicolas Sarkozy.

Si le vote frontiste n’a pas flambé dans la "grande Chiraquie" (Corrèze, nord du Lot et de la Dordogne, sud de la Creuse et est du Cantal), le recul important des scores de Nicolas Sarkozy s’explique localement cette fois par la forte progression qu’a enregistrée François Hollande dans son fief par rapport au niveau atteint par Ségolène Royal en 2007. Le candidat socialiste, comme Jacques Chirac en son temps, est en effet parvenu dans ces territoires à capter un électorat allant au-delà de son camp politique traditionnel.

Le recul de Nicolas Sarkozy a été en revanche plus limité (baisse de 3 points maximum) sur toute la façade ouest du pays, à Paris et dans l’ouest de l’agglomération parisienne ainsi que dans le nord de l’Alsace. D’autres territoires se caractérisent également par une stabilité ou une très légère érosion mais ils n’apparaissent pas sur la carte, dans la mesure où il s’agit de communes riches mais isolées. Qu’ils soient situés en province ou en région parisienne, les lieux de résidence et de villégiature de la bourgeoisie sont demeurés fidèles à l’ancien maire de Neuilly et ont de nouveau très massivement voté pour lui dès le premier tour. Cet effet de loupe, obtenu en se focalisant sur des communes assez importantes et caractérisées par des revenus élevés[1], permet de mettre en lumière la puissante mobilisation en faveur du candidat Sarkozy de la part de l’électorat de droite le plus aisé.

Les foyers de progrès du vote socialiste

La Corrèze élargie apparaît clairement sur la carte-2 comme le principal foyer de progression du candidat socialiste par rapport à Ségolène Royal. D’autres territoires ont également été marqués par une poussée significative du vote PS. Moins compacts et plus dispersés, ces espaces correspondent à des lieux où le vote en faveur de François Bayrou était important en 2007, une partie significative de ses électeurs ayant basculé (ou rebasculé, car le leader du Modem avait séduit de nombreux électeurs de centre-gauche en 2007) vers le Parti socialiste.

Ce phénomène concerne surtout des zones situées sur la façade ouest du pays : les Pyrénées-Atlantiques, le Finistère, l’Anjou, les bocages vendéen et normand avec plus au nord, l’extrémité du Cotentin.

La progression est également non négligeable en Ile-de-France, en Haute-Normandie mais également en Picardie, dans le Nord-Pas-de-Calais et Champagne-Ardenne avec par exemple 35 % (et + 6 points) à Charleville-Mézières, ville symbole où Nicolas Sarkozy avait prononcé son fameux discours sur la valeur travail s’adressant à "cette France qui se lève tôt", et dont une partie, notamment dans ces régions de l’Est intérieur, avait été sensible à cette rhétorique. Si le travail de reconquête de la France industrielle et populaire a donné des résultats dans ces régions, les gains ont été beaucoup plus limités qu’il s’agisse de la Lorraine, de l’Alsace, de la Franche-Comté et de la moitié septentrionale de la région Rhône-Alpes (à l’exception de la métropole lyonnaise). Plus au sud, des reculs ont été enregistrés dans toute une série de cantons isérois, drômois, des Alpes du Sud voire même varois. Dans ces territoires (où Arnaud Montebourg avait obtenu de bons scores lors de la primaire socialiste), la baisse du vote socialiste entre 2007 et 2012 s’est accompagnée d’une percée du vote Front de Gauche. On retrouve le même phénomène de l’autre côté de la vallée du Rhône en Ardèche, dans les Cévennes et plus à l’ouest encore dans les Corbières, l’Ariège, la Haute-Garonne, le Tarn-et-Garonne et une partie des Landes. Dans ces régions rurales et/ou de montagnes, très sensibles notamment à la question du maintien des services publics et à la forte tradition socialiste et radicale, l’écho significatif rencontré par le discours de Jean-Luc Mélenchon est venu concurrencer celui de François Hollande.

L’érosion de la structure historique du vote centriste

A travers l’analyse des évolutions des votes UMP et PS entre 2007 et 2012, nous avons croisé à plusieurs reprises en filigrane un autre fait politique majeur de cette élection : la forte hémorragie du vote Bayrou qui a vu son score passer de 18,6 % en 2007 à 9,1 % en 2012. Assez mécaniquement, ce sont dans les zones qui avaient le plus voté pour François Bayrou que l’on enregistre les plus fortes pertes. Aucun territoire n’a été épargné (ce qui veut dire que toutes les composantes de l’électorat Bayrou ont été touchées par ces mouvements centrifuges) et la carte de l’évolution du vote Modem entre 2007 et 2012 (carte-3) correspond en tous points à celle de la structure historique de la démocratie-chrétienne combinée à l’implantation personnelle du leader du Modem.

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Nouveautés et permanences du vote Mélenchon

La carte du vote Mélenchon présente de nombreuses similitudes avec la géographie historique et traditionnelle du vote communiste. La plupart des zones de force du candidat du Front de Gauche correspondent à des bastions communistes.

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C’est le cas dans la région Nord-Pas-de-Calais avec le bassin minier et le valenciennois, en Seine-Maritime, en Ile-de-France avec les communes de la banlieue rouge, dans l’Est avec la région de Longwy mais aussi dans le Gard ou bien encore avec les fiefs communistes des Bouches-du-Rhône. On retrouve enfin les campagnes irriguées par le communisme rural avec un vote Mélenchon important par exemple dans le centre-Bretagne (les Monts d’Arrée) ou dans le bocage bourbonnais dans l’Allier.

Mais le succès de la candidature de Jean-Luc Mélenchon a également résidé dans sa capacité à aller chercher des électeurs de gauche au-delà des rangs des seuls sympathisants communistes. Si le vote Front de Gauche est assez élevé et homogène dans toute la moitié sud de la France, la situation est  beaucoup plus contrastée au nord de la Loire. De vastes terres de mission se dessinent ainsi des places fortes conservatrices de l’Est de la France aux  zones de droite traditionnelles (Beauce, Perche,  Bocages normand et vendéen) dans la partie ouest du pays. Dans cette dernière, le Front de Gauche a néanmoins su trouver des points d’appui dans la plupart des grandes agglomérations. Jean-Luc Mélenchon a obtenu dans ces villes-centres et dans leurs immédiates périphéries des scores non négligeables. Ces villes de l’ouest constituent les principaux fiefs du PS dans cette région. Le développement du vote Front de Gauche s’yest donc effectué sur la base d’un électorat majoritairement socialiste (et également d’un apport de voix d’extrême-gauche). La différence avec la poussée observée dans le sud du pays réside dans le fait qu’elle s’est principalement concentrée dans l’électorat socialiste urbain alors qu’elle a concerné les cantons ruraux comme les villes dans le sud-est et le sud-ouest. Au regard de cette implantation en milieu urbain, certains commentateurs ont d’ailleurs qualifié le vote Mélenchon d’un vote de  «bobos». Le candidat du Front de Gauche enregistre certes des résultats élevés dans des territoires hyper-urbains où le mode de vie "bourgeois-bohème" est très répandu. C’est le cas des arrondissements de l’est parisien : 17,4 % dans le XXème arrondissement, 15,7 % dans le XIXème, 15,3 % dans le XVIIIème et 14,9 % dans le Xème, le long du canal Saint-Martin. On retrouve le même phénomène dans le Ier arrondissement de Lyon (19,9 %) ou bien encore à Grenoble (15,4 %), ville où les Verts réalisent régulièrement des scores élevés. Mais à la lecture de la carte-4, on voit que ces espaces de centre-ville gentrifiés ne représentent somme toute qu’une très faible proportion des zones de force du Front de Gauche, au sein desquelles les communes urbaines populaires, à tradition communiste notamment, et les cantons ruraux pèsent bien plus lourd.

La France de gauche… trente ans après

Le fait que François Hollande ait remporté l’élection présidentielle en obtenant quasiment le même résultat que François Mitterrand en 1981 (51,6 % contre 51,8 % à l’époque) a alimenté les commentaires sur la permanence immuable du rapport de force gauche/droite en France. Pour autant, à y regarder de plus près, on constate derrière cette stabilité en surface, de profonds bouleversements. Dans plusieurs régions, des évolutions spectaculaires se sont produites, ces mouvements débouchant sur un reconfiguration assez marquée du paysage politique français. La carte comparant le vote Hollande au vote Mitterrand à 31 ans d’écart  est de ce point de vue très parlante. Elle fait en effet apparaître un double mouvement : une progression très sensible de la gauche dans l’ouest de la France et inversement une érosion importante de ses positions dans l’est et le sud-est.

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Si la poussée de la gauche dans l’ouest concerne la majeure partie de la Basse-Normandie, des Pays-de-la-Loire, de la Bretagne[1], de Poitou-Charentes et des Pyrénées-Atlantiques, elle est particulièrement forte (progression de 7 points au moins) dans la dorsale de l’ouest intérieur (bocage de la Manche, Ille-et-Vilaine, ouest de la Mayenne, campagnes de la Loire-Atlantique et de l’est du Morbihan, Choletais, bocage vendéen), dans la majeure partie du Finistère, des Deux-Sèvres et des Pyrénées-Atlantiques. Dans tous ces territoires très ruraux et historiquement très catholiques, l’urbanisation, le recul de l’agriculture et de la pratique religieuse ont permis une progression de la gauche depuis le début des années 80. Si la religion a perdu du terrain dans ces régions, la culture catholique continue d’imprégner indirectement les mentalités locales, plutôt en phase avec des discours politiques modérés et pro-européens. C’est dans ce contexte qu’un Parti Socialiste au discours recentré par rapport à la fin des années 70 et au début des années 80 (abandon de la référence au marxisme et à la lutte des classes, fin de la guerre scolaire etc…) a su accroître très sensiblement son audience quand le discours sarkozyste, beaucoup plus dur que celui que tenait la droite à l’époque sur des sujets comme la construction européenne, l’immigration ou la sécurité, semble désormais beaucoup moins convaincre dans ces territoires. On retrouve ce même mouvement en faveur de la gauche (où se mêlent évolution socio-culturelle de long terme et choix idéologiques plus récents) dans d’autres régions rurales marquées par la même matrice catholique : le Cantal, la Haute-Loire et une partie de l’Aveyron et de la Lozère dans le sud du Massif Central et, de manière un peu moins marquée, le Pays de Caux, les Flandres ou bien encore la Moselle.         

Mais la comparaison avec 1981 n’est pas qu’à l’avantage de la gauche. Si François Hollande est parvenu à améliorer significativement le score de son prédécesseur socialiste dans la France de l’ouest, il enregistre des reculs spectaculaires notamment dans les départements méditerranéens.

Tableau 1 : 1981-2012 : Comparaison des résultats de la gauche au second tour de l’élection
présidentielle dans certains départements

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Depuis au moins vingt ans, on a pris l’habitude de présenter les départements de Paca comme des fiefs de la droite, or le tableau ci-dessus nous rappelle qu’en 1981, François Mitterrand l’avait largement emporté dans les Bouches-du-Rhône et dans le Vaucluse et qu’il n’avait été devancé que de peu dans le Var et un peu plus largement dans les Alpes-Maritimes. Trente ans plus tard, la situation a radicalement changé et c’est désormais la droite qui règne sans partage, la gauche y ayant perdu en moyenne entre 9 et 11 points selon les départements. Si le rapport de force est plus équilibré en Languedoc-Roussillon, François Hollande est néanmoins très en deçà des scores qu’obtenait François Mitterrand dans le "Midi Rouge".  Sur ce littoral méditerranéen, les évolutions sociodémographiques (déclin de la petite paysannerie et de la classe ouvrière locale, tertiairisation touristique et afflux de retraités) sont venues progressivement saper les bases électorales de la gauche, qui y est aujourd’hui minoritaire.  

Ce recul de la gauche s’observe de manière plus estompée et selon des modalités un peu différentes dans la vallée de la Garonne mais aussi dans nombre de bassins industriels de la France de l’Est (bassin de Sochaux-Montbéliard, l’est lyonnais, bassin de Saint-Dizier et de Vitry-le-François, Lorraine métallurgique, valenciennois etc…). Le déclin, voire la disparition, de pans entiers de l’activité industrielle a modifié la sociologie et les comportements politiques de ces régions. Cela a été le cas dans des départements comme la Seine-et-Marne, la Marne, l’Aube,  l’Oise ou bien encore la Haute-Marne (dans ces deux derniers départements François Hollande est minoritaire et en retrait de 7,3 et 6,4 points par rapport à François Mitterrand qui était en tête en 1981).

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