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Sauver la planète tout en augmentant la protection sociale : pourquoi le Green New Deal américain est politiquement et économiquement irréalisable
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Green

Un Green New Deal, porté par de nombreuses personnalités et organisations issues notamment du secteur économique, ambitionne de combiner révolution écologique et sociale aux Etats-Unis

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Un Green New Deal, porté par de nombreuses personnalités et organisations issues notamment du secteur économique, ambitionne de combiner révolution écologique et sociale aux Etats-Unis. Sur quels points s’axe principalement ce programme ?

Michel Ruimy : Alors que les catastrophes naturelles se multiplient aux Etats-Unis, le Green New Deal (GND) se réfère au rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les conséquences d’un réchauffement global de 1,5°C, publié en octobre 2018, ainsi qu’à une évaluation du changement climatique, publiée aux États-Unis, en novembre dernier, par un groupe d’experts issus de différentes agences gouvernementales.

En fait, cette transition radicale a été créé par des organisations écologistes, il y a environ une dizaine d’années : il avait fait une percée au Congrès en 2009, sous l’ère Obama, pour finalement s’échouer aux portes du Sénat. Le jeune mouvement Sunrise puis Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), nouvelle égérie démocrate de la Chambre des représentants,lui ont donné une seconde vie.

L’ébauche de ce programme appelle à une mobilisation nationale de dix ans pour accomplir une série d’objectifs. Parmi les plus notables : répondre à la demande d’énergie aux Etats-Unis avec 100% d’énergies propres et renouvelables, le but ultime étant l’abandon total des énergies fossiles. Des mesures concrètes sont proposées comme la fin progressive des subventions aux énergies fossiles ainsi que de leur extraction, l’interdiction de la vente des véhicules thermiques d’ici 2040, la réforme le secteur agricole afin d’en prévenir les émissions de gaz à effet de serre et la pollution, les échanges internationaux de technologies et d’expertises ou encore 100% de renouvelables dans le mix énergétique d’ici 2035.Pour assurer une transition viable pour les ouvriers des secteurs touchés, une garantie fédérale de trouver un emploi à tous ceux qui le demandent devra être instituée.

Ainsi, derrière le Green New Deal, se trouvent deux idées : la première est la lutte contre le réchauffement climatique et l’autre, la création de millions d’emplois de qualité, bien rémunérés pour des groupes ciblés.

Pour ce qui concerne le financement, plusieurs écoles se confrontent sur le sujet. Certains, comme Bernie Sanders, prônent de passer par des impôts. AOC a, par exemple, proposé de taxer jusqu’à 70% les Américains les plus riches. Des économistes comme Paul Krugman, Peter Diamond et Emmanuel Saez soutiennent une telle mesure. D’autres partisans du GND défendent une approche encore plus radicale : ne pas compenser les fonds dépensés par l’Etat. Pour Greg Carlock, il suffirait au Congrès d’autoriser les dépenses. Il estime que la fiscalité verte est utile pour orienter les marchés dans la bonne direction et « briser la concentration de la richesse dans certaines mains ». Pas besoin de financer de grands investissements fédéraux.

Au-delà de ses ambitions, quelle est la crédibilité économique de ce Green New Deal ? Combiner relance économique et révolution énergétique est-il cohérent ?

Tout d’abord, bien que notre planète ne s’enflammera vraisemblablement pas spontanément d’ici dix ans, les émissions mondiales de dioxyde de carbone devront commencer à diminuer rapidement, de beaucoup, pour éviter que les températures n’augmentent de plus de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux des années 1800.

Le GND n’est pas un plan construit et précis. Il s’agit plutôt de grands objectifs pour accélérer une transition écologique socialement juste. L’inclusion d’une dimension sociale expliquerait son succès récent. Le fait de mettre en avant le problème des inégalités et de présenter des solutions communes à la crise climatique et économique permet au projet d’être largement soutenu d’autant qu’au plan social, le texte apporte son soutien à un système de santé public universel ainsi qu’à la gratuité des universités publiques. Deux sujets centraux des primaires démocrates de 2020.

Sauver la planète et créer des emplois sont des idées nobles. Individuellement, les deux objectifs ont leurs mérites. Mais, en les combinant, le Green New Deal affiche un coût trop élevé et promet de rendre l’atténuation du changement climatique, à la fois, absurde et profondément partisane.

Si ce programme est bénéfique sur le long terme, ceci ne signifie pas, pour autant, qu’il soit politiquement réalisable. Aujourd’hui, il n’a aucune chance de passer l’obstacle du Sénat, actuellement contrôlé par le Parti républicain d’autant qu’à la Maison Blanche, un président climatosceptique vient de placer à la tête de l’Agence de protection de l’environnement, un nouveau directeur avec pour priorité affichée de détricoter les régulations environnementales.

Par ailleurs, Mme Ocasio-Cortez, en dépit de certains soutiens - une soixantaine d’élus de la Chambre et neuf sénateurs - n’a pas une totale adhésion au sein de son parti.Pour réfléchir à un ensemble de mesures concrètes, elle a demandé, à cet égard, la création d’une commission spéciale consacrée au GND. La présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, l’a transformée en « Commission spéciale sur la crise climatique » et en a confié la présidence à Kathy Castor, une élue modérée de Floride. Cette dernière a annoncé qu’elle étudierait les idées du GND sans toutefois en faire son unique préoccupation. Ce n’est pas encore gagné !

Il n’en demeure pas moins que le climat devrait être une des questions les plus importantes de la prochaine présidentielle.Mme Ocasio-Cortez préconise toute une série de mesures et de garanties qui engageraient les États-Unis sur la voie d’un éco-socialisme à l’européenne dont les Américains, dans leur grande majorité, n’ont, jusqu’à présent, jamais voulu.Il va falloir attendre les résultats des élections présidentielle et législatives de novembre 2020 pour évaluer si ce programme a un avenir.

Est-ce un concept purement américain ? Peut-on s’en inspirer pour réformer nos propres sociétés ?

Ce projet de Green New Deal américain n’est pas une fin en soi. Il se présente comme l’instrument nécessaire à la transformation de notre modèle de développement. Il propose un modèle de développement centré sur l’être humain, dans toutes ses dimensions - pas seulement matérielles -, compatible avec les limites physiques de notre environnement, socialement juste à la fois dans l’espace - dimension Nord/ Sud - et dans le temps - vis-à-vis des générations futures. Il a le mérite de clarifier les choses et de faire voir l’écologisme pour ce qu’il est : un scientisme politique de planification économique et sociale.

Pour ce qui concerne nos propres Sociétés, le GND pourrait se résumer à une politique d’investissement concernant quatre volets : infrastructures, systèmes de sécurité sociale, innovation et éducation - formation.Dans son esprit, il ne s’agit pas que la puissance publique soit l’unique ou même le principal investisseur. Qu’il s’agisse des infrastructures ou de l’innovation par exemple, l’objectif sera de mobiliser l’investissement privé (ménages, entreprises) qui devra fournir la plus large part de l’effort.Ces quatre piliers doivent toutefois s’appuyer, côté financement, sur la fiscalité et la régulation des marchés. Sans elles, un Green New Deal est tout simplement impossible.

Or, l’état actuel des finances publiques ne nous permet pas d’envisager une action d’une telle envergure. Elle devra attendre que soit passée la cure d’austérité et revoir, de fond en comble, le volet recettes. L’Etat, dont la récente crise financière a rappelé l’importance centrale, doit retrouver les moyens de ses politiques.

Dans ce contexte, le rôle de la fiscalité ne se borne pas à restaurer la viabilité financière des services publics. Il s’agit aussi de rendre financièrement payants les comportements et activités vertueuses (au sens qu’elles s’inscrivent dans une dynamique de développement durable) et de pénaliser celles qui ne le sont pas.

Pour l’instant, remettons de l’ordre dans nos finances publiques.

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