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Ethniques ou religieux : les votes communautaires seront-ils l’une des clés d’un deuxième tour de la présidentielle avec Marine Le Pen ?
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Le comportement électoral d'un groupe social apparenté à une communauté peut avoir une influence sur la tenue d'un scrutin, comme a pu le montrer la dernière présidentielle française.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Lors des élections présidentielles de 2012, 86 % des musulmans ont voté pour François Hollande au second tour selon une enquête de l’Ifop. Quelles sont les différences de comportement électoral que l’on peut constater chez cette catégorie d’électeurs ?

Jérôme Fourquet : Nous avons travaillé avec deux méthodes différentes qui permettent d'appréhender deux catégories de la population qui ne se correspondent qu'imparfaitement. La première analyse a été réalisée à partir d'enquêtes représentant des échantillons importants où est posée la question de l'appartenance religieuse. Cela nous a permis d'avoir une idée précise du vote des individus de confession musulmane. Ce que nous avons trouvé, c'est effectivement un vote massif en faveur de la gauche et du PS en particulier aux élections présidentielles de 2012. La deuxième méthode a quant à elle consisté à travailler à parti des listes électorales de 7 villes françaises pour réaliser une analyse "écologique", où nous avons identifié la répartition de cet électorat à partir des noms de culture arabo-musulmane, c'est-à-dire issus de l'immigration maghrébine ou d'Afrique subsaharienne. Un travail fastidieux, mais qui nous a permis de corréler l'idée que l'électorat musulman est principalement de gauche.

Si ce lien entre électorat musulman et adhésion à la gauche est manifeste, la comparaison entre les résultats de 2012 et de 2007, lorsque Ségolène Royal représentait le Parti socialiste, permet de voir que ce tropisme a été amplifié par l'idée que Nicolas Sarkozy puisse accéder à nouveau au pouvoir. En effet, cette participation a été à la fois plus engagée à la faveur de François Hollande en 2012, et elle a vu une mobilisation plus forte de cet électorat. Pour autant, cette surmobilisation enregistrée en 2012 ne s'est pas retrouvée aux élections municipales de 2014. On se trouve donc à comparer une élection où un vote est motivé par un sentiment anti-sarko et celle des municipales où le chiffon rouge de Nicolas Sarkozy n'est plus là, avec des années Ayrault-Hollande qui n'ont pas convaincu, et qui fait que l'électorat musulman s'est plus abstenu encore que l'électorat de gauche dans son ensemble.

Le "chiffon rouge" du Front National n'avait donc pas aussi bien fonctionné que le "chiffon rouge" Nicolas Sarkozy ?

Pour que le chiffon rouge fasse son effet, il faut que la menace soit réelle, qu'il y ait une probabilité importante que la personnalité ressentie comme menaçante arrive au pouvoir. En 2012, il n'était pas impossible que Nicolas Sarkozy l'emporte.

Autre observation intéressante avec les élections municipales de 2014 à Perpignan : si dans les 6 autres villes que nous avons étudiées, on observe une corrélation très positive entre la propension du vote musulman et le vote à gauche, Perpignan a vu la corrélation inverse. En effet, dans cette ville, l'électorat d'origine arabo-musulmane a préféré voter pour Jean-Marc Pujol, soit le candidat UMP (et pourtant plutôt du courant de la droite forte) plutôt que de voir Louis Alliot, arrivé en tête du premier tour, remporter la ville. On peut donc dire que dans ce cas le vote d'origine arabo-musulmane a voulu faire barrage avec le candidat qui avait le plus de chances de l'emporter contre le candidat le plus "menaçant".

Quelles sont les spécificités de l'électorat musulman ? Quelles sont ses attentes, comment voit-il le monde ? Dans quelle mesure est-il homogène ?

Ce que nous avons pu montrer, c'est aussi qu'il faut prendre de la distance avec l'idée que François Hollande ait pu "perdre" l'électorat musulman à cause du mariage homosexuel et pour cause de tendance conservatrice. Oui, cet électorat musulman s'est encore plus massivement abstenu que le reste de l'électorat de gauche suite au Mariage pour tous. Oui il y a eu un décrochage très clair. Mais est-ce à cause de la connotation "progressiste" du mariage pour tous ? Cela a probablement pu jouer, mais seulement pour la frange très religieuse, minoritaire dans l'électorat arabo-musulman. Lorsque, nous sommes allés nous entretenir avec des personnes présentant les caractéristiques de provenances d'Afrique du Nord dans plusieurs villes de France, ces derniers nous ont d'abord parlé de l'absence de résultats sur le front économique et social, de leurs conditions de vie, des problèmes d'insécurité, de l'accès aux services publics, de leur pouvoir d'achat, de l'emploi... Et c'est surtout cela que l'électorat arabo-musulman n'a pas plébiscité, c'est que le gouvernement ait pu en faire sa priorité. Ces attentes peuvent sembler classiques, en tout cas elles sont cohérentes avec les attentes des Français en général. Mais elles le sont moins du point de vue de leur intensité car l'électorat musulman vit dans des conditions sensiblement moins bonnes que la moyenne de la population française, il attendait donc plus de rupture que les autres.

Pour le reste, les modes de raisonnement de cet électorat sont identiques à ceux du reste de la population : ils ont un travail, payent des impôts, ont un point de vue sur l'insécurité… Et le fait d'appartenir aux classes moyennes ou d'être chef d'entreprise fait varier de manière importante les solutions à apporter. Mais ils ont aussi une caractéristique : celle d'être issus de l'immigration arabo-musulmane. Ce qui fait que sur certains sujets ils peuvent se distinguer du reste de la population. Par exemple, sur le rapport au Front national. Pour de nombreuses personnes, le terme quartier populaire est une manière chic de parler des banlieues. Elle représente un quartier où réside un nombre important de personnes de confession ou d’origine musulmane. A ces endroits, le font national réalise des scores très faibles. A l’inverse, si vous prenez un quartier populaire dont les résidents sont majoritairement des ouvriers ou employés, selon qu’ils soient ou non issus de l’immigration, la proportion à voter FN n’a rien à voir. La variable ethnique ou la trajectoire familiale jouent un rôle extrêmement puissant dans les comportements électoraux au sein d’une même classe sociale.

Aujourd'hui, l'électorat semble davantage s'abstenir que de plébisciter un autre parti comme il l'avait fait en 2012. Quelles formations politiques semblent les plus favorisées pour convaincre cet électorat ?

La gauche a perdu beaucoup de terrain, mais elle reste malgré tout l'idéologie dominante. Cependant, il y a toujours eu une partie de cet électorat qui n’était pas de gauche. Rappelons-nous qu’au deuxième tour des élections présidentielles de 2012, 15% des individus d'origine arabo-musulmane ont voté pour Nicolas Sarkozy. Il y en a au moins la même proportion qui a voté pour François Hollande... Mais dans l’idée de voter contre Nicolas Sarkozy. Ce dernier électorat, modéré, pourrait être attiré par un message centriste. Cette catégorie peut être en partie composée par des Français issus d’une immigration de 2 ou 3ème générations, cadres moyens vivant dans des zones pavillonnaires, ou bien des indépendants qui travaillent à leur compte, des petits chefs d’entreprise. Leur situation sociale ne les pousse pas forcement à voter à gauche. Pour autant, ils se sont rabattus sur la gauche parce que les discours sur l’immigration et l’identité portés par Nicolas Sarkozy les a heurté.

Lors de l’élection présidentielle de 2007, rappelons là encore que François Bayrou avait fait des scores tout à fait intéressants dans cet électorat. Pourtant c’était le candidat à l’époque qui était le plus marqué religieusement et qui incarnait l’héritage de la démocratie chrétienne. Or, il a fait un score non négligeable parmi les musulmans parce qu’il avait un discours humaniste et modéré, qui n’était pas de gauche et en même temps n’était pas non plus celui de la droite parfois dure. Je pense qu’il y a un espace possible pour des messages de ce type dans l'électorat arabo-musulman.

En outre, le réflexe automatique du vote à gauche s’est fortement atténué depuis le début du quinquennat. Sur un discours raisonnable et responsable, certains peuvent voter autre chose que le candidat socialiste qui les a beaucoup déçus. Ils ont envie de trouver autre chose, de là à chercher une alternance radicale ? Par exemple, la déclaration de Nicolas Sarkozy à quelques jours du vote départemental sur les menus Hallal dans les cantines n’est pas de nature à engager des ralliements. Certes, les musulmans peuvent avoir une critique de la politique actuelle et défendre un certain nombre de valeurs, sans avoir des débordements sur l’aspect identité et religieux, c’est pourquoi un candidat qui fait une sortie d’alchimie entre tout cela pour rencontrer un écho.  Effectivement, Alain Juppé qui tient un discours sur l’identité heureuse, la chance qu’a pu représenter l’arrivée de populations différentes sur notre territoire en matière de métissage et d’apport culturel peut trouver des points d’appui. Nous constatons dans notre travail que dans un bon nombre de villes, les candidats de droite ont fait parfois plus de voix que Nicolas Sarkozy avait fait en 2012. Une partie de l’électorat peut voter pour un programme de droite. La gauche revendique 80% de votants issus d’origine musulmane, sauf que dans les faits, 15 voire 20% sont de centre droit. En outre, beaucoup ont un rapport distendu à la politique et ont voté l’opposé de ce qui était l’image de Nicolas Sarkozy. Les politiques de gauche ont donc cru que leur électorat musulman était gagné, mais c’est faux. Il n’y a pas de clientèle électorale bien fixée.

Et quel rapport est entretenu entre l'électorat musulman et le FN ? On se souvient du tollé suscité par la victoire du FN dans le 7ème secteur de Marseille, un quartier concentrant pourtant de fortes minorités issues de l'immigration maghrébine aux dernières élections municipales...

Le 13 et 14 ème arrondissement, constituant le 7ème secteur de Marseille est un vaste territoire. Le Front national a certes gagné, mais en triangulaire : il n’a pas fait 50% des voix. Lorsqu’on regarde dans le détail, on se rend compte que les bureaux de vote où le FN a fait de meilleurs scores sont ceux qui rassemblent le plus faible taux de personnes au prénom arabo-musulman. Les chiffres nous montrent qu’il est probable qu’une partie de cet électorat-là ait pu voter pour le front national, mais qu’il reste minoritaire et n’est pas la loi générale. Cette dernière invitait d’ailleurs à voter contre le FN.

Les entretiens que nous avons menés là-bas sont intéressants. Ils révèlent que dans les discours, une partie tient des propos extrêmement fermes et durs, comme pourrait en tenir un électeur FN lambda. Il y a malgré tout une force de rappel très importante, comme certains le disent "pour eux on restera toujours des Français de papier". Il y a toujours ce problème qui fait qu’un verrou reste solidement installé et évite le basculement plus large d’une part conséquente de cet électorat vers le FN. Un basculement qui serait possible, du fait de leur exposition à la délinquance, à l’insécurité, et aux problèmes liés à une trop forte concentration de personnes issues de l’immigration dans le même quartier. On se rappelle par exemple dans les quartiers nord de Marseille que des riverains d’un camp de Roms installés illégalement au pied de HLM avaient été mettre le feu au camp. Parmi les agresseurs, il y avait beaucoup de personnes d’issues d’immigration d’origine maghrébine. La question de l’immigration maghrébine et de l’islam constitue un des discours récurrents du FN, il est donc difficile de pouvoir capter massivement cet électorat aujourd’hui.

Qu'avez-vous pu observer lors des élections régionales ?

Pendant la campagne, certains médias se sont fait l’écho de la volonté du Front national de s’adresser et de se rapprocher de l’électorat issu de l’immigration. Wallerand de Saint-Just fit éditer 600 000 tracts sous la forme d’un magazine fait sur mesure qui fut distribué aux habitants des zones dites sensibles. Comme le relevait le Parisien, ce document comportait un encart spécifique à l’adresse de la communauté musulmane au titre évocateur : "Musulman peut-être, mais Français d’abord" et des opérations et actions militantes furent organisées en banlieue avec notamment le collage d’une affiche ciblée. Nous avions montré sur la base des scrutins présidentiel et municipal que la population issue de l’immigration était très réfractaire au vote Front national. A partir d’une analyse par bureaux de vote, il apparaissait ainsi que plus la proportion de prénoms d’origine musulmane était importante dans un bureau de vote et plus le vote Front national était faible. Pour ce scrutin régional, nous avons eu de nouveau recours à cette méthode d’analyse que nous avons appliquée à plusieurs communes tests que sont Aulnay-sous-Bois, Bobigny, Melun et Sarcelles. Dans ces quatre communes, il ressort une nouvelle fois, que les bureaux de vote à plus forte proportion de prénoms arabo-musulmans sur leurs listes électorales sont ceux précisément où le Front national a enregistré ses moins bons scores à l’échelle de la ville. Ainsi à Aulnay-sous-Bois, la liste de Wallerand de Saint-Just a obtenu au premier tour 21,7 % mais seulement 8,4 % en moyenne dans les sept bureaux comptant 50 % ou plus de prénoms d’origine musulmane. A Bobigny, pour une moyenne municipale de 17,9 %, le score n’est que de 14,3 % dans les quatre bureaux comprenant plus de 27 % de prénoms musulmans et à Melun, le Front national atteint seulement 9,3 % dans les deux bureaux à plus fort taux de prénoms arabo-musulmans (plus de 35 % de prénoms) pour un résultat moyen de 20,5 % sur l’ensemble de la ville. Enfin, à Sarcelles, le score moyen du FN atteint 20,5 % des exprimés contre seulement 9,3 % dans les deux bureaux de vote à plus de 35 % de prénoms musulmans.

Dans l'hypothèse d'un face-à-face entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, il y aurait donc de fortes chances pour que la population arabo-musulmane se mobilise fortement en faveur de l'ancien ministre de l'Economie… Que représente concrètement cet électorat ? Les choix que ces électeurs feront pourraient-ils être déterminants ?

L'électorat qui se déclare de confession musulmane représente 4 à 5 % du corps électoral et dans un scrutin très serré comme 2012, sa mobilisation massive contre Nicolas Sarkozy a contribué de manière significative à la victoire de François Hollande. Si l'on se base sur les résultats actuels pour le second tour, le rapport de forces serait beaucoup plus déséquilibré qu'à l'époque, avec un Emmanuel Macron autour de 60% et une Marine Le Pen autour de 40%. Comme on l'a vu aux régionales en Paca, la perspective d'une accession au pouvoir du FN peut agir comme un puissant stimulant pour mobiliser au second tour un électorat musulman plus abstentionniste que la moyenne au premier tour. Ainsi, la participation entre les deux tours grimpa sensiblement dans les quartiers nord de Marseille et le très droitier Christian Estrosi y obtint des scores impressionnants. L'électorat des arrondissements du nord de Marseille n'avait pas subitement basculé à droite, il s'était mobilisé pour barrer la route à Marion Maréchal Le Pen. Un habitant de ces quartiers, issu de l'immigration, l'avait résumé d'une formule "Ici, on va voter que quand ca chauffe vraiment".

la perspective d'une victoire de Marine Le Pen sera sans doute de nature à susciter un même réflexe en faveur d'Emmanuel Macron au second tour (sachant qu'une partie de l'électorat issu de l'immigration optera pour lui dès le premier tour notamment suite à ses propos sur la place de l'islam dans la société française ou la période coloniale en Algérie) mais compte-tenu du rapport de forces actuellement attendu pour un second tour de ce type, cette mobilisation particulière ne sera pas déterminante mais contribuera à conforter l'avance du candidat d'En Marche! 

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