Entre la droite version Juppé et celle version Fillon, combien de divisions ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une grande partie de l'électorat de droite veut juste sortir de la guerre des chefs qui déchire la droite depuis 2012, et de la crise idéologique qui fait qu'elle ne sait pas forcément comment proposer une alternative crédible à la gauche.
Une grande partie de l'électorat de droite veut juste sortir de la guerre des chefs qui déchire la droite depuis 2012, et de la crise idéologique qui fait qu'elle ne sait pas forcément comment proposer une alternative crédible à la gauche.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

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Le conflit qui se joue entre François Fillon et Alain Juppé oppose deux conceptions de la droite, avec d'un côté une vision conservatrice et de l'autre une davantage "ouverte" sur les questions de moeurs. Cette dernière a souvent été jugée soumise à l'hégémonie culturelle de la gauche, à qui elle ferait sans cesse des concessions.

Vincent Martigny

Vincent Martigny

Vincent Martigny est Maître de conférences en science politique à l’Ecole Polytechnique. Docteur en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (2012), il est aussi titulaire d’un Master en Pensée politique (MPhil.) de l’Université de Cambridge (Trinity Hall, 2001), d’un Master en Politique comparée (MSc.) de la London School of Economics (2000), et du diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux (1999). Ses recherches s’inscrivent dans le champ des études du nationalisme et portent notamment sur les manifestations contemporaines du nationalisme français, les débats relatifs à "l’identité nationale", et les usages politiques de la culture.

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Atlantico : Depuis le début de la campagne du second tour de la primaire de la droite, et tout particulièrement ce mardi 22 novembre au micro d'Europe 1, Alain Juppé a cherché à décrédibiliser son adversaire en invoquant pour se faire son caractère "conservateur", "traditionaliste".  Quelle est l'ampleur de la fracture entre les deux droites qu'incarnent respectivement François Fillon et Alain Juppé ?

Vincent Martigny : Je pense qu'il faut prendre au sérieux cette fracture qu'on ne saurait limiter à une posture électoraliste. Ce qui se joue n'est pas seulement une bataille entre deux hommes, mais entre deux deux droites. L'une est partisane d'un aggiornamento centriste sur la question des valeurs et se situe dans la ligne du RPR des années 90 et de la présidence de Jacques Chirac. Elle postule que des positions dures sur l'identité nationale ou l'affirmation d'un catholicisme identitaire mettent en danger la droite sur le plan moral en la faisant sortir d'une certaine modération, mais aussi sur le plan électoral car elles prennent le risque de radicaliser l'opinion qui pourraient dans cette surenchère, juger que seul le Front national est à même de mettre en oeuvre un programme identitaire et conservateur. Elle souhaite tourner la page ouverte par Nicolas Sarkozy voici plus de dix ans. C'est la droite qui soutient Alain Juppé. 

L'autre droite est le produit de certains courants des années 1980 qui considère que le combat culturel pour la réaffirmation d'une "vraie" droite, conservatrice, traditionaliste, sur le plan moral, est la clé pour renverser durablement la domination morale de la gauche et assurer une large victoire politique. Elle a aussi beaucoup observé le succès de la buissonisation de la droite sous Sarkozy, du nom de l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Patrick Buisson, mais elle ne goûtait pas forcément ce qu'il lui paraissait comme une forme de vulgarité dans le style qui ne correspond pas à sa conception du monde. Elle applique in vivo la théorie de l'hégémonie du marxiste Antonio Gramsci, selon lesquelles vous ne pouvez remporter de victoires politiques durables que si vos idées sont profondément ancrées et acceptées dans l'opinion. Cette droite identitaire, catholique, traditionaliste, prolonge le mouvement en faveur de la "droite décomplexée" qui avait été lancé par Nicolas Sarkozy mais a lâché son ancien champion et se porte aujourd'hui sur François Fillon.

A quel point ce conflit divise-t-il au sein du parti, d'une part, mais surtout  chez les électeurs de droite ?

La ligne de fracture dans la parti est importante, mais il ne faut pas sous-estimer ceux qui chez les Républicains, considèrent que la question identitaire n'est pas la plus importante, ni la seule question à poser, ou ceux qui n'arrivent pas encore à se positionner. Cette position attentiste est forte chez les cadres du parti. Et puis un autre débat divise aussi la droite sur l'intensité du choc libéral à mettre en œuvre pour sortir l'économie française de l'ornière et sur la crédibilité. On ne saurait tout observer à l'aune de la question identitaire et des valeurs. L'électorat est lui-même divisé entre modérés et ceux qui souhaitent un changement radicale de société. 

Plusieurs observateurs politiques estiment qu'Alain Juppé, en exigeant de François Fillon qu'il "clarifie ses positions" sur l'avortement, aurait méprisé cette frange de la France – et particulièrement de la droite – traditionaliste et conservatrice. Que sait-on aujourd'hui des rapports de forces entre une droite ouverte, dans l'héritage de celle de Jacques Chirac, et celle plus conservatrice de François Fillon ? Comment se dessinent-ils, à défaut de chiffrage précis ?

Attention à ne pas sous-estimer les effets de mobilisation de la primaire. 44% d'électeurs de la primaire qui votent pour Fillon, cela ne veut pas forcément dire 44% d'électeurs de droite qui le feront à la prochaine élection car certains groupes, et vraisemblablement ceux issus de la "Manif pour tous", se sont fortement mobilisés. Ces groupes représentent une partie de l'opinion de droite mais pas la majorité. Une grande partie de l'électorat de droite veut juste sortir de la guerre des chefs qui déchire la droite depuis 2012, et de la crise idéologique qui fait qu'elle ne sait pas forcément comment proposer une alternative crédible à la gauche. Elle cherche un candidat dont le style, la moralité personnelle, et les convictions, vont être en phase avec leur conception de la droite et de l'Etat du pays, quelqu'un qui va pouvoir "dire la France" d'une manière qui pourra les convaincre, sans outrance mais avec fermeté. 

Que risque Alain Juppé, s'il en venait à mésestimer l'importance de tels courants au sein de sa famille politique ?

Alain Juppé n'a rien à perdre car il sait que ces courants les plus conservateurs ne voteront de toute manière pas pour lui. Il n'a pas besoin de s'adresser à eux mais plutôt d'aller chercher un autre électorat plus modéré, éventuellement dans les rangs du centre et de la gauche, qui sont effrayés et révulsés par le conservatisme traditionaliste des identitaires autour de François Fillon, et qu'incarne notamment le mouvement Sens commun. Il n'a donc rien à perdre mais tout à tenter car il est en très mauvaise posture pour ce second tour. En politique, on ne rattrape pas facilement un écart de près de 18 points lorsqu'on a peu d'électeurs en réserve, surtout quand son adversaire a en réserve potentielle les électeurs de Nicolas Sarkozy qui sont plus proches de lui que d'Alain Juppé. Pour Alain Juppé, il faut démontrer que l'électorat ne perçoit pas bien la radicalité de M. Fillon et ne comprend pas qui il est vraiment. Si M. Juppé ne réussit pas à décourager certains électeurs qui se sont portés sur François Fillon au 1er tour, et à attirer à sa rescousse des électeurs qui n'ont pas voté pour lui dimanche dernier, il n'a aucune chance de l'emporter dimanche prochain. 

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