Mais combien de personnes changent vraiment d'avis pendant le cours d'une campagne électorale ? Pas franchement le nombre que vous pourriez imaginer<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon une étude menée par Dan Hopkins, politologue américain, entre janvier et octobre 2016, les électeurs soutenant Hillary Clinton ou Donald Trump n'ont que rarement changé d'avis.
Selon une étude menée par Dan Hopkins, politologue américain, entre janvier et octobre 2016, les électeurs soutenant Hillary Clinton ou Donald Trump n'ont que rarement changé d'avis.
©Andrew CABALLERO-REYNOLDS / AFP

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D'après une étude menée par l'Université de Pennsylvanie, près de 80% des électeurs américains n'ont pas changé d'avis entre janvier et octobre 2016 concernant leur vote pour cette présidentielle. Une situation d'électorat relativement "figé" que l'on retrouve en France... mais en partie seulement.

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi

Frédéric Dabi est directeur général adjoint de l'Ifop et directeur du pôle Opinion et Stratégies d’entreprise.

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Atlantico : Une étude menée par Dan Hopkins (lire ici), politologue à l'Université de Pennsylvanie, montre que de janvier à octobre 2016, les électeurs américains soutenant Hillary Clinton ou Donald Trump n'ont que rarement changé d'avis (et s'ils l'ont fait, c'est bien souvent soit pour soutenir un candidat alors qu'ils n'en soutenaient aucun au départ, soit pour ne plus soutenir aucun candidat). Observe-t-on ce même phénomène en France ? Les électeurs sont-ils majoritairement "figés" dans leurs opinions ? Dans quelle proportion, pour ce qui est de l'élection présidentielle de 2017 ?

Frédéric Dabi : Je répondrai par oui et non. Tout d'abord, est-il besoin de préciser que le système présidentiel aux États-Unis est bien différent du système français ? En France, nous parlons aujourd'hui de 40 ou 50 candidats pressentis, même si les primaires du Parti socialiste, d'Europe Écologie – Les Verts et des Républicains commencent à écrémer la liste... Mais au-delà de cela, c'est plutôt vrai. Au regard des enquêtes d'intention de vote de l'Ifop, nous voyons très peu d'électeurs de François Hollande en 2012 qui déclarent vouloir voter pour Nicolas Sarkozy (5%). De l'autre côté, il y a environ 1% d'électeurs de Nicolas Sarkozy de 2012 qui déclarent vouloir voter pour François Hollande.

Les électeurs sont majoritairement figés s'agissant des deux camps gauche-droite. Les passerelles sont rares, et c'est le centre qui peut peut-être en profiter. Il faut se souvenir du phénomène François Bayrou en 2007 où il avait créé une vraie dynamique en réussissant à capter une partie de l'électorat de gauche qui ne croyait pas en Ségolène Royal et une partie de l'électorat de droite un peu effrayée par la rupture sarkozyste.

Quand on raisonne bloc contre bloc, les enquêtes françaises valident donc complètement le postulat américain de Dan Hopkins.

En revanche, l'offre électorale est beaucoup plus diverse en France. Or, quand on regarde l'offre intra-gauche ou intra-droite, c'est nettement moins figé et beaucoup plus volatil ! Si l'on regarde la dernière enquête d'intentions de vote de l'Ifop, on constate qu'une part importante de l'électoral de François Hollande déclare vouloir voter pour Jean-Luc Mélenchon (16%) et qu'une part importante de l'électorat de Nicolas Sarkozy déclare vouloir voter pour Nicolas Dupont-Aignan (7%) ou pour Marine Le Pen (10%).

La volatilité est donc bien présente au sein de chaque camp, et entre parenthèses c'est ce qui fait aussi toute la difficulté de la primaire de droite ! On a des candidats – mettons de côté ici Jean-Frédéric Poisson – qui sont proches idéologiquement, qui ont déjà gouverné ensemble et qui sont du même parti. Le coût symbolique de passer de François Fillon à Alain Juppé ou de Bruno Le Maire à Nicolas Sarkozy n'est donc pas très élevé. Nous ne sommes pas sur une logique de transgression qui consisterait à passer d'un vote Mélenchon en 2012 à un vote Le Pen en 2017.

On peut donc dire que les électeurs sont plutôt figés s'agissant de la gauche et de la droite, ce qui montre par ailleurs les difficultés de François Bayrou en 2012 et d'Emmanuel Macron aujourd'hui pour faire exploser ce système, même si ce dernier peut être vu comme une sorte de réceptacle aux gens qui ne veulent ni la gauche ni la droite. Selon nos enquêtes, il pourrait prendre 31% du vote Hollande et 27% du vote Sarkozy.

Pour 2017 et la deuxième partie de votre question, nous avons un vrai problème qui est celui de l'offre électorale, qui reste inconnue à droite car la primaire n'est pas terminée, et extrêmement incertaine à gauche (Candidature communiste ? Candidature Macron ? Hollande ou Valls ? Quel vainqueur pour la primaire ?). Répondre précisément à cette question relève donc de la science-fiction.

Comment décrire cette portion volatile de la population électorale en France ? A-t-on réussi à trouver des déterminants sociologiques communs (âge, catégorie socio-professionnelle, rapport à la politique...) ?

Compte-tenu des contraintes et des incertitudes sur l'offre électorale, il est difficile de décrire empiriquement cette portion volatile de la population électorale. On a certes vu des électeurs "stratèges" voter à gauche en 2002, Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012... Ils sont quand même relativement rares. Ce que l'on peut subodorer, c'est que c'est plutôt une population issue des catégories moyennes et supérieures, éduquée, aisée, s'intéressant fortement à la politique et moins touchée par une logique possible de transgression d'un camp à l'autre. C'est clair que ce sont en tout cas les personnes les plus intéressées par la politique, car celles qui le sont moins ne votent pas.

Sachant cela, les campagnes n'auraient-elles pour fonction que de plaire à ses propres électeurs ? A quel moment a-t-on pu voir un basculement de l'électorat d'un candidat à un autre pour le premier tour d'une élection présidentielle en France ?

La fonction majeure d'une campagne n'est pas de piquer l'électorat du camp adverse, mais d'enclencher une logique de mobilisation et de rassemblement. Au-delà de ce que dit Dan Hopkins, lorsque l'on regarde les scrutins intermédiaires du quinquennat de François Hollande, ce qu'on constate, ce n'est pas que les électeurs de gauche ont voté à droite (c'est très marginal comme phénomène), c'est simplement qu'ils ne sont pas allés voter.

J'ai toujours en tête deux chiffres. Une enquête Ifop pour L'Humanité sur l'identité de gauche, que l'on fait chaque année, montre que 47 et 48% des Français se situent "très à gauche", "à gauche" ou au "centre-gauche" sur un axe gauche-droite. Dans le même temps, quand on fait le total des voix de gauche aux dernières élections régionales, on arrive à 36-37%... Où sont ces dix points manquants ? Ce ne sont pas des gens qui sont passés à droite, ce sont des gens qui ne sont pas aller voter.

Les campagnes électorales n'ont pas tellement pour seule fonction que de plaire. C'est une autre manière de dire que le levier majeur d'une campagne, c'est de rassembler et mobiliser, car avant même de regarder un rapport de force électoral, une élection est la résultante d'une sur-mobilisation d'un camp supérieure à celle du camp d'en face. Peut-être verra-t-on aux États-Unis que beaucoup d’États historiquement républicains ont moins voté cette année, refroidis par la candidature de Donald Trump, ses outrances et son offre programmatique.

Là où l'on a pu voir des basculements de l'électorat d'un candidat à un autre, c'est très clairement sur des mouvements intra-gauche ou intra-droite. Intra-droite quand l'électorat d’Édouard Balladur passe chez Jacques Chirac en 1995, si bien qu'aucun institut n'avait anticipé Lionel Jospin en tête du premier tour de cette présidentielle. Intra-gauche quand Lionel Jospin se fait siphonner un peu par Jean-Pierre Chevènement et par Christiane Taubira en 2002, ou bien même en 2007 quand certains électeurs de Ségolène Royal sont allés vers François Bayrou. Ces logiques existent et sont maximisées dans le cas des primaires, que ce soit une primaire dès le premier tour de la présidentielle comme le duel Balladur-Chirac ou une primaire plus classique comme celle de 2011 au Parti socialiste. La chute de Ségolène Royal a coïncidé avec la montée d'Arnaud Montebourg en 2011 et l'érosion des votes en faveur de François Hollande.

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