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Crise de la sociale-démocratie en Europe, gestion sournoise des conflits internes, ambiguïté des discours et crise des postures à gauche… Quel est véritablement le rôle de François Hollande dans la destruction du PS ?
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Divisé, en situation de rupture notamment sur les questions économiques mais également vis à vis de la personnalité de son leader, le PS est aujourd'hui dans une position dangereuse... Qui ne manque évidemment pas de rappeler la crise que connait le socialisme en Europe.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Le PS n'a pas, aux yeux de 81% des Français, des dirigeants de qualités. Pour 78% d'entre eux, il s'agit d'un parti loin des préoccupations et seuls 23% de nos concitoyens estiment qu'il a un projet pour la France, d'après un sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France (voir ici). Quel est le rôle de François Hollande dans cette impressionnante débandade ? Outre sa politique, à quel point sa personne est-elle responsable de ce désamour profond ?

(Sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France. Cliquer pour agrandir)

Bruno Cautrès : Tout d’abord, il faut observer que tous les partis politiques sont aujourd’hui, en France, frappés par l’ampleur des jugements négatifs : dans la vague 7 (décembre 2015) du Baromètre de la confiance politique que nous réalisons au CEVIPOF, seuls…12% des personnes interrogées déclarent faire confiance aux partis politiques ! L’adhésion est en baisse dans presque tous les partis et certains ont un nombre d’adhérents qui se rapproche davantage d’une association de collectionneurs que d’un parti ayant vocation à entrer dans un gouvernement. Il faut également remarquer que c’est toute la social-démocratie européenne qui subit aujourd’hui les effets du contexte économique. Dans d’autres pays européens (par exemple la Royaume-Uni) les partis sociaux-démocrates font également face à des crises internes et à un dilemme face à la crise économique.

En ce qui concerne le PS en France aujourd’hui, sa fragmentation et ses divisions internes traduisent toutes les contradictions de l’exercice du pouvoir par des partis qui portent un message de transformation sociale dans des économies ouvertes et globalisées aujourd’hui. Sans vouloir dédouaner François Hollande, il s’agit donc de questions politiques qui dépassent nettement les problèmes de leadership personnel des dirigeants. La responsabilité que porte François Hollande dans la situation difficile du PS dans l’opinion et en interne peut néanmoins être recherchée du côté de l’écart entre plusieurs éléments clefs de sa campagne électorale et des mesures économiques prises ensuite sous son autorité. Si l’on réécoute aujourd’hui le fameux discours du Bourget, on voit que cet écart est moins net que l’ampleur qu’il a pris dans l’opinion. Des propositions affichées dans ce discours ont bien été mises en œuvre en tout ou en partie ; mais certaines des promesses n’ont pas été tenues. C’est également le fameux « mon ennemi c’est le monde de la finance », ou encore le thème de la « réorientation de l’Europe » prononcés ce jour-là qui ont donné par la suite le sentiment d’un contrat brisé avec une partie de son électorat de 2012. De nombreux électeurs n’ont pas compris le tournant pris en janvier 2014 (compétitivité, politique de l’offre), celui-ci n’a pas été assumé en tant que tel comme « tournant » et le travail pédagogique accompagnant une réorientation aussi importante n’a pas été fait. Son mandat laisse donc pour le moment la gauche «en miettes ». Il y a également eu d’importants problèmes de communication au début de quinquennat, des gaffes et des « couacs » à répétition lorsque Jean-Marc Ayrault était premier ministre. François Hollande, a également commis une erreur stratégique dont il n’a pu se remettre : de fortes augmentations d’impôts en début de son mandat, avec le pari finalement perdu que la seconde moitié de son mandat serait consacrée à redistribuer. Or, même si des ajustements et corrections importants ont été apportés, ce démarrage placé sous le signe des impôts a marqué son mandat. Quant au style François Hollande, son problème essentiel aura été le temps qu’il lui a fallu pour poser son statut présidentiel, pour incarner cette fonction. Il n’est véritablement rentré dans cette incarnation qu’à partir des attentats terroristes. 

Récemment, Emmanuel Macron a fait savoir qu'il ne s'estimait pas socialiste. Arnaud Montebourg, quant à lui, a tenu à ajouter qu'il était socialiste "mais pas que". François Hollande a-t-il achevé de détruire le PS au point que se déclarer socialiste devienne un handicap ? Comment expliquer une telle attitude ?

Il faut tout d’abord rappeler que les déclarations d’Emmanuel Macron ou Arnaud Montebourg ont été faites dans le cadre de leurs stratégies présidentielles. Or l’élection présidentielle en France repose aussi sur la capacité à rassembler et à aller chercher des électeurs au-delà de son camp ou de son électorat stricto sensu. Il faut montrer que l’on a vocation à parler à de nombreuses franges de l’électorat, autour et parfois même en dehors de son propre électorat. Sans entrer dans le détail des différences qui caractérisent les propos d’Emmanuel Macron (qui veut s’adresser aux aussi électeurs centristes, voire de droite ainsi qu’à tous ceux qui veulent que la France « bouge ») et ceux d’Arnaud Montebourg (qui veut aussi parler aux électeurs du Front de gauche et de l’extrême gauche ainsi qu’à tous ceux qui veulent « faire France »), on peut remarquer que dans un contexte de faible popularité de François Hollande et de mauvaise image du PS, s’en revendiquer n’est pas la meilleure stratégie pour « imprimer » quelque chose dans l’opinion…Les résultats de 2017 auront des conséquences sur le PS qui peuvent aller du statu quo à l’implosion… Les partis politiques sont des organisations très résilientes mais jusqu’à un certain point. Imaginons que le candidat de la droite gagne la présidentielle : il ne faudra pas longtemps pour que ses choix économiques et sociaux ne remettent en selle ses adversaires et notamment à gauche….Les élections intermédiaires qui se dérouleront entre 2017 et 2022 (européennes en 2019, municipales en 2020, départementales et régionales en 2021) donneront de nombreuses occasions à la gauche de se remettre en ordre de bataille. Je pense que la période 2017-2019 sera à cet égard très importante car ce sont les questions européennes qui vont diviser à gauche dans les années qui viennent. Assistera t’on à des recompositions profondes à gauche durant ces deux années ou à une remise en selle du PS sous l’effet des premières décisions chocs prises par un gouvernement de droite si son candidat a gagné la présidentielle ? 

Toujours d'après le sondage de l'IFOP, les priorités assignées au PS par les Français sont la lutte contre le chômage (55%) suivi de la lutte contre la délinquance (32%). Faut-il comprendre qu'aux yeux des Français, le Parti Socialiste est encore crédible sur ces thématiques ?

(Sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France. Cliquer pour agrandir)

Les partis politiques et leurs candidats aux électeurs bénéficient souvent d’un phénomène que l’on appelle en sociologie électorale le « issue ownership » : ils se considèrent et sont considérés par les électeurs comme ‘propriétaires’ de certains thèmes et enjeux. C’est bien le cas  avec la gauche, notamment le PS, et les questions sociales comme le chômage ou la lutte contre les inégalités ou l’éducation. On voit que cela est relativement indépendant des réussites ou des échecs sur ces questions lorsque les partis gouvernent : les électeurs, notamment de gauche, attendent toujours aujourd'hui du PS des propositions sur ces questions et n’ont pas totalement le sentiment que le PS couvre bien ces questions…Par ailleurs, il n’est pas étonnant que le PS étant au pouvoir les électeurs lui demandent de s’occuper de deux des questions importantes de l’action publique. 

Partout en Europe, les partis se réclamant du socialisme sont mis à mal, comme c'est notamment le cas du PASOK en Grèce. Comment expliquer une telle situation ? Quelle est sa part de responsabilité dans la crise que traverse le PS en France ?

Comme l’ont fait observer les spécialistes de la social-démocratie en Europe (Fabien Escalona et Mathieu Vieira) les partis sociaux-démocrates en Europe de l’Ouest ont perdu leur caractère de « partis de masse » à quelques exceptions près comme le SPD, le PSOE ou le Parti démocrate italien avec des effectifs qui se comptent pour ces derniers par quelques centaines de milliers d’adhérents (de l’ordre de 400 000 membres). Pour les autres partis sociaux-démocrates, la période qui couvre des années 2000 à aujourd’hui a vu une véritable « hémorragie militante» selon ces auteurs. L’une des explications est à rechercher du côté du rapport à la question de l’intégration économique européenne et mondiale. On se rappelle la fameuse phrase de François Mitterrand selon laquelle « si la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir ». La question de l’intégration européenne, et au-delà de la globalisation, n’a de fait cessé depuis le milieu des années 1990 de venir perturber, travailler en profondeur, le rapport de la gauche à l’économie réelle, au capitalisme ou aux marchés internationaux. L’intégration économique européenne et sa dynamique puissante a provoqué un effet de souffle sur les doctrines économiques qui fondaient encore dans les années 1980/1990 les programmes économiques d’une bonne partie de la gauche européenne. Il a fallu du temps aux partis sociaux-démocrates, notamment ceux comme le PS français qui étaient dans un jeu d’alliance et de compétition avec des partis plus à gauche comme le PCF, pour ajuster progressivement leurs programmes, leurs « logiciels idéologiques », leurs vocabulaires et rhétoriques à ces réalités. Un parti comme le PS n’a d’ailleurs pas renoncé à défendre une « Europe sociale », avant d’être débordé en 2005 sur sa gauche par le thème d’une « autre Europe ». Les effets en chaine de cette évolution majeure n’ont pas encore manifesté toutes leurs conséquences même si Manuel Valls, le socialiste « réaliste », ou Emmanuel Macron le jeune trublion libéral du gouvernement en sont des témoignages déjà très significatifs. Les tensions internes au PS, et en général à la gauche, trouvent d’ailleurs très clairement leur origine dans ce rapport complexe et pas clarifié ou assumé à l’intégration économique européenne et mondiale. L’annonce de sa candidature à la présidentielle par Arnaud Montebourg est d’ailleurs presque entièrement tournée vers cette question : il pose une alternative entre les politiques économiques liées à l’intégration économique européenne et ce qu’il a appelé le « refaire France ». 

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