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Français, soyons nous-mêmes sans complexes (c'est bon pour le tourisme)
©Reuters

French pride

Les Suisses n'ont pas honte d'être propres et prospères. Les Espagnols sont fiers de leur sens de la fiesta et les Américains de leur "can do spirit". Pourquoi aurions nous des complexes à être des râleurs xénophobes allergiques au savon et au travail, toujours à deux doigts d'une révolution ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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A l'époque où j'avais encore des cheveux (et même beaucoup de cheveux, j'aurais quasiment pu être casté dans Hair si je n'avais pas chanté comme une casserole), il m'est arrivé de travailler comme serveur dans un restaurant français de New York.

Un vrai petit morceau d'Hexagone à Manhattan avec coq au vin, soupe à l'oignon, escargots à l'ail et rognons de veau au menu. L'endroit était assez mignon dans son genre, niché en plein cœur de Greenwich Village, et, si la qualité de la bouffe laissait un poil à désirer (je crois me souvenir que le chef avait fait ses classes dans une cantine Sodexho d'Arpajon), il avait un certain succès chez les bobos (qu'on n'appelait pas encore comme ça mais bon...) du quartier qui appréciaient les nappes à carreaux, les poulbots sérigraphiés sur les murs et Édith Piaf croassant qu'elle ne regrettait rien de rien en fond sonore.

Une autre particularité de ce greffon gaulois en terre yankee, c'est qu'il était particulièrement crado. Le soir, dans la semi-pénombre des bougies et des rares ampoules 40 watts qui n'étaient pas grillées, ça passait encore, mais à l'heure du déjeuner, les murs défraîchis, les mégots macérant dans la sciure près du comptoir et les vitres rendues presque opaques par la crasse et la graisse finissaient par me mettre mal à l'aise. Même le cuistot d'Arpajon, en collectant la recette de ses trappes à souris chaque matin, trouvait que c'était un peu trop.

"J'adore, c'est crado comme à Paris !"

Un midi où le rade était tellement sale que même le patron, s'il avait été là plutôt qu'en train de se remettre de sa cuite de la veille, en aurait eu honte, je m'étais confondu en excuses auprès d'une cliente dont je venais de changer le verre lavé au rouge à lèvres et les couverts incrustés de restes de bœuf bourguignon en expliquant que c'était exceptionnel et que le type du ménage s'était inopinément fait porter pâle (en fait, il y avait bien un Mexicain qui venait passer le balai de temps en temps mais, en six mois, je l'avais peut-être vu trois fois parce que le boss avait des oursins dans les poches).

Mais la dame s'était marrée et m'avait rassuré en me tapotant gentiment la main : "Oh mais ne vous inquiétez pas ! J'adore, c'est tout à fait comme à Paris !".

Il faut se méfier des clichés bien sûr, parce qu'ils sont réducteurs par nature et qu'il faudrait être sacrément de mauvaise foi pour en tirer une théorie générale, mais peut-être que la manière dont quelqu'un vous perçoit doit finir par vous interpeller.

Tenez, la Suisse, par exemple. C'est propre, c'est riche et les autochtones ont un accent traînant. Chacun sait ça. En Allemagne, les gens sont travailleurs et traversent aux passages cloutés. En Espagne, on parle fort, on dîne à pas d'heure et on se couche encore plus tard. OK, d'accord, les Suisses ne sont pas tous comme ça (je connais des Genevois à l'hygiène douteuse), les Allemands non plus (les Berlinois préfèrent glander) et idem pour les Espagnols (il y en a de timides qui se mettent au lit avec les poules), mais tout de même...

Dans la même veine, pour le reste du monde, la France est essentiellement un beau pays avec du bon fromage, qui a eu deux-trois écrivains notables qui fumaient des Gitanes au café de Flore dans le temps mais qui est largement peuplé de moustachus à bérets qui ressemblent au leader de la CGT ou au beauf de Cabu. Ils pensent aussi que ça n'est pas très bien entretenu, qu'il y a souvent la grève des trains ou des musées et que les serveurs des restos et les vendeurs des magasins font toujours la gueule. Ils sont même plus ou moins convaincus que la dernière contribution notable de la langue de Molière au vocabulaire de la modernité date d'il y a 120 ans avec le mot "chauffeur".

Oh, ils se trompent bien sûr : Nantes et Strasbourg sont propres, les serveurs de Tours ou d'Orléans sont souvent sympas, il y a des Français sans moustache qui partent au boulot sans prétendre qu'ils vont à la mine et on a tout de même inventé le TGV et la poêle Tefal il n'y a même pas quarante ans. Mais, globalement, la caricature reste assez proche de la réalité.

"C'est la vie !" (en français dans le texte, note du traducteur). On n'y peut rien. Nous sommes (collectivement) comme ça.

Un clip touristique avec Philippe Martinez vantant le camembert

Je me disais d'ailleurs qu'il serait peut-être temps d'arrêter de nous la raconter avec nos French Web et autres fantasmes de Silicon Valley en Essonne pour retrouver la fierté de ce que nous sommes fondamentalement : des vindicatifs réactionnaires un chouïa xénophobes qui ne se douchent qu'un jour sur trois et sont constamment au bord d'une révolution parce qu'il y a eu du retard dans le versement de leurs indemnités de chômage.

Et la période actuelle est tellement emblématique, avec ces trains et ces métros en vrac, ces avions (bientôt) cloués au sol, ces ordures qui s'amoncellent sur les trottoirs, ces fleuves qui débordent à force de construire n'importe quoi n'importe où, ces terroristes élevés au grain en banlieue, ces cégétistes qui coupent le courant et ferment le robinet d'essence, que je me suis dit que c'était exactement l'image qu'il fallait vendre à l'étranger pour stimuler le tourisme.

Ainsi, "France.fr ", la structure qui nous promeut à l'étranger, produirait un clip avec Philippe Martinez vantant notre camembert sur fond de casseurs mettant le feu à des voitures de police (des Renault 4, des 2 CV et des Tubes Citroën), on verrait un TGV à l'arrêt en rase-campagne près d'une centrale nucléaire dont l'accès serait bloqué par des pyramides de pneus en flammes... Il y aurait même des agriculteurs en colère déversant du fumier sur une sous-préfecture en un double clin d’œil à nos traditions rurales et administratives !

Après tout, lorsqu'on voyage, c'est pour découvrir une culture et des gens. Pas une espèce de sous-produit d'un mode de vie homogénéisé et sans saveur. Et ce n'est pas ma cliente du déjeuner qui dirait le contraire (si elle n'a pas succombé à une intoxication alimentaire en rentrant chez elle, ça va sans dire).

Vous préférez vous acculturer ? La porte est grande ouverte !

Si la France doit rester la France, il est indispensable que Besancenot puisse regretter Trotski à la télé et Le Pen pleurer Pétain à la radio. "C'est consubstantiel", pour parler comme Pierre Bourdieu qui s'y connaissait en habitus. Tout comme il est nécessaire que nos loufiats monolingues continuent d'arnaquer ces benêts d'Américains en se fichant ouvertement de leur poire aux terrasses de Nice et de Cannes. Ou que le métro sente la pisse et l’œuf pourri et que les banques et les usines soient enfin nationalisées pour qu'on y passe aux 32 heures comme à la RATP.

J'en ai bien conscience, tout ça peut ne pas sonner très glamour aux oreilles de certains (qui ont toujours la possibilité de s'expatrier s'ils tiennent tant que ça à s'acculturer, la porte est grande ouverte), mais ça plairait tellement aux touristes qu'ils seraient deux fois plus nombreux à mitrailler ce pittoresque safari avec leurs téléphones portables. Et vous savez quoi ? On pourrait même se mettre en grève contre eux comme à Barcelone s'ils la ramènent trop. Ben quoi, on ne va tout de même pas se laisser emmerder par des étrangers... Vive la France !

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