"Blocages inacceptables, scandaleux, prises d’otages etc." Moins on en fait, plus on en dit : le triomphe de la rhétorique du commentaire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
"Blocages inacceptables, scandaleux, prises d’otages etc." Moins on en fait, plus on en dit : le triomphe de la rhétorique du commentaire
©

Agir ou commenter ?

On nous le répète jusqu'à saturation : le gouvernement, face au défi de la CGT, "ne cédera pas". "Je tiendrai bon", a dit solennellement le chef de l’Etat depuis Tokyo. Cette "fermeté" n’est guère confirmée par les faits. Mais le plus grave est ailleurs : dans le recul flagrant de l’Etat de droit.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

De confidences en indiscrétions, les médias pressentent à juste titre, derrière le discours martial de l’Exécutif sur les blocages actuels, des velléités de « compromis ». A vrai dire, la chose ne fait aucun doute dès lors que l’on considère dans leur totalité les déclarations de François Hollande, qui reste fidèle à sa « rhétorique circulaire » (du type « d’un côté, mais de l’autre »). Ainsi de sa fermeté affichée à Tokyo : certes, assure-t-il, il faut bel et bien « respecter la loi » ; mais, a-t-il aussitôt précisé, « la loi Travail n’est pas encore la loi ». CQFD : la voie est libre pour ce que l’on appelle, en langage politiquement correct, le « courage de l’apaisement » et, en termes vrais, une capitulation sous (sans ?) conditions.

Il est vrai que l’on s’est contenté jusqu'ici d’un « discours de fermeté », selon la très juste expression de la ministre du Travail. Et c’est bien là que le bât blesse : hormis le déblocage des dépôts de carburant, les autorités en restent en effet au discours et n’utilisent pas les dispositions offertes par la loi face à ses violations flagrantes. La rhétorique du gouvernement est d’ordre strictement moral : « scandaleux, inacceptable, prise d’otages etc… ». Bref : incantation et indignation. Ce registre purement éthique permet d’éviter - et ceci d’autant plus que l’on a recours aux « grands mots » -  le langage qui correspond vraiment aux circonstances : celui de la légalité. Car, dans la cacophonie générale, l’on perd de vue (n’est-ce pas l’objectif ?) la qualification juridique des actions de la CGT :  à savoir leur illégalité patente. 

L’on invite le lecteur à se rendre, non pas sur un média d’opposition ni sur le site du MEDEF, mais sur celui de… service public.fr. L’on y découvrira les règles fondamentales du droit de grève en France, que peu de médias et aussi peu d’hommes politiques - y compris dans l’opposition - songent à nous rappeler précisément : 

Illégal, l’empêchement fait aux non-grévistes d’exercer leur liberté de travailler.

Illégale, la grève sans consultation du personnel comme à la raffinerie de Donges.

Illégales, les grèves tournantes, faisant entrer en jeu successivement différentes catégories de personnel, comme dans les centrales nucléaires.

Illégales, les grèves politiques sans motivation professionnelle directe : c’est le cas notamment dans les entreprises publiques qui ne sont en rien concernées par la loi Travail.  

Illégal, le blocage de sites de production et de distribution. 

Illégales, dans le secteur public, les grèves avec un préavis inférieur à 5 jours.

Or qui est chargé de faire respecter la loi ? L’on reste coi devant l’attitude constante du gouvernement, qui, dans ce domaine comme dans tant d’autres (croissance, chômage etc.) en reste à la rhétorique du commentaire. « C’est bien », « c’est mal », « c’est encourageant », « c’est inquiétant », « c’est scandaleux » etc. L’une des expressions favorites du Président de la République est à cet égard très parlante : « J’observe ». Certes, mais que fait-il ?  Car, du POUVOIR, si les mots ont un sens, n’est-ce pas l’ACTION que l’on attend ? 

L’on objectera à juste titre que le même pouvoir sait être actif, et ô combien, lorsqu'il s'agit de combattre d’autres adversaires politiques ou d’appliquer la dura lex, sed lex au citoyen ordinaire. Mais que son action soit inexistante ou sélective, le résultat est le même et le risque est double : donner d’abord un signal de laissez-faire à la CGT dans son entreprise liberticide et anti-démocratique ; provoquer, plus gravement encore, dans l’opinion un perte complète des repères et encourager l’incivisme de tous et dans tous les domaines : pourquoi après tout, diront les uns ou les autres, payer ses impôts et respecter les feux rouges dans un pays où des atteintes graves à la loi demeurent chaque jour impunies? 

Il est vrai qu’en censurant les journaux qui ne se pliaient pas à son oukase, la CGT a pris le risque de s’aliéner des médias plutôt « compréhensifs ». La condamnation de cette atteinte gravissime, car d’inspiration totalitaire, à la liberté d’expression est fondamentale. Mais elle ne doit pas oublier les droits des autres citoyens (travailler, entreprendre, circuler) qui sont, eux aussi, bafoués.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !