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Et pan le boomerang : comment Emmanuel Macron retourne contre François Hollande ses propres armes rhétoriques
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Brutus et César ?

Quelles que soient les intentions réelles d’Emmanuel Macron, François Hollande serait bien inspiré de méditer la phrase de Nietzsche : « on honore bien mal un maître en restant toujours son disciple ».

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Cette citation ne doit pas être inconnue de l’ancien collaborateur du philosophe Paul Ricoeur, dont la solide formation littéraire fait par ailleurs, sinon un grand orateur (son indéniable charisme demande à être travaillé), du moins un habile rhétoricien.

D’où un choix très précis des mots dans chacune de ses déclarations, que les médias accueillent un peu vite comme l’expression d’une fraîche et revigorante « spontanéité ». Car ce choix vise aussi à ménager une porte de sortie en cas de complications. En ce sens, Emmanuel Macron s’inscrit bel et bien dans la filiation de François Hollande et de François Mitterrand. Si l’on parle beaucoup du « père », n’oublions pas le « grand-père », qui aurait sans nul doute beaucoup apprécié ce brillant jeune homme et qui, on le sait, fut un orfèvre de l’énoncé à double sens. Souvenons-nous de l’oxymore de la « force tranquille » et du balancement du « ni, ni ». Au « ni privatisation, ni nationalisation » de 1988, le « ni de droite, ni de gauche » d'aujourd'hui ne fait-il pas étrangement écho ? « Par-delà la droite et la gauche », pour reprendre encore Nietzsche, aurait eu meilleure allure.  Mais comment aller dans ce sens, si l’on doit en même temps faire allégeance personnelle et permanente à LA GAUCHE, ministère oblige ? 

Emmanuel Macron - et la divergence frappante des commentaires que suscite son aventure en est la meilleure preuve –  pourrait donc bien s’inscrire dans une riche tradition française : celle de l’ambiguïté. Ecole où il faudrait également placer un Dominique Strauss-Kahn, déjà « social libéral » avant l’heure mais aussi champion des 35 heures, on l’oublie trop souvent. Rapprochement rarement fait entre les deux hommes et pourtant d’autant plus justifié que leur positionnement et surtout leurs soutiens sont très exactement les mêmes.    

Le cœur de la rhétorique macronienne est donc sans surprise le discours à deux temps. De même que François Hollande, qui n’avait pas de mots assez durs sur la déchéance de nationalité, s’en est ensuite fait le champion, de même Emmanuel Macron, qui fustigeait en 2014 comme une « provocation » le plaidoyer de Pierre Gattaz contre l'ISF, en instruit lui-même le procès aujourd'hui. Revirements très classiques en politique mais que la mémoire omniprésente d’internet rend aujourd'hui plus risqués. Plus typiquement « hollandais », la présence dans une même déclaration, voire une même phrase de tout et son contraire, que le fils spirituel pratique avec la même aisance que son modèle : cf. « mesures radicales » et « consensus ».

La grande originalité du Ministre de l’économie reste le changement de pied d’un jour sur l’autre. Comme François Hollande, Il adore les ballons d’essai mais il les lance lui-même, quitte à les crever aussi lui-même. La liste de ses repentirs s’enrichit à vue d’œil, depuis les ouvrières « illettrées » de Gad jusqu'à la suppression de l'ISF. Mais si l’on y regarde de plus près, l’homme a une telle maîtrise rhétorique qu’il ne se contredit jamais littéralement. Ainsi dans le cas des ouvrières de Gad, il n’est pas revenu sur le fond de sa déclaration mais a présenté ses « excuses les plus plates ». De même, il n’a jamais dit qu’il n’était pas redevable à François Hollande mais que François Hollande ne l’avait pas « nommé pour en faire son obligé ». Ce qui est fort différent. L’on retrouve la patte de son mentor et la géniale « inversion de la courbe du chômage » qui ne signifie nullement la baisse du chômage par rapport à 2012 - et c’est bien pourquoi, ne s’étant engagé à RIEN DE MESURABLE en la matière, contrairement à ce qu’on lit partout, François Hollande sera candidat en 2017, sauf catastrophe. 

En attendant, ce dernier doit observer, avec un mélange d’admiration et de rage, l’habileté de son « fils rhétorique » qui pratique avec brio à son égard ce que lui-même a si longtemps réussi vis-à-vis des Français : ne jamais donner prise, se rendre INSAISISSABLE.

Ce véritable jeu du furet rhétorique a toutefois ses limites. Le risque est grand de ne plus être compris donc suivi. Trop d’habileté peut finir par lasser. Ainsi sur l’ISF : la préférence personnelle du Ministre qui ne va pas à cet impôt ne signifie pas, dit-il, qu’il en demande la suppression. Certes, mais l’on est bien près du double langage comme du précipice de « l’insincérité », dans lequel, à force d’ambiguïtés, le Président est justement en train de tomber.

Mésaventure qui pourrait bien guetter Emmanuel Macron s’il ne clarifie pas, et le plus vite sera le mieux, ses thèses et son message. En quittant le gouvernement, par exemple ?  

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