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"La-jeunesse-dans-la-rue-contre-la-précarité !" : voyage au cœur d’un mensonge français
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Rhétorico-laser

Les sorties « des jeunes » contre la loi Travail sont l’objet de rhétoriques variées. Mais souvent à côté de la plaque : le problème de la jeunesse française réside dans un mensonge fondamental et complaisamment entretenu.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Le discours médiatique dominant sur la protestation de « la jeunesse » contre la loi travail repose d’abord sur une belle figure de rhétorique : la métonymie (la partie pour le tout) qui fait passer quelques dizaines milliers de jeunes pour « la jeunesse » française, qui compte quelque 7 millions d’individus (15-24 ans). Métonymie double au demeurant, car la partie de la jeunesse qui (se) manifeste ne représente même pas un pourcentage significatif de la catégorie à laquelle elle appartient : les lycées d’enseignement général et les universités. Bref, nous avons à faire à une petite partie d’une petite partie du tout…

Quant à la « précarité » qui est sur toutes les lèvres, elle relève également d’une technique rhétorique bien connue : la péjoration, qui consiste à reprendre l’argumentaire adverse en le reformulant de manière négative : « la souplesse » devient « la loi de la jungle », « le pragmatisme », « l’arbitraire patronal » et la « flexibilité », « la précarité ».

Et si puissante est la force de ces images qu’elles masquent aisément, dans un pays qui se dit cartésien, les sophismes les plus ahurissants : en France, un stage à 400 euros est ainsi plus désirable qu’un CDD à 1300, un CDD d’un mois, plus attractif qu’un CDI assoupli et, pour tout dire, le chômage moins « précaire » que le travail. En vertu de quoi, les milliers de non-qualifiés, souvent venus des quartiers, et qui ont trouvé leur salut dans la funeste « ubérisation », sont priés de retourner sagement à Pôle emploi…

C’est ainsi que l’on voit défiler des 16-25 ans pour sauver les indemnités prud'hommales réservées aux plus anciens, empêcher le licenciement économique de ceux déjà en place et assurer la carrière de futurs apparatchiks.  Sans se demander si, par hasard, la surprotection des uns ne se payait pas par la précarisation des autres, la leur notamment ; et encore moins pourquoi l’Etat, premier producteur français de travail précaire voire non-déclaré, ne s’applique pas à lui-même les règles qu’il impose à l’horrible secteur privé. 

Signe parmi tant d’autres d’une école où l’ignorance le dispute à l’idéologie au nom de la sainte égalité, où « le travail se partage », où « l’Etat crée des emplois » et où l’enseignement de l’économie est toujours dominé par la vulgate keynésienne des années 1970. 

Signe aussi d’une éducation parentale reflétée dans les commentaires de certains « experts », souvent parents de manifestants, où la tendresse pour les chers petits le dispute à la nostalgie de leurs propres combats (« Ah, Devaquet !), à la nécessité des « rites de passage » et… à l’intérêt bien compris de leurs confortables CDI lestés d’ancienneté. Après tout, comme on a pu l’entendre, cette bonne vieille « politisation » de la jeunesse n’est-elle pas plus rassurante que le djihad ?

Mais il se pourrait bien qu’il n’y ait non pas une, ni même deux, mais trois, voire quatre jeunesses : haut du panier des grandes écoles et des (trop rares) formations universitaires d’excellence ; diplômés des universités générales ; éjectés des parcours universitaires (au moins la moitié) ; et jeunes sans aucune qualification (150.000 par an). Catégories promises à des destinées bien divergentes, mais baignées dans le même illusionnisme ambiant qui va du taux de réussite et de l’inflation des mentions au bac à la mastérisation à tout va, en passant par le refus (Ô combien sélectif !) de la « sélection ».  

Une immense entreprise d’infantilisation en somme, qui conduit la grande majorité des jeunes à une terrible frustration lorsque vient la confrontation avec le très réel marché du travail, dont ils n’ont reçu ni les codes, ni les clefs. Frustration redoutable pour eux-mêmes, mais aussi pour la société. 

Et c’est là que réside le vrai terreau révolutionnaire, car les révolutions, depuis 1789, naissent toujours du heurt entre attentes de la jeunesse et blocages de la société. Et en ce sens, les manifestations contre la loi Travail même si elles reposent sur un contresens et l’ignorance de son contenu, traduisent bien un malaise profond qui pourrait un jour cristalliser.

A moins que le Pouvoir actuel n’ait trouvé (sans doute involontairement) un providentiel exutoire : l’émigration massive des jeunes les plus dynamiques, les plus talentueux… et les plus lucides. Par centaines de milliers, les voilà partis, non pour un beau « voyage qui forme la jeunesse », comme on fait semblant de le croire mais pour longtemps, sinon pour toujours. 

Ouf ! Les redoutables Cohn-Bendit, les Geismar, les Cambadélis et autres Dray d'aujourd’hui ne sont plus là pour mener la rébellion : ils étudient à Londres ou lancent leur start-up à Berkeley. 

Il nous reste William Martinet.   

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