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Le mot du moment : "jusqu'au bout !" … mais au bout de quoi ?
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Rhétorico-laser

Le "jusqu'auboutisme" affiché à droite et à gauche recèle bien des ambiguïtés et néglige un détail : le quinquennat actuel est en fait terminé sur le fond.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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On le savait depuis longtemps pour les candidats déclarés à la primaire de la droite : ils iront tous « jusqu'au bout ». Certains l’ont d’autant plus martelé qu’ils étaient suspectés d’une volonté à éclipse ou crédités de bien maigres perspectives. Nul doute que les prochains impétrants affirmeront avec la même force leur volonté d’aller « jusqu'au bout ». La capacité des « Grands à trop s’estimer eux-mêmes » est en effet sans limite, notait déjà Montesquieu. Mais ce « bout » pourrait être bien proche pour nombre d’entre eux, faute de parrainages ou de financement suffisants… Reste la situation très délicate de Nicolas Sarkozy qui, lui, ne peut se permettre de voir « le bout » de sa candidature fixé par les juges.

Petite illustration des multiples sens de ce mot d’apparence si simple : « jusqu'au bout ». Il peut en effet désigner une date butoir fixée par les institutions ; ou bien la fin d'un processus parvenu à son terme ; ou encore un résultat précis que l’on veut atteindre « coûte que coûte ».

Ce sont ces multiples sens que l’on voit aujourd'hui tournoyer dans l’espace médiatique à propos de la politique gouvernementale, au risque (voulu ?) d’une confusion totale. « Réformer jusqu'au bout » dit sans cesse le Président ; « j’irai jusqu'au bout » de la loi Travail, clame Manuel Valls ; « je souhaite aller jusqu'au bout »dit plus prudemment la ministre en charge. Quant à Michel Sapin, prince de l’équivoque rhétorique, il promet d’aller « jusqu'au bout dans le dialogue ».Et la plupart des commentateurs de relever ce jusqu'auboutisme apparent, sans noter les sens très différents de ces déclarations : François Hollande veut dire qu’il veut réformer jusqu'au TERME de son mandat ; Manuel Valls, qu’il voit dans la réforme du droit du travail une OBLIGATION de résultat ; alors que sa ministre du travail n’évoque qu’un VOEU de succès et son ministre des finances, une simple obligation de MOYEN (le « dialogue »).

Dans les trois cas, des questions gênantes viennent aussitôt à l’esprit : au Président, quelles réformes précisément ? Pourquoi si tard ? Avec quelle majorité ? Au Premier ministre, quel résultat final ? Au prix de quels renoncements ? A la ministre du travail, ce vœu n’est-il pas pieux ? Et au ministre des Finances, quid si « le dialogue » ne donne rien ?

En fait, après l’audace initiale, tout le dispositif rhétorique « hollandien » est désormais en place pour un enterrement de la loi El Khomri : rhétorique circulaire où l’on ménage la chèvre et le chou (d’un côté liberté des entreprises, de l’autre la sécurité des salariés) ; recul à la première escarmouche ; transfert de la responsabilité de l’échec final sur les autres (syndicats, Parlement et bien sûr opposition). Le plus étonnant est que l’on s’en étonne encore, tant le système est éprouvé. L’abandon probable des dispositions centrales du projet de loi assure d’ores et déjà que« la montagne va encore accoucher d’une souris » (N. Sarkozy). Peut-être même pas la moindre « souris » cette fois-ci, vu la force des oppositions conjuguées et l’impopularité abyssale d’un président en fin de mandat. Et, fait rédhibitoire dans la perspective d’une réélection, l’hostilité au projet très majoritaire dans l’opinion qui révèle, par-delà un désir affiché de « rénovation » purement abstrait, un conservatisme viscéral à la moindre réforme.

Les choses devraient désormais être claires : le gouvernement n’a plus aucun moyen de réformer, quand bien même il en aurait l’intention.

Ce n’est donc pas « jusqu'au bout » qu’il faudrait dire pour qualifier l’action de l’exécutif, mais « à bout ». De deux choses l’une : ou la loi El Khomri (comme la déchéance de la nationalité bientôt) sombre corps et biens, échec qui disqualifiera d’avance tout autre projet ultérieur. Le quinquennat s’achèvera alors « en roue libre », ballotté d’une urgence à l’autre dans une impuissance totale. Ou bien Manuel Valls s’entête sur le texte et la crise politique (et probablement sociale) est assurée. Qui peut alors garantir que le quinquennat ira alors « jusqu'au bout » dans sa configuration actuelle ?Aussi bien le Président que le Premier ministre pourraient bien y trouver leur intérêt : l’enlisement assuré ne constitue-t-il pas le plus grand danger pour l’Exécutif ?

Éventualité d’un chambardement politique qui, par ricochet, perturberait sérieusement les candidats de droite car le calendrier actuel, sur lequel ils misent tout, ne serait alors pas respecté… « jusqu'au bout » !

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