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Petit manuel de « vérification » à l’usage des apprentis « fact-checkers »
©Reuters

Rhétorico-laser

Comment le fact-checking est devenu le grand refuge de la rhétorique partisane.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Le « fact-checking » est à la mode. De nombreux médias, écrits et audiovisuels, y consacrent désormais une chronique régulière. Souci des chiffres et des faits très bien venu dans un débat politique trop marqué par les approximations, voire par les francs mensonges… et dans une presse traditionnellement plus portée à l’opinion qu’à l’information et à la conviction qu’à l’investigation. Et qui a trop longtemps préféré « avoir tort avec Sartre que raison avec Aron »…

Mais voilà : chassez le naturel, il revient au galop ! Le fact-checking est trop souvent devenu l’un des grands instruments de la rhétorique partisane, d’autant plus redoutable que celle-ci peut désormais dérouler ses artifices à l’abri de l’objectivité des chiffres et des faits « bruts ».

Et, sans surprise au profit de la gauche : en raison de la rareté du fact-checking à droite (mais au fait pourquoi cette pudeur ?)

En tout cas, la règle non écrite aboutit à un score final moyen de 7 à 3 : c’est-à-dire 7 « faux » pour la droite contre 3 « vrais » ; proportion inverse pour la gauche. Pour le FN, l’on arrive à 99 « faux » contre 1 vrai (eh oui, l’on a pu trouver une exception !). Même s’il cite une statistique officielle ou reprend un fait avéré, le FN ne peut, par principe, avoir raison : « Résistance » oblige !

Mais, plus subtilement, au-delà du clivage partisan, le vrai critère est le respect du « politiquement correct » : on le constate au nombre croissant des « faux » infligés à l’actuel gouvernement depuis qu’il donne dans le soutien aux entreprises et le « sécuritaire ». A quoi s’ajoute une large ignorance des réalités étrangères, certes habituelle en France ;mais, ce qui l’est moins, de l’histoire de la France elle-même,avant mai 1968.

En revanche, les techniques majeures de la rhétorique inventées dans la Grèce antiques sont parfaitement maîtrisées, en particulier les vastes ressources (attribution injuste au demeurant) de la sophistique.

D'abord la falsification pure et simple : elle est assez rare mais plutôt gênante vu la nature de l’exercice. Systématique en revanche, la sélectivité des faits et des déclarations, pour évacuer données gênantes et sources contrariantes. De même, l’élasticité des critères qui se traduit par de nouvelles catégories logiques, telles que le« plutôt vrai » ou le « plutôt faux », voire l’admirable « faux, mais de peu » ! La technique la plus rodée reste la substitution : glisser du fond à la forme, de ce qui est dit à celui qui le dit(voire à un autre), et de la vérification pure et simple au commentaire tous azimuts.

En effet notre pays, plus littéraire que cartésien en politique, comme l’avait si bien vu Tocqueville, préfère toujours les mots aux chiffres. De là, ces coupages de cheveux en quatre ces « certes, mais », ces « on pourrait croire que mais regardons-y de plus près » et le sacro-saint « il faut contextualiser » : comprendre la différence de contexte donne « plutôt tort » à la droite, « plutôt raison » à la gauche). Voilà qui donne le tournis : on ne sait plus si, ou pourquoi,le propos à vérifier disait vrai ou faux…. D'autant que les bons vieux sophismes tiennent souvent lieu de raisonnements : la cause devient la conséquence, « celui qui a menti une fois mentira toujours », le détail remplace l'ensemble et le fait accidentel, la tendance de fond...

Ce qui nous conduit aux 12 conseils suivants (tous repris, hélas, d’exemples attestés) à suivre impérativement pour tout apprenti voulant devenir un fact-checker confirmé:

1/ Un homme de droite demande de porter le nombre de places en prison à 80.000 : lui faire dire « 80.000 places supplémentaires ».

2/ Un gouvernement de droite fait moins mal sur le plan économique que la moyenne européenne : ne pas comparer.

3/ Un gouvernement de gauche fait pire que la moyenne européenne : ne pas comparer (ou parler de « crise européenne »).

4/ Un homme de droite se trompe de 10% : dire « plutôt faux ».

5/ Un homme de gauche se trompe de 30% : dire « plutôt vrai ».

6/ En deux ans la droite augmente les impôts de 13 milliards, la gauche de 27 : « dire moitié, moitié ».

7/ Le chômage augmente de 25% plus vite sous la gauche que sous la droite : dire « hausse continue du chômage ».

8/ Déchéance de la nationalité : dire « c’est une idée qui vient de Jean-Marie le Pen ». Ne pas mentionner la Seconde République et la déchéance de la nationalité pour esclavagisme.

9/ Inégalités devant la mort : par définition, toujours « socio-économiques » : insister sur l’inégalité cadre/ouvrier. Taire l’inégalité fondamentale entre hommes et femmes. Surtout ne jamais dire qu'une ouvrière vit plus longtemps qu’un patron.

10/ Droit du sol. Dire « tradition républicaine ! ». Ne pas rappeler son origine monarchique ni le fait qu’une Française qui épousait un étranger perdait sa nationalité jusqu'en 1927.

11/ Think tanks : toujours rappeler la proximité politique d’un think tank s’il est marqué à droite ; à éviter s’il l’est à gauche.

12/ Justice : 100.000 condamnations à la prison ne sont pas exécutées : dire que « l’argument relève de la  rengaine et du recyclage ».

Attention ! Tout ceci ne signifie nullement que « l’on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut » ! Adage paresseux. Le traitement des statistiques - et des textes - en sciences sociales répond à des règles bien précises : respect des données, homogénéité des sources, constance et productivité de l’interprétation. Et, plus que tout, une règle déontologique première : l’équité vis-à vis des uns et des autres.

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