"Commémorite" aiguë ! Comment commémoration et communication sont devenues les deux mamelles de la Hollandie<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande lors des commémorations du débarquement
François Hollande lors des commémorations du débarquement
©Reuters

Rhétorico-Laser

Depuis 18 mois, François Hollande multiplie pour chaque événement l’hommage au passé.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Le constat s’impose : depuis 18 mois notre Président se recueille. Exactement depuis l’anniversaire du Débarquement, le 6 juin 2014, début d’une série infinie de célébrations de la mémoire nationale : celle(s) de 1944, celle(s) de 1914, et bien sûr, celle(s) des attentats de 2015. Le pluriel s’impose, car François Hollande multiplie pour chaque événement l’hommage au passé : juin 1944 (Normandie) certes, mais aussi août (Provence) ; juillet 14 (assassinat de Jaurès), août 14 (entrée en guerre) mais aussi novembre 18 ( armistice célébré en novembre 2014)…

Et ce n’est pas fini : François HoIlande a devant lui un calendrier exceptionnel (consultable dans le très utile « Recueil des commémorations nationales » du Ministère de la Culture) : avec, en 2016, le grand phare de Verdun qui permettra à coup sûr un beau geste franco-allemand, à défaut d’une initiative politique commune. A moins que François Mitterrand, dont on sait l’emprise mémorielle sur l’actuel chef de l’Etat, ne l’emporte avec le double anniversaire de son décès (célébré aussi par le Président cette semaine) et de sa naissance (octobre prochain). Quant aux attentats de l’an dernier, avec leur égrènement macabre du 7 au 9 janvier, décuplés par les atrocités du13 novembre, ils ont « naturellement » conduit, dès le 5 janvier, à une semaine de rituels à répétition, de plaques en discours, de chants martiaux en arbre de la liberté, de serrements de mains en visages solennels.  Sans compter émissions spéciales et autres documentaires, prenant sur le vif le « cœur du pouvoir » aux plus grandes heures du drame.

Mais n’est-ce-pas, dira-t-on la mission même du chef de l’Etat, garant du sacré national, surtout quand nos compatriotes tombent et quand la patrie est en danger ? Qui peut le lui disputer ? Qui, de fait, aurait le droit de disputer cette fonction commémorative, à celui qui est par la grâce démocratique de l’élection le seul porte-parole légitime de la nation ? De Gaulle n’a-t-il pas panthéonisé Jean Moulin et ritualisé le 18 juin au Mont-Valérien ? Sarkozy, lui-même, n’a-t-il pas été un fidèle du Vercors ? Quant à Mitterrand…

Eh bien, justement, c’est là que la question commence : puisque la contestation est impossible en matière de sacré, qui est le sacré même de la mort, la tentation peut être grande de s’en servir et la commémoration devenir dès lors aussi un outil politique. Ce qui ne retire évidemment rien à la sincérité de l’émotion du Président, ni à la force de sa résolution anti-terroriste. Mais, portée à cette intensité sans précédent, la commémoration sature l’espace médiatique, interdit la contradiction et impose « l’unité nationale ». D’une pierre, trois coups !

Et face à une droite inapte à contrer la rhétorique présidentielle, la partie est un jeu d’enfant. Elle permet au passage à F. Hollande (discours du 7 janvier) de brocarder en toute « dignité républicaine » son prédécesseur pour avoir supprimé 12000 postes dans les forces de sécurité… Il n’y a pas de petits profits. A quand « le drame de Charlie hebdo, c’est la faute à Sarko » ?

On ne peut s’empêcher de constater que la grande ère des commémorations hollandiennes a commencé peu après l’arrivée de Gaspard Gantzer (avril 2014) à la tête de la communication de l’Elysée, qui pataugeait jusque-là ; et que le même chef de la communication se retrouve au premier plan des documentaires sur l’action antiterroriste du Chef de l’Etat. On ne peut davantage s’empêcher de s’interroger sur  le but d’un tel déluge commémoratif qui relègue providentiellement à l’arrière-plan (sacré oblige !) les grands enjeux de l’heure : chômage sans précédent, crise chinoise menaçant l’équilibre mondial, Moyen-Orient au bord du gouffre etc.

Et qui étouffe même en matière de terrorismetant de questions, refoulées justement par l’émotion de la commémoration : pourquoi l’allègement de la protection de Charlie, alors même que la menace se renforçait ? Pourquoi si peu d’action entre janvier et novembre ? Pourquoi l’assaut si tardif au Bataclan ?   

Et que l’on ne nous oppose pas le « respect des victimes » ! Ce sont les premières, d’Ingrid Brinsolaro, la si digne veuve du garde du corps de Charb à la nouvelle association des victimes du 13 novembre, à poser ces questions. La vérité aide toujours au travail du deuil. A quoi l’on ajoutera l’impertinence suivante : pourquoi donc ces étranges « extensions » liberticides qui, loi sur le renseignement et prochaine loi pénale,  vont bien au-delà du combat contre le terrorisme ?

Dès lors, la médiocre assistance à l’ « hommage populaire » décrété pour les cérémonies du 11 janvier 2016, pourrait bien traduire, non pas une peur des terroristes, encore moins un désintérêt à l’égard des victimes, mais tout simplement une lassitude des Français à l’égard d’une politique mémorielle perçue comme abusive. 

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