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A chacun sa France : les hebdos à la recherche du roman national ; Alain Juppé admiré par Claude Chirac ; les familles recomposées face à Noël
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Revue de presse des hebdos

Comme pour chaque petite entreprise qui fait le point en fin d’exercice, la France – elle aussi - se pose des questions, entre bilan et perspectives. Toute tordue, mais néanmoins en équilibre entre 2015 et 2016, elle regarde en arrière. Elle regarde en avant. Elle affirme son identité, ses valeurs, ses symboles, sa fierté, son insolence. Entre bilan 2015 et perspectives 2016, la presse hebdomadaire se répartit les tâches. Petit tour d’horizon…

Sandra Freeman

Sandra Freeman

Journaliste et productrice, Sandra Freeman a animé des émissions sur France Inter, LCI, TF1, Europe 1, LCP et Public Sénat. Coautrice de L'École vide son sac (Éditions du Moment, 2009), elle est la fondatrice du média internet MatriochK.

 

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Joyeux Noël (sous état d’urgence), et « meilleure année » !

Avant les mots et les analyses, quelques images pour commencer. Dans « L’Express », Plantu dessine un jazzman niché sur le toit du Bataclan. Il joue pour les âmes qui planent au-dessus de la salle de spectacle endeuillée en 2015 et ne souhaite pas une « Bonne année 2016 ». Il souhaite, ce qu’on peut souhaiter aujourd’hui : une "meilleure année 2016" !

De son côté, « Charlie Hebdo » propose en couverture l’image de la bûche de Noel, dessinée par Riss, sur fond rouge. Trois petits lutins : un bleu, un jaune, un vert. L’un a une hache, l'autre un pistolet et le troisième attend de se faire décapiter. C’est l’image de Noël choisie par « Charlie ». Une autre aurait pu être celle proposée par Coco, en quatrième de couverture, d’un « Noël sous l'état d'urgence » avec le traîneau du Père Noël coursé par un traîneau de la police : « vos papiers ! »

Camélia Jordana en Marianne aux seins nus, sous l’objectif de YannRabanier

Sans doute, l’image la plus forte de la semaine dans la presse hebdomadaire, restera celle proposée en Une de « L’Obs » : la chanteuse Camélia Jordana en Marianne aux seins nus. Devant l'objectif d’un photographe, Yann Rabanier, elle se hisse, bonnet phrygien couvrant sa chevelure et colombe au poing. Après avoir ému le monde entier en interprétant « Quand on a que l’amour » lors des cérémonies aux victimes du 13 novembre, avec Yaël Naim et Nolwenn Leroy, elle affirme ici son engagement symbolique. 

Marianne, sous la plume de Laurent Binet

Parce que Marianne, « c'est un symbole » écrit l’auteur Laurent Binet dans les pages de ce journal. 

« Marianne incarne la liberté, c'est-à-dire le contraire de l'état d'urgence. 

Marianne incarne l’égalité, c'est-à-dire le contraire du pacte de responsabilité. Marianne incarne la fraternité, c'est-à-dire le contraire de Calais. 

Marianne n’incarne pas la sécurité mais l'insoumission ; 

Elle ne brandit pas de croix, parce qu'elle n'attend rien de Dieu ; elle ne croit pas que la Terre ne ment pas, parce qu'elle ne possède pas de terre ».

Laurent Binet marque par ailleurs la différence avec notre Bleu-Blanc-Rouge réinvestit depuis les attentats : « Le drapeau français c'est du signe. Il obéit à l'arbitraire du signe, c'est-à-dire qu'à la base, avant le code couleur qui associe Paris et la royauté, le bleu-blanc-rouge ne veut rien dire en soi, si bien que n'importe qui peut lui faire dire à peu près n'importe quoi (…).

Marianne c'est différent ! C’est un symbole, un signifiant qui représente quelque chose. Elle est une femme coiffée d'un bonnet phrygien. Personne ne peut ignorer la signification de ce bonnet : l'identité nationale de la France, si une telle chose existe, c'est la révolution ». 

L’écrivain insiste : « un jour, les dominés ont renversé les dominants au nom d'un idéal des Lumières, et de ce geste fou, est né la République Française. Voilà ce que Marianne rappelle avec son bonnet » conclut-il avant de tacler un Alain Finkielkraut qui « comme d'habitude n’a rien compris » quand il affirme que « la République, c'est se tenir droit ». Pour Binet, la vérité est toute autre : « l'allégorie de la République française (…) c'est le tableau de Delacroix, « La Liberté guidant le peuple », dépoitraillée, sur les barricades ». 

Et c’est de cette posture du tableau que s’inspire la tenue de Camélia Jordana en Marianne.

Fierté  du Roman National : « La grande épopée du peuple français ! » 

« L'Express » propose de son côté un autre tableau que celui de Delacroix pour évoquer la France qui se bat : celui  de Jean Victor Schnetz, « Combat devant l'hôtel de ville le 28 juillet 1830 ». Cette image là porte l’action héroïque d’un jeune polytechnicien en uniforme escaladant les pavés de la barricade sur fond de drapeau français. 

Dans ce numéro double de fin d’année, le magazine ne dresse pas qu’un bilan récent de l’Histoire française mais choisit de remonter en -52 et Alésia, la mère des défaites pour courir jusqu'à 2015 lorsque le monde entier a chanté  « La Marseillaise », ce 13 novembre, « L’Express » retrace donc au travers de « récits » et de « tempêtes », des moments forts de notre Histoire, entre Versailles, les Lumières, La Commune, l’Affaire Dreyfus, la guerre d'Algérie, Mai 68, la victoire de 1998 au football… etc.

Vincent Duclert : « c’est le patrimoine démocratique et civique qui constituent la fierté du peuple français »

« Face a une actualité anxiogène, source de multiples tensions, la tentation est forte de se réfugier dans le culte des grands Hommes, de percevoir le présent comme une agression et d'envisager l'avenir avec la peur de perdre l'héritage sur lequel repose la cohésion de la société ». Pour mieux saisir cette « grande épopée du peuple français », l’hebdomadaire publie un entretien avec l’historien Vincent Duclert qui « qui croit à la valeur dynamique de l'Histoire ». Selon lui « le récit national permet de surmonter les ruptures. »

Il l’affirme : « La France a besoin de l'histoire pour exister au temps présent, pour rapprocher éviter la rupture de tous les éléments qui la composent ».

Et pour qu’il n’y ait vraiment pas d’ambiguïté sur sa posture engagée, voici une dernière citation de lui : « L’unité se fait sur des valeurs. Dorénavant, c’est le patrimoine démocratique et civique qui constituent la fierté du peuple français ».

« Bonne année, mon cul »… « Rire. Se moquer. Provoquer. C'est ça la France. »

« Marianne », le magazine propose pour son numéro des fêtes, une « réponse à ceux qui veulent tuer notre liberté. 100 pages d'insolence ». Ils l’affirment : « Rire. Se moquer. Provoquer. C'est ça la France. »

Le magazine propose ainsi un hommage à Tignous, assassiné en janvier dernier  lors de la tuerie de « Charlie hebdo », qui avait collaboré pendant 17 ans au magazine « Marianne ». Mais l’insolence et le rire sont ici abordés au travers de différentes œuvres d'artistes, de monuments qui ont fait Paris, de cette ville provocatrice, de publicités provocantes, de textes qui ont tant choqué… « Marianne » montre que la France c'est cette insolence et cette apparente irrévérence. On y trouve Molière, Diderot, Aragon, Bukowski… mais pour l’exemple (et le plaisir), je m'arrêterai sur ces bribes de textes de Pierre Desproges ici réédités et datant de 1986 sur France Inter : « Bonne année, mon cul » qui fut la première chronique de Desproges. Ou celle là : « Mais chers amis, c'est avant tout en tant que président de l'association des non-handicapés de France que je m'adresse à vous ce soir. C'est vers vous les non vieux, les non jeunes, les  non chômeurs, les non femmes, les non affamés, les non immigrés, les non homosexuels, les non infirmes, les non mongoliens, c'est vers vous que vous ce soir que vont toutes mes pensées. »

« Society » : le bilan d’« une année de merde » !

Les pensées du « Society hors série », elles, se tournent vers 2015, et l’heure du bilan. Des mots ressortent en couverture : « Charlie », « migrants », « 13 novembre », « nucléaire », « FN », « Taubira », « on est pas couché », « Zyed et Bouna, 10 ans après », « Bolloré », ou « taxi VS Uber »… 

Ils écrivent : « nous nous sommes interrogés : devions-nous retracer cette année 2015 ? Et puis nous avons actée pour le oui. Parce que cette année 2015 ne pouvait être seulement l’otage des terroristes et de la montée de l'obscurantisme. Parce qu'il s'est passé beaucoup d'autres choses en France en 2015, que ce numéro, d'ailleurs, ne suffit évidemment pas pour condenser. Loin de là. Parce que ne résument pas aussi facilement 52 semaines d'aventures humaines, économiques, politiques, culturelles, sportives. Même quand il s'agit une année de merde ». 

Perspectives nouvelle année : ceux qui « vont faire 2016 »

Et pour accompagner cette photographie marquante, « L’Obs » propose, dans son numéro double, de mettre à l’honneur avec intelligence, malice, et humour ceux qui « vont faire 2016 ! ». Parmi eux, il y a Hillary Clinton, Ibrahim Maalouf, Michel Onfray, Roger Federer, ou les frères Coen… mais je vous laisse le soin de les lire propose deux papiers choisis :

Donald Trump commenté par Frédéric Lefebvre

Le député français, Frédéric Lefebvre, signe dans « L’Obs »: un papier sous forme de dialogue imaginaire entre Ronald Reagan et JFK. Les deux hommes discutant sur le cas Donald Trump, ça donne des choses comme ça !

RR : « « Make America Great again ! » Quel talent ! Une intuition sans pareil. Un uppercut contre les Mexicains, un direct du droit contre les musulmans. Sur le ring, il a déjà mis chaos le frère de George Bush, et l'autre fils de Bush »

Ou encore: « Le seul hic c'est qu'il va finir par mettre à terre tout le monde ». 

Réponse du JFK  imaginaire : « un éléphant sauvage républicain dans un magasin de porcelaine. Il va finir par servir sur un plateau la présidence aux démocrates et leur offrir un troisième mandat. Hillary va pouvoir lui ériger une statue à Lafayette Square… »  Ou enfin « A-t-il d'autres choix que la surenchère ? Quoi qu'il dise, il suscite l'adhésion des sans-grades. C'est un phénomène qui nous dépasse et qui le dépasse lui aussi. L'homme appartient désormais aux sans-voix ».

Alain Juppé admiré par Claude Chirac

Pour être clair, la fille de Jacques adresse ici, sans ambiguïté, sa lettre de soutien à Alain Juppé : « Le premier mot qui vient à l'esprit pour évoquer Alain Juppé est « élégance ». Ce qu’on découvre aussi au fil du temps, c'est qu'il est un homme authentique. Il est le pur produit de l'école de la république. Quand il en parle, c’est avec émotion, pudeur et sensibilité (…) 

Expérience, vision, autorité, courage, détermination et peut-être, plus que tout, forme suprême de désintéressement. Même si la vie politique est souvent affaire d’ambition, ce n'est plus pour lui-même qu'il se bat, c'est simplement pour son pays ».

Identité familiale : « ma famille recomposée va craquer».

Mais, en ces fêtes de fin d'année, « L’Obs », propose un sujet consacré à la vie privée, encore un peu tabou, mais pourtant de plus en plus vrai : « ma famille recomposée va craquer ». 

La question est la suivante : Comment vit-on ensemble à l'heure des foyers recomposés ». Le magazine recadre en chiffre d’abord « il y a déjà 720 000 familles de ce type en France. Un enfant sur 10 vit sous un toit « meltingpot », « soit avec un parent est un beaux-parents, soit avec ses deux parents mais aussi des demi-frères et sœurs d'une union précédente. Dans cette affaire, les seuls à se choisir sont les deux amoureux. Les autres ? Ils vont devoir apprendre à se connaître, dans le meilleur des cas, se détester ou juste faire avec jusqu'à une nouvelle rupture, un nouveau départ ». « L’Obs »interroge Irène Thery, sociologue. C’est elle qui a inventé le terme de famille recomposée. » Elle raconte : « le français n'avait pas de mot pour le nommer. Le fait que l'anglais dispose, lui, d’un terme spécifique « stepfamily " avait grandement facilité la prise de conscience aux États-Unis. Comment le traduire ? Certains proposaient « famille reconstituée » mais c'était la logique ancienne, celle du temps où la belle-mère devait devenir la nouvelle mère des enfants. Avec l'explosion du divorce, une nouvelle logique a émergé : il s'agissait non plus de reconstituer le triangle initiale père-mère-enfants, mais au contraire de conserver les deux parents et de leur ajouter une nouvelle donne familiale, en partie inédite. J'ai d'abord pensé à « famille composée ». Puis j'ai ajouté « re » en référence au « remariage ». Puis, c’est devenu un nouveau mot de la langue française et j'en suis très heureuse ».

Irène Thery apporte son point de vue sur la famille recomposée aujourd’hui : « L'enfant a besoin de pouvoir se raconter à lui-même sa propre Histoire. Il est grave d'effacer une partie de sa vie ! Il faut être dans l'idée de l’ajout plutôt que dans celle de l'alternative et de la rivalité. Il faut respecter le lien électif : si un enfant aime beaucoup sa belle-mère et que son père ça pourrait être maintenu. Tout cela est complexe, mais c'est la contrepartie de la nouvelle conception de la vie familiale. »

Identité humaine : « Les animaux peuvent-t-ils croire en l'Homme ?»

« Télérama » propose aussi un Numéro double qui couvre les deux prochaines semaines de programme radio et télé. Mais pas seulement. Le magazine nous pose face à nos responsabilité d’hommes et affichant en couverture un félin nous regardant yeux dans les yeux. La question : « Les animaux peuvent-t-ils croire en l'Homme ? »

« Télérama » tente de nous faire réagir. « Jamais l'Homme, qui sait pourtant d’où il vient depuis Darwin, n’a autant anéanti les animaux sauvages et maltraité les animaux d'élevage (…) Et si on choisissait la résistance active ? » propose le magazine qui s’appuie sur  « la 6è extinction », le livre choc Élisabeth Kolbert sur la disparition des espèces, mais aussi sur mes travaux du photographe Vincent Munier qui consacre sa vie aux ours blancs, aux loups, et aux bœuf musqués ; ou encore sur le prochain film fe Jacques Perrin qui « livre en janvier prochain sa dernière ode à la vie sauvage »

Quelques phrases plus ou moins bestiales glanées dans ce numéro spécial : 

Le chien : « ce que je reproche fondamentalement au chien, c'est d'aboyer. L'aboiement est la honte du règne animal ». Deleuze.

Le buffle : « J'étais devant lui, l'animal me regarder, les larmes couler de mes yeux, c'était ses larmes. oh ! Mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux aussi impuissant, aussi hébété l'encule l'autre, et notre père, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être ! » Rosa Luxembourg 

La vache : « Les vaches qu'on aime, on les mange quand même. Ah oui vraiment, l'amour, c'est tout un système ». Alain Souchon.

Le chat : « C'est l'esprit de famille du lieu. Il juge, il préside, il inspire toute chose dans son empire ; peut-être est-il une fée, est-il un dieu ? ». Beaudelaire.

Et pour boucler la boucle, l'Homme : « Les êtres humains sont les seuls animaux dont j'ai réellement peur ». George Bernard Shaw. 

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