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Débats-spectacles dans la bataille des régionales : et le parti qui remporte la palme de la rhétorique est…
©Reuters

Rhétorico-laser

Les débats télévisés des régionales en PACA et dans le Nord-Picardie ont mis en évidence les stratégies rhétoriques des grandes formations. Malgré la grande confusion de ces confrontations-spectacles, le FN ressort gagnant : surtout Marine Le Pen.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Les récents débats des régionales en "PACA" et en "NPCP" (au fait, il faudrait peut-être commencer par donner de vrais noms à ces belles régions !) organisés par itélé-Europe 1 et les grands quotidiens régionaux ont donné le la de la campagne qui s’ouvre : pour le meilleur (un peu) et pour le pire (surtout).

Non qu’il n’y ait de grosses différences entre ces deux territoires situés aux deux extrémités de l’hexagone. Pourtant les difficultés partagées (haut niveau de chômage), leur caractère frontalier (crise migratoire), les rivalités internes (Nice/Marseille, Picardie/Nord) les analogies entre les différents candidats (la tante et la nièce Le Pen, deux anciens ministres UMP, deux barons locaux du PS) créent suffisamment de points communs pour assurer des problématiques partagées. Et donc des stratégies rhétoriques similaires.

On a pu maintes fois le vérifier au cours de ces émissions, d’autant que le même duo d’animateurs a assuré une homogénéité dans le style du débat.

Visiblement préparée au niveau central, la stratégie des deux Le Pen a été d’une clarté limpide : traduction systématique des grands enjeux nationaux autour de la "préférence régionale" ; insistance sur la crise migratoire ; procès de "l’UMPS" coupable de toutes les connivences ; attaque particulière contre les deux "UMP" (pardon, Républicains !) sur leur bilan aussi bien national que local.

Les deux ténors de la droite, très menacés par la montée du FN et voulant dissiper l’argument de "l’UMPS", ont réservé la plupart de leurs flèches à leurs rivales frontistes : Xavier Bertrand s’est signalé par une violence particulière ("ça va bien !" "on en a assez !"), tandis que Christian Estrosi mettait en cause les insuffisances économiques de la "tata" (sic) pour disqualifier la nièce…

Le duel principal ainsi structuré, les "outsiders" socialistes se trouvaient placés en confortable position d’arbitres, physiquement installés d’ailleurs entre Républicains et FN. Pierre de Saintignon inconnu du grand public national jusque-là, fit preuve d’une modération et d’un style bonhomme plutôt reposants dans l’électricité ambiante. Christophe Castaner affirma son énergie et son pragmatisme (mais aussi son sectarisme…). Mais surtout le duel Républicains / FN leur a permis d’esquiver leur principal handicap : celui d’être les sortants d’exécutifs régionaux au bilan médiocre, voire catastrophique pour PACA. L’ignorance ou le désintérêt des intervieweurs pour les dossiers proprement régionaux, que la discrétion forcée des partenaires de la PQR n’a pu compenser, a fait le reste. De sorte que, pour beaucoup, les socialistes se sont plutôt bien sortis d’un exercice qui aurait dû les étriller.

Est-ce pour autant si sûr ? D’une part l’extrême confusion des deux débats, surtout celui de "NPCP" où tout le monde coupait la parole à tout le monde et où les journalistes n’attendaient même pas la réponse à leurs propres questions, a plutôt laissé une impression de tournis. D’autre part, cette position d’arbitres renvoyait cruellement à la troisième place (lointaine) des socialistes dans les sondages : un arbitre n’est-il pas par définition hors-jeu ? Enfin le fond du discours des candidats socialistes où l’autosatisfaction, les pieuses généralités ("humanité", jeunesse" "solidarité", "harmonie") le disputaient au sempiternel déni ("Calais n’est pas une jungle ; "la région PACA n’a pas baissé ses investissements dans les entreprises") reproduisaient en pire les insignes faiblesses rhétoriques du gouvernement national. Avec la même force de conviction…

Au bénéfice des candidats républicains ? Nullement : malgré des propositions fortes en matière économique ("proche emploi" de Xavier Bertrand, pépinière d’entreprises de Christian Estrosi) leur discours a été rendu inaudible par la multiplication des attaques ad hominem contre le FN et la propension à aborder dix sujets à la fois, du plus général au plus technique, de l’économie à la sécurité, de l’agriculture à l’innovation, des automobilistes à la formation professionnelle. Tactique de l’attrape-tout qui n’attrape plus rien, où l’on retrouve le déplorable effet du "système des fiches" pieusement préparées par les collaborateurs. Qui trop embrasse mal étreint. Pire : aussi bien Ch. Estrosi que X. Bertrand ont été d’emblée affaiblis par leurs autres "casquettes". Candidature aux primaires pour l’un, présidence de la métropole niçoise pour l’autre : de quoi perdre des tombereaux de voix marseillaises ! Point faible sur lequel a su appuyer M. Maréchal Le Pen… L’on objectera que sa "tata" est elle aussi candidate à "autre chose" qu’une présidence de région. Mais voilà l’injustice de la vie politique : sa dimension nationale est perçue comme un atout, alors qu’elle est reproché à Xavier Bertrand. Privilège de star…

Si vainqueur il y a, c’est donc le FN ; et cela pour quatre raisons conjuguées :

La première est acquise avant même l’entrée sur le plateau : n’ayant jamais exercé de responsabilité nationale ni régionale, le FN part avec un avantage comparatif considérable dans un pays qui va mal et où les "sortants" sont discrédités. Et il ne se fait jamais faute de rappeler sa virginité !

La seconde tient à son positionnement victimaire : cible convergente de tous ses adversaires (auxquels s’est rajoutée en PACA l’écologiste Sophie Camard), il suffit devant la "diabolisation" de hausser les épaules, de sourire, ou d’ironiser ("je mange les enfants !", M. Maréchal Le Pen). D’autant qu’il est toujours plus délicat d’attaquer une femme (comme le sait aussi Christiane Taubira).

La troisième tient à la dimension nationale du débat donnée par les médias et accentuées par les questions des journalistes : raccord parfait avec la stratégie rhétorique du FN qui, on l’a vu, relie toujours national et local.

La quatrième tient aux qualités d’oratrices de la tante et de la nièce (avec un net avantage encore à la première). Refus des détails techniques et de la bataille de chiffres (où elles sont, comme le public, mal à l’aise) ; simplicité (simplisme ?) du propos et des engagements ; sens de la formule ("les autres, jamais les nôtres") et concentration sur un fait concret et gênant pour l’adversaire (dossier de marché public, subvention douteuse, photos d’une exposition "limite"). Cerise sur le gâteau, elles se sont permis toutes deux de reprendre le candidat républicain sur des propositions d’allure pourtant "très FN": portiques de sécurité dans les trains, restriction du RSA…On trouve là une nouvelle ruse rhétorique, employée également dans le cas Morano : pas touche à nos thèmes !

Bon, leurs adversaires se rassureront en pensant que le "stock des Le Pen" est désormais épuisé et que les autres débats seront plus faciles... Certainement pas celui avec Florian Philippot, en tout cas !

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