Sincèrement de gauche mais également préoccupées par l’immigration, combien y a-t-il de Mamie Lucette en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a rencontré Lucette Brochet, retraitée de 69 ans qui n'a pas pu poser les questions qu'elle aurait souhaité comme l'a montré BFMTV.
François Hollande a rencontré Lucette Brochet, retraitée de 69 ans qui n'a pas pu poser les questions qu'elle aurait souhaité comme l'a montré BFMTV.
©Reuters

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Le 29 octobre, François Hollande échangeait un café en compagnie de Lucette Brochet, dans le cadre d'une opération de communication démantelée par BFM-TV. L'impossibilité pour la retraité d'aborder, entre autres, le thème de l'immigration avec le Président traduit un véritable malaise d'une partie de l'électorat de gauche vis-à-vis des migrants.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Atlantico : A l'occasion de son passage en Lorraine ce jeudi 29 octobre, François Hollande a rencontré Lucette Brochet, retraitée de 69 ans qui n'a pas pu poser les questions qu'elle aurait souhaité comme l'a montré BFMTV. La vieille femme aurait souhaité poser des questions sur l'immigration, notamment. Concrètement, qu'est-ce que cela traduit de la relation entre l'électeur de gauche et l'immigration ? Combien sont-ils à estimer que c'est un problème ?

Yves-Marie Cann : Dans un sondage publié par Atlantico en début d’année, 66% des Français interrogés estimaient qu’il y a trop d’immigrés en France, une proportion comparable (64%) considérant que la plupart des immigrés viennent en France uniquement pour profiter de notre système de protection sociale. Le rapport des Français à l’immigration reste toutefois ambivalent puisque dans le même temps une majorité de répondants (58%) affirmait que la présence d'immigrés est une source d'enrichissement culturel pour la France. Auprès des seuls sympathisants socialistes, qui constituent le noyau dur des soutiens à François Hollande, l’immigration comme source d’enrichissement culturel est massivement reconnue (80%). Pour autant, ils ne font pas preuve de la même unanimité sur d’autres dimensions, près de quatre sur dix estimant qu’il y a trop d’immigrés en France (39%) ou que les immigrés viennent uniquement pour profiter de notre système de protection sociale (37%). Sur ce sujet, nous observons donc une droitisation d’une partie de l’électorat de gauche, rendant d’autant plus mal aisée toute prise de parole de ses principaux représentants sur le sujet, au premier rang desquels le Président de la République.

D'après un sondage Ifop publié en février 2015, 72% des sympathisants de gauche estiment qu'il faudrait passer à une immigration choisie. Dans le même ils sont 44% à estimer qu'on en fait plus pour les immigrés que pour eux. Faut-il y voir la marque d'une rupture au sein de l'électorat de gauche, sur une question qui faisait pourtant partie de son code génétique ? Quel peut être son impact ?

De tels résultats, de même que ceux que j’évoquais précédemment, illustrent le glissement qui s’est opéré sur les enjeux migratoires ces dernières années, principalement sous l’effet de la crise économique. Si le rejet de l’immigration est très élevé à droite et à l’extrême droite, c’est aussi un sujet source de tensions à gauche. Dans un contexte économique et social incertain, marqué par un chômage élevé, un pouvoir d’achat en berne et de nombreux efforts demandés à la population pour contribuer à la résorption des déficits publics, une fraction grandissante de la population s’estime lésée et craint le déclassement social. Attachée au principe d'égalité et au modèle social français, elle se singularise par une grande frustration quant à son fonctionnement. Gagnant trop bien leur vie pour bénéficier pleinement de l'Etat providence, de nombreux individus expriment le sentiment de perdre pied économiquement. De cette situation, naît un sentiment d'injustice : si la France n'est pas assez égalitaire, c'est à leur détriment. En résulte leur indignation à l'encontre de "l'assistanat". Ce qu'ils dénoncent, c'est ce dont ils ne bénéficient pas mais que l’on accorde aux autres, à l’"Autre" qui masque souvent la figure de l’immigré. En résulte la tentation du repli sur ce qui rassure et notamment la nationalité qui doit agir comme rempart, notamment en matière de protection sociale. D’où le risque pour la gauche d’une bascule de son électorat dit "naturel" dans le giron du Front national. Nous l’observons déjà chez les ouvriers et plus globalement les catégories populaires.

Selon un sondage publié par le Point en août 2015, l'immigration serait désormais le premier sujet de crainte des peuples européens et des Français, qui se disent préoccupés à 34% (contre 30% pour l'économie) par l'immigration. Faut-il y voir une tendance durable ?

Nous vivons un paradoxe : jamais sans doute les pouvoirs publics ne se sont autant préoccupés des enjeux migratoires et pourtant leur importance ne cesse de croître dans l’opinion publique, en France comme dans de nombreux autres pays européens. L’actualité migratoire, d’abord aux portes de l’Europe et plus récemment sur son territoire y est sans doute pour beaucoup dans les résultats observés dans le sondage auquel vous faites référence. Au-delà des effets d’agenda et de conjoncture, d’autres sujets peuvent contribuer à faire durer les craintes exprimées et les attentes adressées aux pouvoirs publics sur ce sujet. Je pense notamment aux enjeux d’identité et aux craintes que suscite l’islamisme radical au sein des sociétés européennes.

La tendance est à la droitisation au sein de l'électorat tandis que les autorités politiques et médiatiques condamnent sévèrement les écarts racistes de Nadine Morano, marquant une idéologie plus à gauche. Faut-il y voir une impossibilité à parler de ce que l'on veut vraiment ?

La droitisation de l’électorat se vérifie sur un sujet comme l’immigration mais on pourrait tout autant parler de "gauchisation" sur d’autres sujets, plus sociétaux, comme le mariage des couples de même sexe qui bénéficie aujourd’hui de l’assentiment d’une majorité de Français, contrairement à ce que l’on observait il y a une quinzaine d’année. Par ailleurs, la droitisation de la société française sur les enjeux migratoires ou identitaires ne signifie pas une réhabilitation du concept de race qui, rappelons-le, n’a aucune validité scientifique. En ce sens, Nicolas Sarkozy ne pouvait que condamner les propos tenus par Nadine Morano sauf à se retrouver accusé de faire sauter les digues entre "Les Républicains" et l’extrême droite. Ceci étant dit, cette prise de position ne l’empêche pas par ailleurs de prendre régulièrement la parole sur les enjeux migratoires en défendant des mesures jugées très dures par une partie de classe politique, y compris au centre droit. Il n’est donc pas impossible de parler de ce sujet, toutefois les passions qu’il suscite font qu’un dérapage est vite arrivé. Il en va aussi de la responsabilité des élus et de ceux qui aspirent à exercer des responsabilités de s’assurer que les termes du débat soient balisés et ne conduisent à stigmatiser telle ou telle catégorie de population en fonction de ses origines.

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