Vers une nouvelle géographie électorale ? Ce que révèle la forte poussée du vote FN dans le Nord-Ouest et sur la façade atlantique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Front national a amélioré son implantation territoriale.
Le Front national a amélioré son implantation territoriale.
©Wikimedia Commons

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Si, en remportant 31 cantons aux départementales de mars dernier, le Front national a amélioré son implantation territoriale, ses gains se sont toutefois avérés sensiblement inférieurs à ce que l’extrême droite pouvait espérer. Près de 26% des voix au premier tour pour seulement 1,5% des cantons remportés : une telle distorsion illustre à nouveau le "plafond de verre" auquel le FN se trouve traditionnellement confronté avec le scrutin majoritaire à deux tours.

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Portés par un vote sur étiquette politique très favorable au premier tour, les candidats frontistes pâtissent au second tour des élections départementales de l’absence d’allié et d’un déficit d’ancrage local. Les élections départementales 2015 s’apparentent par conséquent à un "succès non transformé" pour le Front national. Un tel constat ne saurait toutefois masquer une nouvelle progression : scrutin après scrutin, le FN gagne de nouveaux électeurs et élargit son socle électoral dans la perspective de l’élection présidentiell.

Il pourrait être tentant de postuler que les quelques 5,1 millions de voix qui se sont portées en mars 2015 sur les candidats frontistes provenaient exclusivement d’anciens électeurs de Marine Le Pen en 2012. Une telle hypothèse reviendrait toutefois à supposer un taux de participation, hautement improbable, à savoir plus de 80% chez les électeurs ayant voté pour Marine Le Pen le 22 avril 2012. D’ailleurs, l’enquête "jour du vote" réalisée par l’Ifop au premier tour des départementales indiquait un taux de participation de 59% chez cet électorat. Ce résultat nettement plus vraisemblable ne permettant pas d’expliquer à lui seul les scores FN le 22 mars 2015, il convient alors de reconnaître que les binômes frontistes ont bénéficié du vote de nouveaux électeurs.

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Graphe 1 : Score du Front national et de ses candidats à périmètre constant sur la base des communes de métropole ayant voté aux départementales 2015 (donc hors Paris et département du Rhône).

Scrutin après scrutin, le Front national gagne de nouveaux électeurs

Compte-tenu de la spécificité des élections départementales (Paris et les communes de la métropole du Grand Lyon dans le Rhône ne votaient pas), nous avons recalculé les scores du Front national aux dernières élections présidentielles, législatives et européennes en métropole, hors Paris et département du Rhône. A périmètre géographique constant, nous obtenons  ainsi les résultats présentés ci-contre (Graphe 1).

Quelques chiffres suffisent pour illustrer la progression. Aux départementales, le Front national obtient ainsi   son meilleur score en voix depuis la présidentielle de 2012. Avec  près  de  5,1  millions  de  suffrages  exprimés, ses candidats obtiennent 572 102 voix de plus qu’aux européennes de 2014 et jusqu’à 1,7 million de plus qu’au premier tour des législatives 2012. Cette performance apparaît d’autant plus remarquable que si le Front national présentait des candidats sur l’ensemble de la métropole aux élections législatives et européennes, tel n’était pas tout à fait le cas aux départementales, absent de 5% des cantons.

Il s’agit d’un enseignement important puisque le FN, tout en élargissant son socle électoral lors des scrutins intermédiaires, disposerait de réserves de voix dans la perspective de 2017. L’électorat FN étant particulièrement "fidèle", la probabilité que les électeurs de Marine Le Pen en 2012 n’ayant pas voté aux élections locales et européennes reproduisent leur vote en 2017 s’avère élevée. Dès lors, à supposer que les électeurs ayant voté pour un binôme FN aux départementales renouvellent eux aussi leur choix en 2017 et que Marine Le Pen reconstitue l’essentiel de son électorat 2012, celle-ci pourrait anticiper un vivier électoral de 8 à 9 millions d’électeurs lui permettant d’atteindre voire de franchir le seuil des 25%  au premier tour. Les aléas restent bien entendu nombreux et les déperditions d’une élection à l’autre inévitables, tant la nature du scrutin et les enjeux qui lui sont associés influent eux aussi sur les choix électoraux. Toutefois, compte-tenu des rapports de forces mesurés depuis plusieurs mois dans les enquêtes d’intentions de vote et de la "fidélité" dont font aujourd’hui preuve les électeurs frontistes, une telle hypothèse apparaît tout à fait plausible et ne saurait être méconnue. Partant de là et ajoutant à cela que l’évolution des rapports de force électoraux aux élections intermédiaires structurent au moins pour partie la "tectonique des plaques" d’ici à 2017, dans quelle mesure est-il aujourd’hui possible de comprendre la dynamique électorale dont bénéficient le Front national et ses représentants à l’échelle des territoires ? Plus précisément, les scores du Front national rapportés au niveau national s’expliquent-ils par une nouvelle poussée frontiste dans les territoires qui lui étaient déjà favorables ou assistons-nous à une nationalisation du vote FN lui permettant de percer dans des territoires qui lui étaient jusqu’à présent relativement imperméables ?

La conquête de l'Ouest : vers une nouvelle géographie du vote frontiste ?

Les changements intervenus dans le mode d’organisation des élections départementales et l’incapacité du Front national à présenter des candidats dans de très nombreux cantons lors des précédents scrutins empêchent toute comparaison avec les précédentes élections cantonales. Pour contourner cette difficulté nous avons cherché à évaluer sa dynamique par comparaison avec le scrutin le plus proche possible, à la fois dans le temps et par ses modalités  d’organisation,  à  savoir  le  premier  tour     des élections législatives de juin 2012.

Si cette approche ne peut être considérée comme "chimiquement pure", elle offre l’avantage d’apporter un nouvel éclairage sur la dynamique électorale du Front national et de mettre à jour de nouvelles tendances, peu explorées jusqu’à présent. La géographie du vote FN au premier tour des législatives de juin 2012 puis des départementales de mars 2015 atteste d’une relative permanence des zones de force frontistes, bien connues et identifiées de longue date (cf. cartes 1 et 2). Le FN obtient ainsi ses meilleurs scores dans un large quart Nord-est incluant le Bassin parisien (hors agglomération parisienne) à forte proportion de territoires fragilisés économiquement  et socialement, en voie souvent avancée de dé- sindustrialisation et pénalisés par l’absence d’activités économiques de remplacement. A y regarder de plus près, l’emprise du Front national tendrait même à se renforcer dans ces régions, plus marquée aux  départementales qu’aux législatives dans plusieurs départements : Somme, Aisne et Marne en particulier. Dans la moitié Sud du pays, les vallées du Rhône et de la Garonne ainsi que le pourtour méditerranéen enregistrent eux aussi des scores élevés  pour le Front national. De telles cartes, que nous connaissons bien, rendent toutefois très imparfaitement compte de la dynamique frontiste : les suffrages recueillis dans ces régions ne peuvent à eux seuls expliquer ses résultats à l’échelle nationale.

Carte 1 : Score du Front national en % de suffrages exprimés au 1er tour des élections législatives 2012.

Carte 2 : Score du Front national en % de suffrages exprimés au 1er tour des élections départementales 2015.

L’analyse des vote en niveaux et sur la seule base des suffrages exprimés étant insuffisante pour rendre compte de la dynamique frontiste dans les urnes, nous avons basé notre recherche sur le nombre de voix recueillies au premier tour des législatives puis au premier tour des départementales. Pour rendre compte des évolutions entre nos deux scrutins de référence, nous avons ensuite calculé à l’échelle de chacune des circonscriptions législatives de métropole un coefficient de progression des voix recueillies par le Front national entre 2012 et 2015. Lorsque ce coefficient est égal à 1, ceci signifie que le Front national a obtenu le même nombre de voix au premier tour des législatives puis au premier tour des élections départementales. Lorsque le coefficient est supérieur à 1, le FN a recueilli davantage de voix aux départementales qu’aux législatives, et s’il est inférieur à 1 alors le nombre de voix obtenues par les binômes frontistes enregistre une baisse par rapport à 2012. Une fois ces calculs réalisés, nous avons projeté les résultats obtenus sur une carte de métropole (cf. carte 3), les coefficients obtenus à l’échelle des circonscriptions législatives nous permettant de visualiser une nouvelle photographie de la dynamique frontiste.

Sans surprise, la nouvelle progression du FN dans les territoires subissant d’assez longue date d’importantes difficultés économiques et sociales est confirmée, comme on le voit notamment dans le sud du Pas-de-Calais, le nord de la Somme et l’Aisne mais aussi la Côte-d’Or, la Haute- Saône, le Jura ou encore le Doubs. Le Front national ne progresse en revanche que très modérément dans la vallée du Rhône et sur le pourtour méditerranéen où il atteignait déjà des scores élevés en 2012. A l’inverse, sa progression s’avère saisissante sur une large façade Atlantique et plus particulièrement en régions Bretagne, Pays-de-Loire et Basse-Normandie au sein desquelles seules les grandes agglomérations universitaires semblent échapper quelque peu au phénomène (Angers, Brest, Caen, Nantes, Le Mans et Rennes). Ainsi, sur les 37 circonscriptions législatives où le FN double voire triple ses voix  aux  départementales par rapport au premier tour des législatives de juin 2012, 26 se situent en Bretagne (9), Pays-de-Loire (9), Basse- Normandie (4) ou Poitou-Charentes (4). Parmi les autres circonscriptions enregistrant les plus fortes progressions frontistes, cinq sont issues de la nouvelle région Nord-Pas- de-Calais-Picardie.

Carte 3 : Ratio entre le nombre de voix obtenues par le Fn au premier tour des élections départementales 2015 et le premier tour des élections législatives 2012.

Cette nouvelle carte du vote frontiste présente donc de fortes similitudes avec celle des difficultés économiques à l’échelle des territoires, qu’elles soient ancrées dans leur quotidien depuis de nombreuses années ou qu’elles aient émergé plus récemment sous l’effet de la crise. Les régions de l’Ouest qui s’étaient jusqu’à présent révélées plutôt hermétiques au Front national sont ainsi celles qui, au cours des trois dernières années, ont connu parmi les plus fortes progressions du nombre de chômeurs même si leurs taux de chômage respectifs s’avèrent fréquemment inférieurs à la moyenne nationale. Rattrapés par la crise, ces territoires doivent désormais affronter la multiplication des plans sociaux, notamment dans le secteur agroalimentaire. Autant de drames économiques  et sociaux qui ont fortement marqué les esprits – plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs bénéficié d’une résonnance médiatique nationale – et signifié aux habitants la réalité et la profondeur d’une crise qui pouvait paraître relativement éloignée. Rappelons qu’il s’agit aussi, notamment avec la Bretagne et le mouvement des "bonnets rouges", de territoires qui ont connu des poussées contestataires avec d’importantes mobilisations contre l’instauration de l’écotaxe à l’automne 2013 en plein "ras-le-bol fiscal", suscitant ou renforçant le rejet d’une élite nationale jugée coupée des réalités du pays et accusée d’aggraver par ses prises de décision les difficultés locales voire d’abandonner les habitants à leur sort. A ce sujet, on peut aussi s’interroger sur les conséquences du désengagement de l’Etat (notamment via la rationalisation des services publics) dans des régions qui ont longtemps bénéficié d’un soutien important de sa part, l’emploi public servant d’amortisseur social en cas de difficultés économiques, voire de refuge lorsque les offres d’emploi dans le secteur privé diminue.

Cette progression non uniforme du vote frontiste entre le premier tour des élections législatives et celui des départementales, confirme également une tendance déjà observée lors de la dernière présidentielle, à savoir qu’il existe un différentiel assez net entre d’une part les métropoles ou grandes agglomérations universitaires concentrant l’activité économique (et donc de nombreux emplois), et les territoires plus périphériques ou à dominante rurale d’autre part. Ainsi dans le quart Nord- ouest où la poussée frontiste s’avère particulièrement marquée nous observons une dichotomie assez forte entre les circonscriptions à dominante rurale et celles englobant les zones urbaines plus dynamiques et que la sociologie préserve au moins en partie du vote Front national.

Partant de ce constat, nous sommes aujourd’hui face à une inconnue majeure : cette poussée du Front national dans le Nord-ouest et sur la façade Atlantique relève-t-elle d’un mouvement d’humeur passager ou doit-elle au contraire être interprétée comme l’amorce d’une tendance plus durable ? Les votes aux élections régionales permettront sans doute d’y voir plus clair, en vérifiant notamment s’il existe désormais sur ces territoires une permanence des votes frontistes. Si une telle hypothèse venait à se vérifier, celle-ci serait alors annonciatrice d’un Front national pouvant envisager assez sereinement de franchir les 20% au premier tour de la prochaine élection présidentielle, voire de virer en tête en tutoyant ou dépassant les 25% des suffrages exprimés.

Cartes réalisée grâce à Philcarto (philcarto.free.fr/)

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