Nicolas Sarkozy ou comment redevenir audible <!-- --> | Atlantico.fr
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"Nicolas Sarkozy est, de loin, le meilleur orateur de la droite républicaine".
"Nicolas Sarkozy est, de loin, le meilleur orateur de la droite républicaine".
©Reuters

Rhétorico-laser

Le déluge anti-sarkoziste rend la voix de l’ancien Président de plus en plus en plus inaudible. Son attitude, ses hésitations et ses revirements en sont aussi responsables. Mais ce grand "animal rhétorique" a plus d’un tour dans son sac. Saura-t-il s’en servir ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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"rhétorique" des ténors de la droite proposé dans cette chronique ne peut se conclure que sur Nicolas Sarkozy. Non que la semaine passée ait été marquée par une prise de parole importante de l’intéressé. Mais parce qu’elle a été hautement significative du danger qui le guette, le pire qui soit pour tout orateur : devenir inaudible.

D’abord en raison du tir de barrage rhétorique impressionnant qui lui est opposé, même lorsqu‘il ne dit rien. L’on aura assisté ces derniers jours à l’un des exercices favoris des médias français : un déchaînement d’anti-sarkozysme tous azimuths. Des déclarations de Jérôme Lavrilleux sur un "homme qui n’assume pas" au "crétin arrogant" envoyé par Berlusconi (devenu subitement une référence en crédibilité !) et, bien plus grave, au sondage sceptique des Français sur sa candidature en 2017, la charge a été rude, y compris à droite. La gauche, quant à elle,reprend sur tous les sujets brûlants sa bonne vieille recette de "l’héritage",du chômage à la dette, de l’immigration à la fiscalité, du RSI à la délinquance ; et dès que l’on dit "Syrie", elle répond "Libye" ! A vrai dire, quel que soit le sujet, tôt ou tard, le nom de l’ancien Président revient sur la table et toujours comme synonyme de l’abomination de la désolation. Après la reductio ad Hitlerum voici le temps de la reductio ad Sarkozium, nouveau "point Godwin" de la politique française… Et dans une telle ambiance, l’auteur de cet article sait combien il s’expose aux feux croisés des sarkophobes et des sarkolâtres !

"A tout seigneur tout honneur", dira-t-on, non sans raison : Nicolas Sarkozy ne fait que récolter ce qu’il a semé. Quand on a exercé l’hyper-présidence, comment échapper à l’hyper-critique ? Quand on a tant exposé son ego, comment s’étonner qu’il vous revienne en boomerang ?Concrètement trois enjeux capitaux se dressent devant lui: sa personnalité transgressive et clivante ; son bilan supposé "désastreux" ; les affaires dans lesquelles il s’est lui-même "pris les pieds". La question n’est pas de savoir si tout cela est juste ; elle est de comprendre que tout cela crée une situation redoutable pour l’intéressé en sapant les deux piliers du leadership en démocratie : la crédibilité et la représentativité. En rhétorique, le doute ne profite jamais à l’accusé : la réception de sa parolepasse d’un coup du positif au négatif. Parce qu’ils s’adressent à l’imaginaire, les registres les plus opposés du discours sont en effet, comme ceux du rêve, des registres contigus : l’impression d’énergie glisse bien vite à celle d’hystérie, celle de l’ambition laisse place à l’accusation d’arrivisme, et sous la sainte colère pointe le soupçon du ressentiment et de la revanche personnelle…

Mais alors, au terme d’un tel catalogue à charge, la messe (de funérailles) est-elle dite ? Ne répète-t-on pasurbi et orbi que l’actuel président ne rêve que d’une chose : affronter en 2017 son rival de 2012 ?

Eh bien, voilà qui reste à voir ! L’on sait que François Hollande est le champion du ballon d’essai et de la fausse confidence ; d’ailleurs une rumeur exactement contraire a aussi filtré des arcanes de l’Elysée. Son occupant est le premier à savoir que rien ne lui garantit la réédition du même succès face au même adversaire. Et ce pour plusieurs raisons : d’abord parce que Nicolas Sarkozy reste un animal politique qu’il ne faut jamais sous-estimer. Mais - ce qui est le sujet ici- il demeure aussi un exceptionnel animal rhétorique : même sans la redoutable (mais non irréprochable) plume d’Henri Guaino, Nicolas Sarkozy est, de loin, le meilleur orateur de la droite républicaine. Il suffit pour s’en convaincre de comparer son discours lors du congrès fondateur des Républicains à ceux des trois autres mousquetaires de son camp : hommage initial et habile à ses rivaux, appel au groupe le plus fort car le plus intime("notre famille"), sens de la formule, questions rhétoriques percutantes et anaphores martelées qui sont ses grandes marques de fabrique ; enfin, parfait équilibre entre dénonciation techniquement parfaite de l’adversaire ("la gauche a trahi ses propres idéaux et sa propre histoire") et déclinaison détaillée de sa propre promesse ("la République de la confiance"). L’a-t-on assez remarqué ?C’est exactement le même schéma qu’en 2007, appuyé sur les mêmes figures rhétoriques, qui a donné l’excellent discours de la porte de Versailles. A quoi Nicolas Sarkozy ajoute une nouvelle thématique, dévastatrice pour le pouvoir en place : celle du "mensonge", qu’il est le premier à avoir pressentie (mais trop peu et trop tard), dès la campagne de 2012. Il en fait désormais un vrai leitmotiv qui sera, n’en doutons pas, au cœur de l’argumentaire de la droite en 2017, quel que soit le candidat

Le succès est-il pour autant garanti ? Nullement. Justement parce que le temps a passé, dont 5 ans de pouvoir présidentiel, et que c’est la crédibilité même de ce discours qui est aujourd’hui en jeu.

Et d’abord sur la question centrale du bilan de son quinquennat. Mal inspiré sur ce sujet comme sur tant d’autres par Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy s’y est jusqu’ici refusé. Ce n’est pas la concession de quelques "regrets", très vagues d’ailleurs, et qui portent plus sur le style que sur le fond, qui suffiront.

Or cebilan s’impose pour deux raisons. L’une, tactique : si l’ancien Président ne le fait pas lui-même, les autres - à gauche comme à droite - le feront, et le font déjà, à sa place ! L’autre, stratégique : il dispose là d’un véritable boulevard autour d’une question rhétorique centrale, comme il les affectionne : la France va-t-elle vraiment mieux aujourd’hui qu’en mai 2012 ?

Dès lors, l’on comprend mal un tel évitement. Application de l’adage cynique mitterrando-chiraquien selon lequel "faute inavouée est à moitié pardonnée" ? Peur d’un effet contre-productifen ouvrant la boîte de Pandore de "l’inventaire"? Ou tout simplement résistance psychologique d’un "ego sans surmoi" qui se refuse à toute concession ?

Et l’on retombe ainsi sur l’enjeu décidément central de l’éthos de l’orateur.Or pour le restaurer, il ne suffit pas d’entamer un énième "J’ai changé". Les Français finissent par avoir le tournis devant ces changements qui s’empilent et donc se contredisent. Et tant de proposoff (immédiatement rapportés), tant d’attitudes "instinctives" et surtout une gestuelle et des mimiques de moins en moins contrôlées, montrent qu’il n’en est rien. La règle des spécialistes de speechwriting, pour qu’un récit soit crédible,est bien connue : "Show, don’t tell !" ("montrer, ne pas dire"). Autrement dit, le changement, c’est comme l’amour (y compris celui de la France dont Nicolas Sarkozy fait tant état), ne se proclame pas : il se prouve.

Or, pour le prouver, le leader des Républicains dispose d’une qualité maîtresse qui lui a permis de rendre possible l’impossible destinée d’un homme que rien ne prédisposait au pouvoir suprême : la surprise. Pour reconquérir les Français, et d’abord ceux de droite, primaire oblige, Nicolas Sarkozy doit à nouveau les surprendre.

Le peut-il encore et surtout le veut-il encore ? "That is the question" !

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