Alain Juppé : une nouvelle “équation rhétorique” durable et crédible ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Alain Juppé vient juste de lancer ce qui lui manquait : des réseaux de terrain et un effort programmatique.
Alain Juppé vient juste de lancer ce qui lui manquait : des réseaux de terrain et un effort programmatique.
©Reuters

Rhétorico-laser

Désormais chouchou des sondages, Alain Juppé doit son succès en partie à sa nouvelle équation rhétorique. Mais rien n’est gagné car elle reste à consolider et surtout à être en phase avec l’électorat de droite au moment des primaires.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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L’équation politique d’Alain Juppé est bien connue, et d’abord du premier intéressé : il a d’ores et déjà gagné, et largement, au second tour de la présidentielle quel que soit l’adversaire ; maisil se trouve que nous sommes encore à plus d’un an du premier tour… des primaires ! Dans cette élection à quatre tours qu’est donc désormais le scrutin suprême, la route est longue et semée d’embûches, comme un concours hippique auquel on aurait soudainement rajouté des obstacles, et les plus redoutables en début de parcours : les 2 tours de la primaire…

Pour les négocier au mieux, Alain Juppé vient juste de lancer ce qui lui manquait : des réseaux de terrain et un effort programmatique. Mais il a d’abord réorganisé en profondeur sa "cavalerie rhétorique". Depuis son fameux Des Paroles et des actes de 2014, il a mis en avant tout un nouvel arsenal, dans le but de changer son image de politique austère, compétent mais technocrate, loin du peuple, et vite arrogant : pour faire fondre en somme ce "glaçon" cruellement dépeint par Bernadette Chirac.

Comme l’a très bien décrypté l’équipe de Nicolas Cantelou (très fin analyste de la rhétorique !), ce "nouveau Juppé" présente les traits suivants : humour jovial, calme imperturbable, sourire courtois, recours aux expressions populaires ("tête au melon", "chicayas", "tentons le coup"). A cet ancien austère, tout semble aujourd’hui "bonheur" ! A quoi s’ajoute, sur le fond, l’acceptation de la critique voire l’autocritique, reconnaissant çà et là une erreur de jugement ou de formulation et même un changement de position : autant d’éléments pertinents pour "fendre l’armure" et combattre un à un les principaux facteurs de discrédit du langage politique : langue de bois, déni du réel, surdité à l’autre, éloignement du peuple, manichéisme sectaire.

Dans le même temps, il simplifie son registre favori de premier de la classe, le logos, sur lequel il est fortement concurrencé par Bruno Le Maire et François Fillon. Dans ce domaine, il n’est d’ailleurs pas le meilleur des trois : il recourt à l’excès au raisonnement analytique  du type "pour résoudre ce problème il faut : point 1/ point 2/ point 3/point 4/" ; c’est la marque de fabrique d’un technocrate nourri par le système des "fiches" scolairement préparées par les collaborateurs. Mais lors de DPDA, il asu prendre au plus court, en sélectionnant sur chaque sujet UN enjeu essentiel, UN fait saillant, UNE proposition forte, évitant ainsi toute lassitude et favorisant la mémorisation du message.

Il a su aussi manier le pathos, comme dans l’excellent final de l’émission, où il manifesta son émotion devant le véritable plébiscite personnel que lui adressaient les téléspectateurs. D’autant plus efficace, comme toujours en rhétorique, qu’elle était sincère. Idem pour les témoignages d’admiration et de reconnaissance à l’égard de ses propres maîtres au début de son livre sur l’école.

D’ores et déjà sa devise - à défaut de son programme - semble trouvée : "réformer, rassembler, apaiser".

L’on comprend dès lors que dans un pays à la fois bloqué, divisé et au bord de la crise de nerfs, il y a de quoi être attractif, comme l’attestent des sondages de plus en plus favorables, y compris à droite, où le leadership de Nicolas Sarkozy s’effrite, même chez les sympathisants Républicains.

La messe est-elle dite pour autant ? Nullement : en dehors même des aléas personnels toujours possibles et de la pertinence du positionnement politique, il demeure des failles rhétoriques au sein de son discours. A l’inverse de François Fillon, Alain Juppé est bien meilleur débatteur qu’orateur : on a vu sa réactivité dans DPDA ; on l’a encore vu lors du congrès fondateur des républicains où, sifflé d’entrée, il "rebondit sur l’incident" comme disent les spécialistes ; il arrête la bronca en suscitant l’attente du public : "je vais vous faire une confidence…certains me sifflent ; cela me fait de la peine (pathos)" etc… Mais, après ce très bon début, le discours lui-même tourne court et, récité d’une voix souvent monocorde, dépourvu d’images et de formules, il lasse très vite, n’obtenant que de maigres applaudissements et une seule ovation : lorsqu’il rend hommage à… Nicolas Sarkozy ! Tout l’inverse de François Fillon, qui commence dans la difficulté mais triomphe à la fin. Le récent discours d’Alain Juppé à Nogent en soutien à Valérie Pécresse fut de l’avis général le moins bon de tous, dit avec une sorte de nonchalance monotone qui rappelle trop "l’ancien Juppé". Le doute parfois resurgit : ce nouveau sourire est-il vraiment radieux ? La voix ne reste-t-elle pas encore affectée ? Et la supériorité distante a-t-elle totalement disparu ?

Or, si Alain Juppé n’y prend garde, toute impression de retour de cet ancien Juppé lui serait fatale ; car elle le renverrait pour de bon à son âge, à ses échecs comme Premier ministre et surtout à son étroite association au chiraquisme, c’est-à-dire à l’inertie politique.

Et c’est peut-être là que le bât blesse : Alain Juppé a convaincu sur sa capacité de rassemblement et d’apaisement mais au détriment de sa capacité à réformer. Il reste très distancé par Nicolas Sarkozy sur les qualités "d’énergie" et de "détermination" et, s’il est plus crédible en matière économique, il l’est encore très peu sur la lutte contre l’immigration clandestine et la sécurité. Il n’est pas sûr en effet que le thème de "l’immigration heureuse" soit un gage de succès dans la droite actuelle. Ni que des réformes étalées sur 5 ans comme pour l’éducation paraissent crédibles… Tout dépendra donc des questions qui feront l’agenda présidentiel en 2017.

Est-il besoin d’être grand clerc pour penser que les questions de société voire d’identité, dans un contexte de droitisation forte de la droite et même du centre, y joueront un rôle décisif ? D’autant que, sur le plan économique, les grands ténors de la primaire seront largement sur la même ligne.

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