Dérèglement climatique : le nombre de victimes des inondations dans le monde pourrait tripler d'ici 2030<!-- --> | Atlantico.fr
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Avec le réchauffement climatique, les inondations deviendront plus fréquentes.
Avec le réchauffement climatique, les inondations deviendront plus fréquentes.
©Reuters

Atlantico Green

Inondations répétées au Bangladesh, rupture de barrages hydrauliques en Chine, submersion de New-York... Les phénomènes d'inondation sont de plus en plus meurtriers et semblent se multiplier. Ce week-end les experts internationaux en climatologie se réunissent à l'occasion du sommet de Sendaï pour partager les nouvelles avancées en matière de prévention.

Thierry Hubert

Thierry Hubert

Thierry Hubert est porte-parole du  Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie,  Services des risques naturels et hydrauliques à la Direction générale de la prévention des risques.

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Pierre Carrega

Pierre Carrega

Pierre Carrega est né en 1949. Professeur agrégé de Géographie, Docteur d'Etat en Géographie Physique, il dirige le Master "Climat, Risques, Environnement et Santé"  à l'Université de Nice-Sophia Antipolis. 

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Atlantico: On assiste à une multiplication des phénomènes d’inondation et d'une augmentation sensible du nombre des victimes : le premier risque vient-il de l’élévation du niveau de la mer ou de crues de fleuves liées à de trop fortes précipitations ou à la fonte des glaciers ?

Thierry Hubert : les inondations meurtrières sont majoritairement dues aux crues des fleuves, provoquées par des intempéries plus intenses qu’à l’ordinaire. Le plus grand risque vient de la multiplication de ces phénomènes d’intempéries lié au développement démographique des régions du Sud du globe, comme le Bangladesh et l'Inde. Les désastres des inondations en Chine conséquents de la construction des barrages ont aussi révélé un risque de détournement des fleuves. Dans des régions pauvres où il n'est pas possible de réguler l'aménagement du territoire et qui connaissent un fort essor démoraphique, les risques liés aux inondations sont certains et pourraient, malgré tous les efforts mis en place, se révéler de plus en plus meurtrier.

Pierre Carrega :En fait c'est très complexe, et il faut dépasser le cadre strict de la question. On tend aujourd'hui à substituer le nombre de victimes, les dégâts (les conséquences) aux crues elles-mêmes (causes). Si on procède par ordre, on constate que dans beaucoup d'endroits il n'y a aucune augmentation du nombre ou de l'intensité des pluies extrêmes (engendrant les crues), ce serait même le contraire par exemple dans le sud de la France ou en Italie centrale.  Bien entendu il serait stupide d'extrapoler au futur le comportement des 50 ou 60 dernières années. Les modèles climatiques annoncent pour la France par exemple, outre l'évidente hausse des températures, une diminution des pluies d'été (surtout dans le sud) et une augmentation de celles d'hiver.

Ensuite, la même pluie donne des crues différentes selon le "potentiel" du milieu, sa "susceptibilité", à produire une crue en fonction de la capacité d'infiltration de l'eau au sol (favorisée par la nature de certaines roches, une végétation dense, etc). L'homme augmente le risque de crues en imperméabilisant le sol puisque la croissance de population le fait occuper de plus en plus d'espace (routes, maisons, immeubles, parkings) à pluie constante. Enfin la vulnérabilité aux crues augmente quand on installe des logements sur des terres inondables volontairement laissées vides il y a encore 50 ans. La fonte des glaciers (sauf localement) n'intervient que peu dans ces phénomènes. Quant à l'élévation du niveau de la mer, il faut rappeler qu'elle a été de moins de 20 cm au XXe siècle... Même s'il est vrai que lors de certains épisodes très pluvieux l'évacuation de l'eau des fleuves en crue est gênée par la hausse momentanée du niveau marin (dépression, action du vent, éventuellement marée).

Je dirais donc que le premier risque vient d'abord de l'accroissement de l'emprise humaine sur terre, même si en certains endroits (mais pas partout) une augmentation des pluies est à attendre.

Quelles sont les régions du globe les plus vulnérables face aux inondations ? Selon les pays, quels sont les différents risques liés aux inondations?

Thierry Hubert : Tous les pays sont égaux face au risque d’inondation, et ces dernières années les Etats-Unis, l’Inde, le Bangladesh, mais également le Royaume-Uni ou la France ont dû faire face à des inondations exceptionnelles. Mais c’est dans les dispositifs mis en place pour répondre à ces risques et le nombre de victimes que l’on constate une très forte inégalité. Dans les pays les plus avancés, des alertes sont mises en place et des services de sécurité compétent peuvent intervenir. De plus, du fait d’une plus faible densité de population, les risques humains sont moins importants que dans les pays moins développés.Dans les pays moins développé, la surpopulation et l'absence de service de sécurité renforcent la vulnérabilité: en Chine notamment, les intempéries ont un poids humain très lourd en raison de la densité de population et de l'habitat. 

Dans les pays qui ont pris en compte ces risques et établis des zones inondables inconstructibles, il y a malgré tout des risques de glissement de terrain, qui peuvent emporter des villages entiers comme ça a pu être le cas dans les Alpes.

Pierre Carrega : Les régions les plus vulnérables sont celles qui sont les plus peuplées en terrain plat (par exemple le Bengladesh) sans possibilité de se réfugier en hauteur ou encore celles où la culture du risque accepté n'est pas bien rentrée dans les moeurs, ce qui est souvent le cas en Europe où on cherche un peu trop le risque zéro. La demande en terres constructibles continuant, plutôt que de bâtir uniquement sur des terres exemptes de risque (ce qui restreint considérablement l'offre), il est possible de quantifier le risque et de faire bâtir en fonction : 1er étage obligatoire dans une villa (par exemple), pilotis, etc. Ce qui signifie une acceptation que de temps en temps on sera inondé (avec une intensité à préciser évidement).

Depuis la catastrophe de Fukushima, les inondations consécutives à la tempête Xynthia, aux crues successives au Bangladesh mais aussi en France, quelles ont été les mesures préventives pour limiter les risques liés aux désastres naturels ?

Thierry Hubert : La catastrophe de Fukushima nous a rappelé que, bien qu’exceptionnelles, les catastrophes imprévisibles étaient toujours possibles. Malheureusement, il est très difficile de prévoir des situations exceptionnelles et on ne pourra jamais les empêcher. En France, le phénomène meurtrier de Xynthia a marqué les esprits, et les dispositifs d’alerte et de prévention ont été renforcés. La prévention et l’information des publics sont les domaines clés sur lesquels il est possible d’agir et qui permettent dans les pays à faible densité de population de s'organiser.

Pierre Carrega : Un certain nombre de mesures ont été prises en France et continuent à l'être depuis bien avant ces catastrophes, par exemple avec les PPR (Plans de Prévention des Risques) fixant les zones constructibles et à aménager. Après une recherche du risque zéro, la tendance est maintenant davantage vers le compromis. Le risque est aussi de geler des terres ce qui peut biaiser la situation : par exemple en Méditerranée les PPR tendent de plus en plus à "sanctifier" les forêts, ce qui limite bien sûr le risque d'éclosion d'incendie (l'homme en étant à 95 % responsable volontairement et encore plus involontairement). Mais l'accumulation de biomasse, le non nettoyage (sauf en bordure ou le long des routes) font qu'en cas de départ de feu dans cette "poudrière" ce dernier risque de devenir incontrôlable si les conditions météo sont favorables.

Sur quelles données s’appuie-t-on pour prévoir le risque d’inondation et à quel horizon peut-on les mesurer ? 

Thierry Hubert : le changement climatique est vraiment difficile à mesurer et prévoir, et c’est par conséquent un point noir dans les prévisions : peut-on espérer une réduction du réchauffement climatique dans les prochaines années ou non ? Si les mesures recommandées pour lutter contre le réchauffement climatiques sont parfaitement respectées, on verrait une diminution des phénomènes d'intempéries d'une intensité exceptionnelle. 

Pierre Carrega : Il y a en gros deux logiques de prévision du risque d'inondation : se tourner vers l'histoire, l'observation et la mesure passées, pour savoir ce qui s'est déjà passé, avec des repères certains, des hauteurs d'eau, etc , cartographier les inondations... et calculer les "temps" de retour statistiques de telle ou telle intensité de crue. L'autre approche est, par rapport à une pluie de référence, calculer par des modèles plus physiques, basés sur les lois de l'écoulement etc quels seraient les lieux touchés. 

Le niveau de la mer augmente effectivement avec essentiellement la dilatation de l'eau due au réchauffement climatique (plus qu'à cause de la fonte des glaciers) et cela semble appelé à durer, mais comme on raisonne en terme de dixièmes de mm/an la submersion des terres que vous évoquez concerne les terres d'extrêmement faible altitude.

En France, est-on aussi vulnérable face au risque d’inondation ? Quelles mesures spécifiques de prévention sont prises ? 

Pierre Carrega : Il faut séparer les risques littoraux liés à la mer, lorsque des tempêtes ont par exemple fortement fait reculer le trait de côte et menacé ou détruit des maisons, et le risque "continental" lié aux crues de fleuves et rivières mais aussi aux coulées boueuses détruisant les maisons. On est bien sûr vulnérable dès que l'on habite sur le parcours de l'eau... Mais il y a des degrés de risque, et c'est là qu'il faut réfléchir. 

La prévention se fait à plusieurs niveaux, très différents : l'éducation, la sensibilisation aux risques dans une société de plus en plus urbanisée (80% en France) qui a de moins en moins conscience que la technique n'est pas capable de la protéger totalement, même à l'intérieur de sa bulle citadine. Ensuite, les mesures d'aménagement, en particulier avec les nouvelles occupations du sol, les efforts pour diminuer le ruissellement anthropique, sur du long terme ; et enfin lors d'une crue, l'organisation des alertes (cf les "vigilances" de MétéoFrance et "Vigicrues") pour prévenir la population, l'organisation des secours, les mesures locales sur le terrain en cours d'inondation...

Thierry Hubert : En France l’information des publics via les sites internet de météo et les informations diffusées par les médias permettent de préconiser les attitudes à suivre : il faut, en risque de crue, rester chez soi et éviter de sortir pour rejoindre une zone sèche. Les décès sont presque toujours liés à un déplacement à pied ou en voiture qui rencontre le chemin d’une vague. De plus, les zones inondables ont été clairement définies par les urbanistes ce qui dissuade fortement les populations qui souhaitent si installer. En revanche, il est impossible de déplacer des populations installées sur des zones inondables depuis longtemps ! Il faut donc s’assurer que ces habitants soient le mieux préparées possible, mais le risque zéro n'existe pas.

Le sommet de Sendai est-il susceptible d’apporter des réponses intéressantes à ces préoccupations ?

Pierre Carrega : Franchement, je n'en sais rien. On a vu de grandes "messes" ou réunion sérieuses aboutir à des échecs ou des semi-échecs... En fait, à mon avis, cela dépend de deux choses majeures : la volonté réelle d'agir, mais aussi le désir de bien comprendre où sont les problèmes, et comment les résoudre. Cela passe immédiatement par l'abandon de postures dramatisant ou minorant les situations pour des raisons souvent idéologiques, ou économiques à court terme. Il faut donc aussi éviter les déclarations qui "font le buzz" ou électoralistes de toutes sortes, ou les démarches trop médiatiques, qui ne font pas bon ménage avec la science et les phénomènes objectifs. La déclaration qu'aurait faite L Fabius à Sendai :  "les deux tiers des catastrophes naturelles proviennent du dérèglement climatique" à ce sommet de l'ONU est un bon exemple de ce que je veux dire. On a trop tendance à attribuer au changement climatique la responsabilité du moindre méfait, en oubliant la pression démographique dévoreuse de surfaces encore cultivées il y a peu, dont l'inondation n'avait absolument pas les mêmes conséquences qu'aujourd'hui.

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