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La rente de situation que la vie politique française offre au FN : les cadres des partis traditionnels tous plus à gauche que leurs électorats
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Le Front National continue de monter en puissance à l'approche des départementales, faisant craindre un scénario similaire à celui des européennes. Les sympathisants de tous les partis ont beau durcir leurs positions sur certains sujets, ils ont le sentiment que leurs représentants restent trop timorés.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Marc Crapez

Marc Crapez

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son site).

Il est politologue associé à Sophiapol  (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International  Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un  besoin de certitudes (Michalon).

 

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Dans certains domaines les sympathisants des partis de gouvernement ne semblent pas partager les mêmes positions que leurs représentants. Sur la question de l'immigration, on constate une nette progression au sein de l'électorat de gauche : de 29 % en avril 2006, ils sont 44% en janvier 2015 à considérer "qu'on en fait plus pour les immigrés que pour les Français" (sondage Ifop). De même en ce qui concerne la délinquance, l'électorat socialiste est de plus en plus nombreux à considérer que le phénomène a pris de l'ampleur (sondage Ifop pour Sud-Ouest). Des questions que les cadres socialistes ne nous ont pas habitués à ranger parmi leurs priorités.

Atlantico : Quelle est l'ampleur de ce décalage entre dirigeants et  électeurs socialistes ? Les aspirations de ces derniers en matière d'immigration et de sécurité sont-elles de nature à pousser une partie d'entre eux, aussi minoritaire soit-elle, vers le FN ?

Marc Crapez :Oui, plausiblement. Car le décalage est d’ampleur. La majorité des gens de gauche restent attachés à des valeurs. Vos chiffres s’inscrivent dans le droit fil d’autres sondages. Une majorité du peuple de gauche trouve qu’il y a trop d'accusations de racisme à la légère (sondage publié par Valeurs actuelles), trop de dépense publique et trop peu de contrôle des chômeurs (sondage publié par Libération).

Mais si 44% des sondés de gauche pensent "qu'on en fait plus pour les immigrés que pour les Français", c’est tout simplement que personne n’irait soutenir l’inverse (on en fait plus pour les Français que pour les immigrés). Semblablement, si 72% des sondés trouvent qu’on "ne défend pas assez les valeurs traditionnelles" et 86% que "l’autorité est une valeur qui est trop souvent critiquée aujourd’hui", c’est tout simplement parce que ça tombe sous le sens. D’ailleurs, personne ne trouve qu’on défend trop les valeurs traditionnelles et que l’autorité n’est pas assez critiquée. On avait seulement peur de le dire parce que "ça fait facho". Mais il ne s’agit pas d’une droitisation puisque les sondages montrent que davantage de gens s’identifient à la gauche plutôt qu’à la droite.

En fait, les sondages sont revenus à l’étiage logique qu’ils avaient il y a quinze ans, avant que ne débute un cycle de propagande unilatérale. La période qui, sous la houlette de Jacques Chirac, va des régionales de 1998 aux présidentielles de 2002, représente un pic de "gauchisation" inégalé, qui avait déporté la vie politique française de plusieurs crans vers la gauche par rapport aux principaux pays de l’OCDE.

Bruno Cautrès : Il faut tout d’abord revenir sur les termes de la question. Que définit-on comme les "cadres" des formations politiques comme l’UMP ? S’il s’agit des leaders de niveau national ce n’est pas exactement la même chose que les responsables locaux sur lesquels on manque de données récentes. Si l’on envisage les leaders nationaux, eux-mêmes ne sont pas homogènes : leurs positions sur les thèmes de société (par exemple le mariage homosexuel) ou sur des questions comme l’immigration sont plus diversifiés que sur les questions économiques (par exemple les déficits publics, le marché du travail, le rôle économique de l’Etat). En ce qui concerne les électeurs de la droite en général, on voit également des segments diversifiés. Les aspirations dont vous parlez dans votre question sont-elles mêmes hétérogènes. Les données de la récente enquête du CEVIPOF, la vague 6 du Baromètre de la confiance politique (réalisée en décembre 2014), montrent ainsi des décalages, selon les thèmes, au sein des électorats de la droite. Sur des thèmes comme le rétablissement de la peine de mort, la suppression du mariage homosexuel, les sympathisants de l’UMP sont plus à droite  que ceux de l’UDI et du Modem ; de même, dans cette enquête si 67% des personnes interrogées déclarent qu’il y a "trop d’immigrés en France", cette opinion est partagée par 86% des proches de l’UMP (et 94% pour ceux proches du FN) mais 65% des proches de l’UDI et 60% des proches du Modem. Sur les questions économiques, ces différences au sein des électorats de la droite s’estompent et les différences des proches de l’UMP et du FN réapparaissent, avec des sympathisants du FN qui partagent des opinions nettement moins favorables à l’économie de marché.

Par ailleurs, 58 % des électeurs de gauche se disaient favorables à la fin du mois de janvier à la Loi Macron (sondage Odoxa). Cela veut-il dire que la frange la plus à gauche du PS, ainsi que le Front de gauche ne correspondent plus aux aspirations actuelles des électeurs socialistes ?

Marc Crapez : Il y a un clivage. Mais l’antilibéralisme omniprésent est en phase de reflux. Et la loi Macron est perçue comme allant dans le bon sens. Ce jugement peut, du reste, avoir des fondements "de gauche". Après tout, réformer les professions réglementées, c’est moderniser des féodalités ! Mais la mutation culturelle sous-jacente, qui réhabilite le bon sens et les valeurs, est un processus de "dés-extrême-gauchisation". Au total, ce n’est donc pas une perte de vitesse de la gauche en soi. C’est un rapport de force, au sein de la gauche, favorable à une gauche moins à gauche ou, plus précisément, plus proche du sens commun.

A l'UDI, parti généralement considéré comme modéré, les sympathisants étaient seulement 41% à adhérer au mariage homosexuel. A l'UMP la tendance est encore plus forte, notamment sur l'adoption. Pourtant ce sont des prises de position qui aujourd'hui sont peu reprises par les responsables du centre et de la droite, voire qui les embarrassent. La manière dont sont traitées les questions sociétales à droite est-elle de nature à faire le jeu du Front National ?

Marc Crapez : Oui, probablement. Il existe un fossé de type Peuple versus Elites. Les dignitaires, qui ont peur de déplaire aux médias de gauche, affichent souvent des positions progressistes sur les questions sociétales. C’est, pour eux, le meilleur moyen de devenir les chouchous de droite des médias. Et cette notoriété leur vaut une ascension foudroyante au sein des partis de droite. C’est un peu comme l’avancement "au choix" dans la fonction publique, qui évite de passer les concours internes.

Seul un Français sur trois fait aujourd'hui confiance aux syndicats (Sondage Ifop). Or on sait que le FN séduit de plus en plus au sein des classes populaires. Comment expliquer que le discours identitaire et sécuritaire du FN n'ait pas un effet repoussoir sur les "transfuges" de la lutte syndicale vers l'extrême droite ?

Marc Crapez : Je ne suis pas sûr qu’il y ait antinomie. Et d’autres contradictions sautent aux yeux. Appels incessants au "vivre-ensemble" et au "lien social", montrant que le multiculturalisme tant vanté ne pacifie pas notre société. Dénonciation continuelle des "amalgames", mais Charlie hebdo faisant sa couverture avec Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et un islamiste. Accusations contre François Hollande, pourtant très politiquement correct, parce qu’il a employé le terme "Français de souche". Manifestement, quelque chose ne tourne pas rond…

Parallèlement, le Front national consolide sa progression dans les sondages : selon une enquête de l'IFOP, le parti de Marine Le Pen pourrait arriver en tête au premier tour des élections départementales avec 29 % des voix contre 27 pour l'UMP et 20 % pour le PS. Dans quelle mesure le FN profite-t-il des aspirations non satisfaites des sympathisants des autres formations politiques ?

Bruno Cautrès : Compte-tenu de ces données, l’UMP a une difficile équation politique à résoudre (mais la gauche aussi, les termes de l’équation n’étant pas les mêmes bien sûr) : comment "coller" à la demande droitière de ses sympathisants sur des thèmes comme l’immigration, sans à la fois "faire la courte-échelle" au FN et s’éloigner des électeurs UDI et plus encore du Modem ? Le ciment qui unit les électorats de la droite et du centre "prend" de fait davantage sur les questions économiques. Le FN peut donc espérer tirer parti de cette situation en attirant à lui deux types d’électeurs : des électeurs qui jugent le programme économique de la droite trop à droite (trop économiquement libéral) et/ou qui trouvent le programme de la gauche et du centre sur les questions de société ou des enjeux comme l’immigration trop à gauche (trop libéral au sens non-conservateur sur les questions sociétales). 

Marc Crapez : La seule chose dont profite véritablement le FN ce sont les mauvais résultats de l’UMP et du PS sur le chômage, le logement (hors de prix) et l’immigration (pas maîtrisée). C’est à cela qu’il faudrait remédier.

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