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Les féministes ont-elles fini d'achever ce qui reste des hommes ?
©Reuters

Un livre, un débat

C'est une caricature de bobo. Parisien des beaux quartiers, de gauche, forcément progressiste et... forcément féministe, Louis Lanher a décidé de faire sa mauvaise tête. Dans "Les féministes n'auront pas l'Alsace et la Lorraine", le gendre idéal règle son compte à sa belle-mère et ses copines adeptes de la théorie du genre. Et démontre, ce faisant, les ravages du féminisme sur le mâle contemporain... s'il en reste encore un !

Barbara Lambert

Barbara Lambert

Barbara Lambert a goûté à l'édition et enseigné la littérature anglaise et américaine avant de devenir journaliste à "Livres Hebdo". Elle est aujourd'hui responsable des rubriques société/idées d'Atlantico.fr.

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Louis Lanher

Louis Lanher

Louis Lanher est né en 1976. Avocat de formation, il est aujourd’hui réalisateur de documentaires et scénariste pour la télévision. Dernier roman paru : Trois jours à tuer, aux éditions du Diable vauvert.

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Dans ce livre, parlez-vous de toutes les féministes ou de certaines féministes ?

Louis Lanher : De certaines. Je n’ai pas les diplômes d’historien et de sociologue qui m’autoriseraient à faire la Bible de l’anti-féminisme contemporain. Je parle ici de féministes que j’ai pu côtoyer…

… Un peu extrêmes ?

J’évolue dans un milieu social particulier, celui du parisien aisé des centres-villes, qui est une planète étrangère pour l’essentiel de la population française. Je fais partie des 12% qui continuent de voter François Hollande et qui, peut-être, continueront (rires) ! Dans ce milieu, on a le temps et la chance de pouvoir se permettre d’avoir de grandes et belles pensées, on est tous progressistes, modernes, anti-racistes, féministes, etc. On évolue dans un univers de mots-valises qui nous font du bien, qui nous rassérènent, qui font qu’on se sent du bon côté du manche en oubliant peut-être parfois de réfléchir avec un peu plus de subtilité, et notamment sur le féminisme. Tout part d’un univers social où le quotidien féministe est posé comme une grande vérité qui nous interdit toute forme de raisonnement ou de subtilité.

A propos de la théorie du genre, vous dites que "c’est une vérité de gauche" et que "l’altérité sexuelle est une opinion de droite"…

C’est bien connu : la vérité n’appelle pas de débat. Je me méfie toujours un peu des vérités qui interdisent l’exercice de toute forme d’intelligence. Sous le gouvernement actuel, via notamment Najat Vallaud-Belkacem, on nous a assené beaucoup de vérités. Je me souviens d’une visite de la ministre dans une école où elle expliquait que le mariage pour tous était une avancée pour la tolérance, la démocratie, la modernité... On peut être d’accord avec elle, mais je pense qu’on a aussi le droit de ne pas l’être. Ce qui me gêne, c’est que maintenant, on n’a plus le droit de ne pas être d’accord. Quand les gens de la Manif pour tous défilent dans la rue pour dire qu’ils sont contre le mariage pour tous, bizarrement, cela n’est plus une vérité, mais une opinion. Et cette opinion est perçue comme mauvaise dans le milieu où j’évolue, ce milieu bourgeois, aisé des centres-villes. Tout le temps qu’a duré le "débat" sur le mariage pour tous, je ne pouvais pas aller à un dîner en ville sans qu’on me dise à propos des anti : "Oh la la, tu as vu les dégénérés qui sont dans la rue avec leurs têtes de cathos tradis, leurs troupes de mouflets et tout" tout en suggérant qu’ils étaient un peu fin de race, demeurés... Moi qui suis bêtement progressiste, pour le mariage pour tous, etc., j’ai trouvé particulièrement stupide et violent de les stigmatiser ainsi, puisque la "stigmatisation" est un mot à la mode. Je me suis donc amusé à tourner en dérision toutes ces grandes vérités ânonnées dans mon environnement social, parmi lesquelles le mariage pour tous ou la théorie du genre…

Vous prenez au pied de la lettre le mot d’ordre des tenants de la théorie du genre "On n’est pas femme, on le devient" selon lequel un homme = une femme et donc que nous sommes tous les mêmes. Vous répondez un peu à la mauvaise foi par la mauvaise foi, en somme…

Je n’ai pas été avocat pour rien (rires) ! J’ai en effet pris les théories scientifiques ou sociologiques qui m’arrangeaient pour tirer la couverture dans un sens et développer un discours anti-féministe. Pour moi, la théorie du genre appliquée à la lettre est une insulte à toute forme d’intelligence. Il est quand même compliqué de totalement nous réécrire et de faire table rase du passé, de la nature en premier…

Oh la la, faire référence à la nature, c’est très mal vu, ça…

Il me semble inconcevable qu’on soit tous les mêmes, que nos seules différences tiennent dans le fait que les femmes ont une paire de seins et les hommes une paire de couilles et que ces différences n’aient aucune incidence sur nos conditions de vie. Comment peut-on concevoir que la nature qui est si précise, qui fait que les espèces évoluent en fonction de leurs besoins, nous aurait donné des sexes différents pour rien ? Je m’amuse, du coup, à montrer certaines de nos différences.

Pour les illustrer, vous vous servez de l’exemple de votre petit neveu…

J’ai passé de nombreuses heures sur le site de feu les ABCD de l’égalité. J’ai été assez scotché par les conférencières des ABCD qui venaient expliquer que les petits garçons, dès l’âge de trois ans, étaient responsables de tous les maux des femmes depuis des millénaires et qu’il était grand temps grosso modo de les "redresser". Elles prenaient des exemples très concrets : on a constaté, disaient-elles, que les garçons piquent les ballons et les toboggans aux petites filles dans les cours de récréation, qu’ils accaparent la parole en classe pour empêcher les filles de parler, etc. Lorsque certains enseignants ou enseignantes protestaient, signalaient qu’ils n’observaient rien de tel dans leur pratique quotidienne, on leur rétorquait aussi sec : "Si vous dites cela, c’est parce que vous êtes conditionnés par ce qu’on vous a appris depuis des décennies". Je prends donc l’exemple de mon petit neveu qui arrive dans l’enfer sur Terre, à savoir cette maternelle progressiste qui applique à la lettre les ABCD de l’éducation, et qui se voit enjoint de s’adonner à des activités finalement très sexuées comme la couture, la natation synchronisée ou de participer à des "ateliers émotion" pendant que les filles sont encouragées à faire du rugby… Tout cela, bien sûr, sans prendre en compte les envies, les désirs formulés par les enfants eux-mêmes. Je m’amuse ainsi à figurer mon petit neveu en train de danser en tutu, ce qui peut paraître un peu extrême, mais n’est pas non plus si éloigné de la réalité.

Vous soulignez que les tenants de la théorie du genre sont citadins, et surtout parisiens…

Il n’y a qu’eux qui peuvent s’offrir le luxe de continuer à voter socialiste, de prendre du temps sur leur journée de travail pour appliquer ce genre de théorie et de placer leurs enfants dans des maternelles progressistes. Sans avoir passé dix ans sur la théorie du genre, cela me semble totalement absurde, suffisamment, en tout cas, pour la tourner en dérision.

Vous dites que cette théorie ne s’appuie sur rien, et même que c’est une création littéraire…

J’ai trouvé une déclaration de la féministe Monique Wittig, qui a importé la théorie du genre en France et qui dit : "L’œuvre littéraire peut transformer le monde en devenant une machine de guerre qui va modifier notre vision du monde et les représentations qui sous-tendent notre représentation du monde".  Cela montre bien que la théorie du genre est une œuvre littéraire certes séduisante, imaginative, mais qu’elle est bel et bien une œuvre... Comment une œuvre, une création, pourrait-elle être une vérité ?

Pour les tenants de la théorie du genre, on est tous les mêmes, mais il vaut mieux quand même être une fille, remarquez-vous…

Si j’avais évolué dans un univers macho et inégalitaire comme il en existe dans beaucoup de milieux professionnels, j’aurais sans doute écrit un livre pro-féministe. Il se trouve que mon environnement est complètement féministe. J’ai remarqué qu’on encourage les femmes à se regrouper pour pouvoir se soutenir, on crée des associations, des prix littéraires où des femmes récompensent des femmes, des courses de femmes, même, comme le rallye des gazelles... Mais s’il me venait l’envie de créer un club réservé, par exemple,  aux hommes entrepreneurs, où des hommes récompenseraient d’autres hommes, ce serait mal vu. Il y a deux poids, deux mesures. Quand les femmes créent des lobbys pour elles, c'est progressiste et moderne. Quand un homme fait de même, ça se termine devant le tribunal de grande instance de Paris pour acte discriminatoire. Sous couvert d’égalité homme-femme, le but du jeu, c’est quand même, finalement, d’anéantir, d’effacer l’identité masculine.

Nous y voilà… On sent un appel au secours dans ce livre… Ou le cri du cœur d’un homme qui se sent peut-être pas "émasculé", mais diminué en tout cas…

Oui, tout à fait. On parle beaucoup de l’identité féminine, mais finalement, on ne sait plus ce qu’est l’identité masculine. On ne sait plus vers quel "sein" se tourner (rires) ! Pourquoi est-ce que je n’aurai pas le droit, moi aussi, de parler de l’identité masculine, de créer un groupement d’hommes où on se réunirait entre nous pour parler de notre identité ?

Les hommes, dites-vous, sont écrasés par le "régime totalitaire des mères au foyer"…

Cela part d’une constatation personnelle. J’ai mis trois ans à essayer d’organiser un week-end entre potes, et je n’y suis jamais arrivé. On me disait : "Non, non, tu comprends, ma petite amie travaille beaucoup, on se voit peu, je préfère rester avec elle. On fera ça un peu plus tard…" En revanche, quand l’idée a été évoquée de passer un week-end entre couples, en deux SMS, c’était réglé. Je pense que cette impossibilité à se retrouver entre hommes dans la vie privée tient à mon environnement social où ces réunions sont plutôt mal vues. Pour être un peu provocant, se réunir entre hommes à la terrasse d’un café, c’est un peu comme refuser d’embaucher une femme enceinte ! Il faut tout de suite se justifier. Les enterrements de vie de garçon ont on ne peut plus mauvaise presse. Il y a cette espèce de soupçon de dégueulasserie de la réunion masculine. On se dit que si les hommes se retrouvent entre eux, c’est pour faire des choses parfaitement illégitimes, pour trahir leur couple, alors que les réunions féminines sont portées aux nues. Comme on est pour un égalitarisme absolu, la logique voudrait que nous, les hommes, puissions revendiquer les mêmes droits. Si le site adopteunmec.com est drôle, léger, que ça fait rire tout le monde de mettre un mec dans un caddie, alors qu’est-ce qui m’empêche de créer le site adopteunemeuf.com ? Si je mets des femmes dans un caddie, je crains – je suis sûr – que la réaction ne sera pas aussi légère et enjouée…

Vous décrivez un système de neutralisation de l’homme, de la virilité, de la sexualité aussi, par "le planning des mères de famille"…

Je pense que la monogamie pure et dure reste une forme de souffrance pour l’homme, et pas pour la femme.

C’est quand même très bizarre, ça ! Cela voudrait dire que les femmes aiment moins le sexe que les hommes… à moins que ce ne soit les femmes de votre génération ? Vous évoquez à un moment, dans votre livre, une collègue quinqua qui, elle, compatit avec votre ennui, votre frustration, contrairement aux "mères de famille" qui ont votre âge…

Je ne sais pas si c’est une question de génération. Le fait est que mes amies ont 30-40 ans, or je constate qu’elles vivent dans l’angoisse absolue de voir leur petit ami les tromper. Dans mon environnement social, le "planning" festif, ou du week-end, est prévu très en amont par les filles, et je crois que cette hyper-organisation vise à pallier cette angoisse. J’analyse certaines lubies ou modes actuelles, comme le fait de privatiser un restaurant pour jouer au cuistot pendant que vos potes sont en salle. Cela participe, je crois, de ce phénomène : la femme privatise tout ce qu’il y a autour de son homme pour l’empêcher de faire des rencontres. Cela rassure les compagnes de mes amis de voir toujours les mêmes personnes, d’avoir des dîners fixés dix jours avant et d’exercer une sorte de pression sociale pour que l’on reste tout le temps entre nous. Je vais sans doute faire hurler, mais je crois que les hommes ont quand même un penchant naturel pour les grands espaces, qu’ils cherchent à se répandre à travers toute la toundra, et que cette différence-là existera toujours un peu (rires). Aujourd’hui, on veut faire de nous de gentilles mères de famille de 30-40 ans, avec le goûter d’enfant du dimanche, etc. C’est un peu comme dans "Friends" : toute la bande vit repliée sur elle-même, quand un type arrive de l’extérieur, il se révèle toujours être un blaireau au final. On vit dans un monde à la "Friends", il faut toujours couper l’herbe sous le pied du petit nouveau, de la petite nouvelle qui menacent de détruire l’ordre.

Vous notez quand même que, lorsque par miracle, vous arrivez à vous retrouver entre hommes, vous discutez boulot, enfants… comme "les mères de famille"…

Le combat est déjà perdu. Le conditionnement a fait ses effets.

Sérieusement ?

Ah oui ! Je suis sidéré du temps que nous passons entre mecs à échanger des photos maternantes d’enfants, à raconter combien on est fatigué parce qu’on est obligé de se lever la nuit, ou parce que la petite est malade, comme c’est compliqué de trouver une nounou, de faire entrer la poussette dans l’ascenseur, etc. On a vu des conversations plus viriles ! Il y a aussi une vraie culpabilité à nous réunir entre hommes. Les rares fois où on se retrouve, mes amis passent leur temps à envoyer des SMS à leur compagne pour les rassurer, leur dire à quelle heure ils vont rentrer, etc. C’est triste. Je ne suis pas sûr qu’on aille vers plus de bonheur si les hommes deviennent des mères comme les autres. Parfois, je me dis qu’un petit retour de machisme pourrait peut-être un peu rééquilibrer les choses (rires).

C’est un livre sur les féministes ou sur la condition masculine ?

Derrière ce livre, il y a, c’est vrai, le cri du cœur d’un homme qui dit en gros : "Si vous avez envie de me transformer en mère de famille, je vais finir en dépression !" (rires) C’est un cri d’alarme, aussi, à l’adresse des féministes, parce qu’elles ont tout intérêt à préserver la frange masculine "féministo-compatible". C’est vrai qu’il y a des types nuls, mais il y en a aussi des bien… et ceux-là pourraient finir par se lasser…

Serait-ce une menace (rires) ?

Sait-on jamais (rires)… Redevenons sérieux. Ce que je veux dire, dans le fond, c’est qu’on peut avoir des réserves sur le féminisme et être en même temps complètement amoureux de la gent féminine. La période que nous vivons, où nous renions totalement la nature, le passé, la culture, pour nous réécrire totalement et ânonner qu’homme et femme, c’est du pareil au même, paraîtra sans doute absurde d’ici quelque temps. Dans cent ou deux cents ans, tout cela fera rire. Ce n’est pas le cas, actuellement.

Pensez-vous exprimer quelque chose qui est ressenti par les hommes ou qui ne l’est déjà plus ?

Je me pose la question. Certains le ressentent, d’autres me disent : "Oui, je suis comme ma femme. C’est quoi, le problème ?". Beaucoup de filles trentenaires ne comprennent pas du tout mon malaise. Celles qui sont plus âgées le comprennent parfaitement, elles ! La mère de mon éditrice, qui a 81 ans, a adoré le livre, alors qu’elle est ultra-féministe et d’extrême gauche ! C’est peut-être, oui, finalement, un débat qui passe au-dessus de la tête d’une certaine tranche d’âge…

Il y a, quelque chose qui semble bel et bien relever de la génération…

Il est clair que c’est un débat qui échappe totalement aux vingtenaires. Il y a aujourd’hui une véritable apologie du couple. A quinze-seize ans, les jeunes sont déjà en couple, souvent d’ailleurs chez papa-maman. Quand j’avais cet âge, je ne pensais qu’à faire le mur et aller vivre ma vie. Il y a cette idée récurrente, de nos jours, que le couple, c’est bien, le célibataire, c’est mal. Finalement, c’est très moralisateur.

Vous soulignez que sous couvert de progressisme, les féministes sont assez réactionnaires. Vous racontez notamment comment, chez votre belle-mère, ultra-féministe, les femmes et les hommes font salon à part…

On retourne en fait à la vision la plus "Trente Glorieusienne" du couple. Dans les familles les plus progressistes et féministes, il y a un petit salon où les femmes parlent maternité, se rassurent les unes les autres, et de l’autre côté, un coin hommes où on se raconte des histoires salées en s’empiffrant de saucisson. Et pourtant, ce sont des familles où on vit avec cette idée bien ancrée qu’on est tous les mêmes, et qu’il faut arrêter avec l’altérité sexuelle ! Je fais peut-être ma crise d’adolescence, mais je pense que cette apologie du couple arrange plus les filles que les garçons : cela les rassure. Or cette apologie du couple se révèle en fin de compte découler… du féminisme ! C’est complètement contradictoire. Quand j’avais quinze-seize ans, je me souviens que quand je rentrais de l’école, il y avait "K 2000", qui galochait une nana dans les cinq premières minutes de l’épisode. Aujourd’hui, ça ne passerait plus. On a "Plus belle, la vie". Il n’y a plus de personnage de dragueur à la galoche facile, a fortiori dans les séries pour jeunes. Je ne suis pas sûr que la génération Y soit parfaitement libérée – en témoigne le fait qu’elle "se met en couple" très tôt. Avec cette apologie du couple et du féminisme, on va finir par s’ennuyer profondément – et on s’ennuie déjà pas mal.

On est dans le Même, en fait…

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