Echec de la fusion Publicis-Omnicom : 3 raisons qui font que c'est probablement une bonne chose<!-- --> | Atlantico.fr
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Maurice Lévy le patron de Publicis.
Maurice Lévy le patron de Publicis.
©Reuters

Le Nettoyeur

Un conflit de leadership expliquerait pourquoi le mariage entre Publicis et Omnicom n'aura pas lieu.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Les bruits circulaient déjà, mais depuis ce matin c'est officiel : la fusion entre Publicis et Omnicom, qui aurait donné naissance au plus gros groupe publicitaire mondial, est annulée.

C'est probablement une bonne chose.

Pourquoi ? Trois raisons principales.

La plupart des fusions sont des échecs. Il existe une littérature économique et financière abondante sur le sujet : la plupart des opérations de fusions-acquisitions sont des échecs, dans le sens où elles ne génèrent pas les avantages économiques qu'on attend publiquement d'elles au moment où elles sont conclues. Les “synergies” n'arrivent pas. Les intégrations sont difficiles, voire jamais effectuées.

A cela deux raisons principales qui se résument à une seule : la nature humaine. Tout d'abord, toute organisation est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît de premier abord (ou deuxième, ou troisième). Une entreprise, ce n'est pas seulement des produits, des comptes en banque, des actifs, c'est d'abord une certaine culture, tout un savoir-faire qui n'est pas écrit (sinon ça ne serait pas un savoir-faire). Toutes ces choses-là n'apparaissent pas dans les tableaux financiers. Faire fusionner deux équipes, c'est tout réorganiser et, en ce faisant, c'est souvent détruire ces aspects culturels qui, en réalité, sont l'âme de l'organisation. Faire en sorte que des cultures différentes s'intègrent, que des savoir-faire ne disparaissent pas, c'est beaucoup plus compliqué que de mettre tout le monde sous le même logo et la même entité juridique. Et donc, le plus souvent, ça capote.

L'autre raison, liée à la première, c'est l’orgueil. La plupart des patrons se voient comme des Napoléons. Innover, prendre des risques, inventer de nouveaux modèles, motiver ses équipes, renforcer le matériau humain, tout ça c'est très difficile et ça ne paye qu'à long terme. Racheter un gros concurrent, ça fait la une des journaux, c'est applaudi par tout le monde. On se prend pour un grand général qui avance ses pions sur le Monopoly corporate. Les patrons qui décident des opérations de fusions-acquisitions ont donc une tendance permanente à sur-estimer leurs possibilités de succès.

Tous ces facteurs ensemble font que, en générale, plus la fusion est grosse, plus le risque est élevé. Dans un secteur comme la pub, qui repose sur des relations de service avec des clients et sur le talent des créatifs et des conseillers en stratégie, ces aspects “culturels” qui mettent en péril les fusions étaient très présents. Et difficile d'étudier les déclarations de Maurice Lévy et ne pas penser qu'il souffre au moins un peu d'un léger syndrome Napoléon... D'ailleurs la fusion a au final échoué pour des problèmes de personnes et d'orgueil : chacun des patrons des deux structures voulait être calife à la place du calif. La fusion Publicis-Omnicom s'annonçait donc dès le départ comme un cas d'école de fusion trop orgueilleuse vouée à l'échec.

Les économies d'échelles dans la pub, ça ne change pas grand-chose. A chaque fois qu'on parle de fusions, y compris dans le secteur public, on parle d'économies d'échelles. Ce terme est tellement galvaudé qu'il en perd tout sens.

Le concept d'économies d'échelles renvoie à un phénomène précis : le fait que la taille d'un ensemble permet d'obtenir de meilleurs termes commerciaux face à ses fournisseurs et clients ( la taille importante peut fournir d'autres avantages, mais il ne s'agit pas, à proprement parler, d'économies d'échelles ). Dans la distribution, ou des secteurs de produits non-différenciés comme les matières premières, ces aspects-là sont très importants.

Dans la pub, il n'en est rien. Dans un métier comme le métier de publicitaire, il ne s'agit pas de transformer ou de distribuer des produits bruts pour les revendre en prenant une marge : c'est un métier de services. Dans un publicitaire, une entreprise cherche un conseiller en stratégie : quelqu'un qui va comprendre ses enjeux et lui apporter des services innovants et sur-mesure. Autrement dit, le contraire du genre d'activités où il y a des économies d'échelles importantes. C'est d'ailleurs pour ça que les grands groupes de publicités ne sont pas des groupes intégrés mais plutôt des fédérations d'agences qui sont toutes plus ou moins indépendantes les unes des autres : par exemple, sous l’ombrelle Publicis, il y a Saatchi & Saatchi, Digitas, Starcom et bien d'autres.

Dans la publicité, il y a un autre problème fondamental avec les économies d'échelles : pour des raisons évidentes, les clients refusent d'avoir le même publicitaire qu'un concurrent direct. Omnicom et Publicis ont beaucoup de clients qui sont concurrents directs et la fusion aurait par nécessité mené à la perte de nombreux clients : belles économies d'échelle.

La fusion n'aurait pas réglé le problème principal. Cette chronique n'a pas jusqu'à présent utilisé le mot qui, pour autant, sous-tend de manière omniprésente cette fusion : ce mot est Internet. Toute la publicité est entrain de devenir digitale. Maurice Lévy, à l'origine de la fusion, a une peur viscérale des grands groupes d'Internet qui sont entrain de dominer le marché publicitaire, notamment (mais pas seulement) Google. Pour lui, l'enjeu est de “tenir” face à ces grands groupes, et la réponse à ça, c'est la taille.

Mais ça ne règlera rien. L'enjeu principal du secteur de la publicité en ce moment n'a aucun rapport avec la taille : c'est une transformation fondamentale. Grâce à la technologie, la publicité est entrain de devenir un processus technologique ; les décisions deviennent fondées sur la mesure du rendement et non le feeling. La stratégie, la création - bref, le conseil v- seront toujours importants, mais ce n'est plus là où est la valeur. Le problème fondamental est le suivant : la publicité est entrain de passer d'un métier fondamentalement de services à un métier fondamentalement technologique. Economies d'échelles ou pas, taille critique ou pas, ça ne change rien.

La vraie transformation qui est appelée à Publicis est beaucoup plus difficile et délicate qu'un rachat de concurrents : inventer un nouveau métier, qui mélange l'aspect créatif de toujours et le nouvel aspect technologique, et inventer de nouvelles technologies qui règlent les problèmes des clients de manière innovante (ce qui est pourquoi Google et Facebook prennent des parts de marché).

La fusion n'aurait fait que distraire Publicis de cet objectif, bien plus fondamental.

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