Rebellions et désamour : historique des relations entre les présidents de la République de la Ve et leurs partis politiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Christophe Cambadelis a pour mission de reconsolider les liens entre le parti et le président après la défaite aux municipales.
Jean-Christophe Cambadelis a pour mission de reconsolider les liens entre le parti et le président après la défaite aux municipales.
©Reuters

Union et désunion

Jean-Christophe Cambadelis a été nommé à la tête du PS mardi 15 avril. Ce proche de François Hollande a pour mission de reconsolider les liens entre le parti et le Président après la défaite aux municipales. Une situation loin d'être inédite pour un président de la Vème République.

Damien Philippot

Damien Philippot

Damien Philippot est directeur des études politiques au Département Opinion et Stratégies d'entreprise de l'Ifop.

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Atlantico : Quels sont les Présidents de la République qui ont été confrontés à une rupture avec leur parti ? Quelles sont les raisons de ce désamour ? Ce phénomène évolue-t-il en fonction de l’opinion publique ?

Damien Philippot : Du point de vue des sondages, si l’on veut qualifier la solidité du lien qui unit un président de la République au cœur de son électorat, il s’agit de regarder le niveau de sa popularité parmi les sympathisants du parti qui constitue le socle de la majorité présidentielle. S’agissant de François Hollande, les proches du Parti socialiste sont au lendemain des municipales moins de 50% (48% dans le baromètre Ifop pour le JDD qui mesure la popularité de l’exécutif depuis 1958) à se déclarer satisfaits de l’action du président de la République. C’est un véritable tournant dans le quinquennat, un signal très inquiétant pour François Hollande, qui traduit une désaffection profonde de l’électorat socialiste à l’égard de la politique menée. Jamais Nicolas Sarkozy n’avait été confronté à une telle situation, puisqu’il a toujours réussi à maintenir sa cote auprès des sympathisants de l’UMP à un niveau élevé (le plus bas, 72%, fut atteint en avril 2011).

Dans l’histoire de la cinquième République, le Général de Gaulle et Georges Pompidou n’ont eux non plus jamais connu de telles difficultés, leur cote ayant de toute façon quasiment toujours été majoritaire auprès de l’ensemble des Français. Valéry Giscard d’Estaing a quant à lui souffert des rapports difficiles entretenus avec les gaullistes, pourtant largement la première force parlementaire jusqu’aux élections législatives de 1978 ; le concernant, ce sont donc principalement des raisons politiques, d’affrontement avec Jacques Chirac, qui expliquent le désamour entre le président et les Français de sensibilité gaulliste, la composante majoritaire de sa majorité, à côté des centristes.

Quant à François Mitterrand puis Jacques Chirac, les rapports entretenus avec les proches du PS pour le premier et les sympathisants du RPR pour le second, ont toujours largement dépendu du niveau de déception des électeurs au regard des promesses faites avant l’élection. On mesure ainsi que le "tournant de la rigueur" opéré entre 1982 et 1983 a progressivement contribué à détourner les sympathisants socialistes de François Mitterrand, la nomination de Laurent Fabius en 1984 n’ayant que provisoirement amélioré la situation. De manière un peu similaire, les premières années de son second mandat ont été marquées par une impopularité forte de François Mitterrand, y compris parmi les proches du PS. Mais à la grande différence de François Hollande aujourd’hui, François Mitterrand bénéficiait de Premiers ministres "fusibles", capables de supporter la plus grande part du mécontentement populaire et dès lors de protéger quelque peu la popularité présidentielle. Jacques Chirac a lui aussi souffert d'une impopularité forte, parfois importante aussi à droite, notamment lors des premiers mois suivant son élection en 1995 ; là aussi, l’insatisfaction liée à l’écart entre une campagne menée sur le thème de la "fracture sociale" et la réalité d’une politique plus libérale a contribué à creuser le fossé entre le président et son électorat. François Mitterrand et Jacques Chirac ont néanmoins profité des périodes de cohabitation pour renforcer d’une manière considérable le lien les unissant au cœur de leur électorat, le Premier ministre de cohabitation concentrant l’essentiel de l’acrimonie de leurs soutiens traditionnels.

Source Ifop

52% des sympathisants du Parti socialiste sont mécontents de l’action du Président. Quelles peuvent être les conséquences politiques de cette rupture ?

On sait que la majorité absolue détenue par le Parti socialiste à l’Assemblée nationale ne tient plus qu’à un fil, et que les autres composantes de la majorité parlementaire (les radicaux de gauche et les écologistes) sont de plus en plus critiques, à côté des partisans de Jean-Luc Mélenchon désormais dans une attitude résolument hostile. Il est frappant de constater une forme de symétrie dans l’opinion où la cote de François Hollande est désormais franchement minoritaire à gauche en dehors du Parti socialiste (19% chez les proches du Front de Gauche, 28% parmi les sympathisants d’Europe Ecologie les Verts), et même désormais inférieure à 50% chez les proches du Parti socialiste eux-mêmes, pour une large part déçus par le remaniement et par l’absence de changement de politique en dépit de la déroute subie par le PS aux municipales. Cela signifie que le président de la République ne bénéficie plus d’aucun socle solide dans l’opinion, capable de relayer le bienfondé de sa politique parmi l’ensemble des Français.

Tout repose désormais sur le Premier ministre, qui lui, bénéficie d’un soutien largement majoritaire (58%) chez l’ensemble des Français, et particulièrement élevé (79%) parmi les proches du PS. Les conséquences politiques de cette situation peuvent être multiples. Le « gap » de popularité entre François Hollande et son Premier ministre risque notamment d’entraîner des tensions entre les deux têtes de l’exécutif, le président pouvant craindre une concurrence de son Premier ministre en termes de leadership sur la majorité présidentielle, avec à l’horizon la question de la candidature socialiste à la présidentielle de 2017. A la différence d’un Nicolas Sarkozy qui a toujours su rester le leader incontesté au sein de son propre camp politique, François Hollande peut craindre de ne plus apparaître naturellement comme le chef légitime de la gauche française. Ce scénario doit néanmoins être relativisé par le fait que Manuel Valls, qui sera nécessairement posté en première ligne pour mener les réformes dont certaines seront probablement mal perçues par le peuple de gauche, peut voir sa popularité s’effriter les mois passant, et sa cote se rapprocher de celle du président de la République. Autre conséquence politique potentielle de l’impopularité de François Hollande parmi les sympathisants du PS, la majorité parlementaire peut encore se fragiliser, nombre de députés socialistes pouvant s’inquiéter de l’impact du désamour des Français envers François Hollande sur leur capacité à se faire réélire lors des prochaines législatives, et dès lors se désolidariser du président de la République.

Source Ifop

83% des sympathisants de droite se disaient satisfaits de Nicolas Sarkozy pendant son mandat. Quelle est l’influence du parti sur la politique du gouvernement ? Quelle est sa place concrètement ?

La cote de Nicolas Sarkozy parmi les sympathisants de droite est restée largement majoritaire pendant tout son quinquennat. Même au plus fort de son impopularité, un an avant l’élection présidentielle de 2012, il réunissait encore 72% de soutiens parmi les proches de l’UMP. Nicolas Sarkozy a toujours bénéficié d’une image positive à droite, apparaissant comme un président volontariste, pugnace, dont les résultats n’étaient certes pas toujours perçus comme étant à la hauteur des espérances suscitées lors de la campagne électorale de 2007, mais dont la détermination n’a jamais été véritablement remise en cause par les proches de la droite.

C’est la désaffection profonde des proches du Front National et le rejet massif par le peuple de gauche qui expliquent son échec en 2012, non pas la désaffection des électeurs UMP. Dans sa pratique du pouvoir, Nicolas Sarkozy s’est pour autant assez facilement affranchi des orientations politiques définies par l’UMP, préférant un exercice relativement personnel du pouvoir (on parlait de son « hyperprésidence » qui laissait peu de place aux initiatives de la majorité parlementaire ou encore au Premier ministre). La preuve en est que l’UMP est restée sans tête officielle pendant tout le quinquennat, ce parti constituant davantage un « club de supporters » du président qu’une véritable machine électorale en soutien à une majorité, capable de gagner les élections intermédiaires et de remporter l’adhésion des Français autour d’un projet politique ; tous les scrutins locaux du quinquennat Sarkozy (municipales de 2008, régionales de 2010, cantonales de 2011) ont d’ailleurs été gagnés par la gauche au cours de l’ère Sarkozy. On ne peut donc dire de l’UMP qu’elle a eu une influence forte sur la politique menée par Nicolas Sarkozy. En revanche, il est évident que le soutien jamais démenti des proches de l’UMP au président de la République lui a permis de conserver une certaine mainmise sur l’agenda politique jusqu’à la fin de son quinquennat, et à garder une autorité réelle sur son camp, en dépit des échecs électoraux successifs. Aujourd’hui encore, l’extrême popularité de Nicolas Sarkozy dans son camp lui assure une prééminence sur l’ensemble de ses concurrents potentiels (François Fillon, Jean-François Copé notamment) en vue de la prochaine élection présidentielle.

Source BVA

Un président peut-il réellement suivre la ligne politique de son parti ?

A partir du moment où il est élu, le président de la République est censé travailler dans l’intérêt de tous les Français et non pas suivre les orientations politiques de son parti d’origine. C’est l’esprit de la Cinquième République, et tous les présidents ont réaffirmé ce crédo une fois élus.

Ceci dit, chaque président se fait élire sur la base d’un programme en partie élaboré par le parti dont il est issu. Il y apporte naturellement sa touche personnelle, parfois très forte, en particulier quand la désignation du candidat se fait à l’issue d’une primaire où votent les sympathisants du parti. D’une certaine manière, une fois élu, le président est donc comptable des engagements pris par lui-même pendant la campagne électorale, et par le parti dont il provient.

Mais la prééminence de la fonction présidentielle est si forte dans la cinquième République, en particulier depuis l’instauration du quinquennat et la raréfaction des cohabitations, que c’est aujourd’hui plutôt l’inverse qui se produit : c’est la politique menée par le président de la République qui imprime la ligne politique du parti qui le soutient. Les dirigeants du parti au cœur de la majorité présidentielle réduisent d’ailleurs souvent leur rôle à une défense et illustration de l’action de l’exécutif. C’était vrai sous Nicolas Sarkozy, ça l’est aussi sous François Hollande. Ceci explique d’ailleurs probablement la difficulté qu’éprouvent les grands partis, à partir du moment où ils soutiennent le pouvoir en place, à exister d’une manière autonome, à être force de propositions, et à emmener les électeurs dans le cadre des scrutins intermédiaires. Tous ont été perdus par l’UMP pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et le PS vient de subir une sévère défaite à l’occasion du premier rendez-vous électoral du quinquennat de François Hollande.

Source BVA 

Que signifie la nomination de Jean-Christophe Cambadélis pour les relations entre le PS et le Président ?

François Hollande avait choisi Harlem Désir à la tête du PS parce qu’il considérait que cette personnalité permettrait de ne froisser personne au Parti socialiste et de faire la synthèse entre les différents courants qui le traversent. Mais c’est surtout le manque de leadership de ce premier secrétaire qui a marqué son passage à la tête du parti, ce qui a contribué à fragiliser le PS plus qu’à le maintenir uni au sein de la majorité présidentielle. Aux yeux de François Hollande, il est par ailleurs responsable de la déroute des socialistes aux dernières élections municipales. En choisissant Jean-Christophe Cambadélis, François Hollande fait le pari d’un homme d’appareil qui saura mieux que son prédécesseur tenir la maison socialiste et la préparer aux futures échéances électorales. Du point de vue des relations entre le PS et le président, François Hollande risque peut-être de faire face à un premier secrétaire disposant d’une autorité plus forte, mais il espère aussi pouvoir compter sur une capacité de mobilisation plus forte du parti dans la perspective des mois et années difficiles qui s’annoncent pour l’exécutif.

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