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Retour sur les causes de la déroute de la gauche aux municipales : les variables explicatives qui ont vraiment joué
©REUTERS/Stephane Mahe

Défaite historique

Le Parti socialiste a perdu à lui seul 155 villes lors des dernières élections municipales. Une profonde défaite de toute la gauche qui s'explique à la fois par les réformes engagées par le gouvernement, par le manque de mobilisation des électeurs sympathisants, mais aussi par la division de la gauche française.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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La gauche a essuyé une défaite historique aux élections municipales en abandonnant à la droite un tiers des communes de plus de 9 000 habitants qu’elle détenait, soit pas moins de 155 villes perdues dont, pour le seul Parti Socialiste, 27 de plus de 50 000 habitants. Avec seulement 30 communes encore détenues dans cette strate des villes les plus importantes, le PS revient à l’étiage qui était le sien à l’issue des désastreuses municipales de 1983. A ces pertes quantitativement impressionnantes s’ajoutent des défaites symboliques lourdes de sens : on citera par exemple la perte des bastions historiques que constituent Limoges ou Niort et la reconquête par la droite de grandes villes perdues en 2008 : Toulouse, Reims, Caen et Saint-Etienne. 

La très profonde impopularité du couple exécutif et l’absence de résultats perçus de la politique menée ont incontestablement massivement amplifié le phénomène de vote-sanction observable à chaque élection intermédiaire, comme le montre le graphique ci-dessous.

Le nombre de villes de plus de 30.000 habitants perdues par la majorité parlementaire
lors des élections municipales de "mi-mandat" et la cote de popularité du Président
à la veille de l’élection

Plombée par l’impopularité record du Président de la République (23 % de "satisfaits" dans le baromètre Ifop/JDD de mars), la gauche a perdu 77 villes de 30 000 habitants, ce solde net (villes perdues – villes gagnées) étant de loin le plus lourd depuis 1977. Mais au-delà de ce climat national très défavorable, peut-on néanmoins distinguer des variables explicatives ou des logiques politiques ayant localement contribué à aggraver cette défaite ?

Le poids relatif des variables de contexte

  • Les nouveaux rythmes scolaires


Au cours de la campagne électorale plusieurs éléments sont revenus régulièrement dans le débat et dans  l’explication de la défaite de la gauche. La question des rythmes scolaires, qui a fait couler beaucoup d’encre ne serait, aux dires de certains, pas pour rien dans la défaite de la gauche. Dans les villes où ils sont appliqués, les nouveaux rythmes scolaires auraient braqué les parents d’élèves, un public nombreux, mais aussi le corps enseignant, catégorie constituant une des plus fidèles clientèles électorales de la gauche et fortement prescriptrice d’opinions. Pour explorer cette hypothèse, nous avons identifié parmi les communes de plus de 20 000 habitants détenues par la gauche, les villes qui avaient d’ores et déjà adopté ces nouveaux rythmes scolaires et celles qui n’y étaient pas encore passées. On constate que dans les 120 communes de gauche appliquant les nouveaux rythmes scolaires, le taux de victoire de la gauche (66 %) est quasiment le même (voire légèrement plus élevé) que dans les 182 non encore passées : la gauche y ayant alors conservé la mairie dans 62 % des cas. Si la mise en place de cette réforme a donc pu froisser une partie de l’électorat, son impact n’a pas été aussi important qu’on a pu parfois le dire et n’a manifestement pas fortement contribué au basculement à droite de villes de gauche.

  •  La hausse de la fiscalité locale


Dans un contexte marqué par le ras-le-bol fiscal, le niveau et l’évolution des impôts locaux est rapidement apparu comme le thème prioritaire pour les Français dans cette campagne des municipales. Ainsi en mars 2014, 51 % des personnes interrogées indiquaient que le montant des impôts locaux serait le sujet qui compterait le plus pour elles au moment de voter[1].  Pour autant, les municipalités de gauche qui ont le plus augmenté le taux de leur taxe d’habitation ont-elles été davantage sanctionnées que celles qui avaient freiné la hausse de ce taux ?

Le graphique suivant indique que la proportion de perte pour la gauche n’est pas indexée sur l’évolution de la fiscalité locale intervenue au cours de la dernière mandature[2].

Taux de victoire et d’échec de la gauche dans les villes qu’elle détenait
en fonction de l’évolution du taux de la taxe d’habitation entre 2008 et 2013



[1] Sondage Ifop pour L’édition du Soir, réalisé par internet du 12 au 14 mars 2014 auprès d’un échantillon national représentatif de 1002 personnes.

[2] Nous avons retenu comme indicateur l’évolution du taux de la taxe d’habitation entre 2008 et 2013. La hausse moyenne correspond à une hausse de ce taux inférieur à 50 % (c’est-à-dire par exemple que le taux de la taxe d’habitation est passée de 10 % à 14 % soit + 4 points qui ramenés à 10, représentent une hausse de 40 % du taux), "la forte hausse" correspond à une hausse du taux comprise entre 50 et 75 % et la tranche "très forte hausse" correspond à une progression de plus de 75 % de ce taux.  

On retrouve de nouveau le même ratio, de l’ordre d’un tiers, de communes perdues par la gauche quelle qu’ait été la hausse de la pression fiscale locale au cours des dernières années. Tout se passe comme si nous étions, ici encore, en présence d’une puissante tendance nationale qui avait fait sentir ses effets dans toutes les configurations. Ainsi des villes comme Salon-de-Provence, Chambéry ou Reims, qui n’avaient que très modérément augmenté le taux de leur taxe d’habitation, ont quand même basculé à droite.

  • Le niveau de la délinquance

La question de la délinquance s’est également invitée dans le débat des municipales et la droite en a fait l’un de ses arguments majeurs pour attaquer et critiquer le bilan de la gauche en la matière tant au niveau local que national. Avec 25 % de citations, la sécurité des biens et des personnes arrivait, dans le sondage cité précédemment, en quatrième position des enjeux les plus importants pour les Français, seulement un point derrière l’emploi et le développement économique. Le niveau de la délinquance, mesuré à l’aune du nombre de crimes et délits (cambriolages, violences physiques aux personnes, vols de véhicules) pour 1000 habitants, a-t-il joué un rôle localement dans l’issue du scrutin ?

Comme on peut le voir sur le graphique suivant, une corrélation existe cette fois mais elle est, à première vue, totalement contre-intuitive.  Plus une ville de gauche est en proie à la délinquance et plus les chances de la municipalité sortante d’être réélue augmentent !

Taux de victoire et d’échec de la gauche dans les villes qu’elle détenait
en fonction du nombre de crimes et de délits pour 1000 habitants

Ainsi dans les communes les moins touchées, le taux de victoire n’a été que de 58 % contre 70 % dans leurs homologues les plus frappées. Ce paradoxe s’explique par le fait que les villes qui connaissent un niveau de criminalité élevé correspondent souvent à des communes très pauvres et dans lesquelles la gauche est sociologiquement hégémonique (Les Lilas, Tournefeuille par exemple). En dépit d’un niveau de délinquance important, l’équilibre politique y est très difficilement modifiable.    

  • La proportion de logements sociaux dans la commune


Cette meilleure résistance de la gauche dans ses bastions les plus populaires apparaît avec encore plus de clarté lorsque l’on analyse les résultats en fonction de la proportion de logements sociaux présents dans la commune. On constate en effet une corrélation très nette et positive entre cette variable et le taux de réélection des municipalités de gauche sortantes.

Taux de victoire et d’échec de la gauche dans les villes qu’elle détenait
en fonction de la proportion de logements sociaux dans la commune

Plus la proportion de logements sociaux dans le parc immobilier local est importante et mieux la gauche a résisté. 92 % des maires de gauche de communes comptant plus de 50 % de logements sociaux ont ainsi été réélus contre "seulement"  59 %  de leurs collègues dirigeant des villes abritant moins de 20 % de ce type de logement. Si l’abstention dans les quartiers populaires et notamment dans l’électorat de gauche y a été très importante (nous y reviendrons), les quartiers d’habitat social continuent de constituer de véritables points d’appui pour le socialisme municipal. Et quand le logement social représente plus d’un tiers des logements, il a fait office de rempart derrière lequel les équipes de gauche ont pu mieux résister à la "vague bleue" nationale[1]. On comprend dès lors pourquoi la question du relèvement de 20 à 25 % du seuil minimal obligatoire de logements sociaux pour les communes urbaines a fait l’objet d’un si vif affrontement entre la gauche et la droite…  

Le rôle de différents facteurs politiques dans la défaite de la gauche

  • La division de la gauche


La division d’un camp est souvent présentée comme une cause de défaite alors que la capacité à se présenter unis dès le premier tour augmenterait singulièrement les chances de l’emporter. Guillaume Tabard qui s’est livré à une analyse sur les 35 communes de plus de 100 00 habitants non remportées au premier tour, a montré que la gauche entre les deux tours avait reculé dans un peu plus de la moitié des cas[2] par rapport à son total de premier tour.  Ceci indique que les reports à gauche n’ont pas été parfaits et qu’une partie des électeurs ayant voté pour des listes de gauche non socialistes ont manqué à l’appel au second tour.  Pour autant, si ces mauvais reports ont pénalisé la gauche, il ne semble pas que le fait que ce camp soit parti en ordre dispersé au premier tour ait accru sensiblement les probabilités de défaite. Ainsi si l’on raisonne sur la base des communes de plus de 10 000 habitants dans lesquelles la gauche non communiste était sortante, on s’aperçoit à la lecture du graphique suivant que le taux de victoire et de défaite est quasiment identique quelle que soit la configuration de l’offre à gauche au premier tour.  

Taux de victoire et d’échec de la gauche non communiste dans les villes qu’elle détenait
en fonction de l’offre politique au 1er tour



[1] Dans les communes de gauche comptant entre 20 et 35 % de logements sociaux, le taux de réélection s’établit à 62 %, soit un peu en dessous de la moyenne nationale (65 %) alors qu’il grimpe significativement au-dessus (77 %) pour les communes de gauche affichant entre 35 et 50 % de logements sociaux.

[2] Cf : « Du premier au second tour, quels transferts de voix ? » in Le Figaro du 2 avril 2014

On constate même que la proportion de victoires a été un peu plus forte (67 %) dans les communes qui voyaient trois listes de gauche se présenter au premier tour, ce qui s’explique par le fait qu’il s’agissait souvent de communes très à gauche et où, face à la très faible probabilité que la droite ne l’emporte, les forces de gauche locales ont pu se présenter séparément en toute sécurité. On pourra citer par exemple le cas de Sotteville-lès-Rouen, de Saint-Gaudens ou bien encore de Pantin.  Mais inversement, dans pas moins de 48 communes de plus de 10 000 habitants où la gauche était sortante et où elle se présentait unie, elle a néanmoins été battue. Cela témoigne de la force de la "vague bleue" nationale qui a été capable de faire tomber environ un tiers des villes de gauche y compris face à une gauche unie et même parfois dès le premier tour comme à Chalon-sur-Saône, Bruz, Brétigny-sur-Orge, Montgeron ou bien encore Balma.

  • La plus faible mobilisation de l’électorat de gauche


Si la gauche, même quand elle était unie, a subi un si lourd revers, c’est que d’autres facteurs que la mauvaise qualité des reports de voix ont pesé au premier rang desquels une insuffisante mobilisation de l’électorat de gauche. Cette participation différentielle est très clairement perceptible quand on analyse par exemple le taux d’abstention en fonction de la couleur politique des bureaux de vote. Dans tous les cas que nous avons étudiés, on constate en effet que plus un bureau de vote est marqué à gauche (orientation à gauche mesurée à l’aune du score obtenu par François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle) et plus l’abstention a été élevée au premier tour des municipales atteignant même des sommets dans les bureaux les plus à gauche de Lille (70,2%) ou Marseille (62,8%).

% d’abstention au premier tour des élections municipales en fonction du vote en faveur de François Hollande au premier tour de l’élection présidentielle

La corrélation n’est certes pas toujours totalement parfaite et la grève des urnes par l’électorat de gauche n’a pas eu la même ampleur partout, mais l’on constate néanmoins que le phénomène a été général et important. En cela réside une cause majeure de la défaite historique de la gauche à ces élections municipales.

Mais à ce phénomène est également venu s’en ajouter un autre, celui du passage à droite d’une partie des électeurs qui avaient précédemment voté à gauche. Ce mouvement ne s’est pas produit avec la même intensité dans toutes les communes. Dans certaines villes ayant basculé de gauche à droite il a été fort, dans d’autres assez marginal, le basculement s’expliquant alors par le déficit de mobilisation de l’électorat de gauche. Dans d’autres villes enfin, les deux facteurs se sont cumulés.

Bien que les mouvements électoraux soient assez compliqués à retracer sur la simple base des résultats globaux, le tableau suivant permet d’esquisser une typologie des configurations ayant conduit à un changement de majorité. Pour faciliter l’analyse, nous n’avons retenu que des communes où la gauche l’avait emporté en duel au second tour en 2008 et où elle a perdu cette année dans les mêmes conditions. 

Premier enseignement de ce tableau, si toutes ces villes ont basculé de gauche à droite, la proportion des voix perdues par la gauche entre 2008 et 2014 n’a pas du tout été de la même ampleur partout. A Angoulême, à Caen, à Villepinte ou à Brive, la gauche a été victime d’une véritable hémorragie puisqu’elle a perdu environ un tiers de ces électeurs en six ans. A l’inverse, les pertes ont été limitées à Toulouse voire nulles à Argenteuil.   

Second constat, dans des villes comme Angoulême, Caen, Brive, Colombes, Angers ou Toulouse, les pertes de la gauche ne se retrouvent que très partiellement dans les gains de la droite. Ainsi à Brive par exemple, la gauche a perdu 3641 voix par rapport à 2008 mais la droite n’en a gagnées que 810, soit 22 % seulement des voix ayant quitté la gauche. La différence, très importante, s’établit à 2831 électeurs qui ont abandonné la gauche sans voter à droite mais en s’abstenant ou en votant blanc. Dans ces villes, c’est d’abord la grève des urnes d’une part importante du peuple de gauche qui a causé la défaite, le passage de gauche à droite d’une frange de l’électorat venant amplifier le mouvement de bascule.

A l’inverse, dans d’autres communes, comme Eaubonne, Aulnay-sous-Bois, Cesson-Sévigné ou Anglet, la victoire de la droite s’explique davantage par sa capacité à mobiliser son propre électorat (qui s’était assez abstenu en 2008) et à conquérir ou à reconquérir des électeurs qui avaient voté à gauche en 2008. Le cas d’Aulnay-sous-Bois est assez emblématique : la gauche perd 2518 électeurs quand la droite en gagne 2816, la traduction en pourcentages étant sans appel, le rapport de force gauche/droite passant de 50,4 / 49,6 en 2008 à 39,3 / 60,7 aujourd’hui.


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