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Quand la science se demande si nous sommes programmés pour nous croire immortels
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Pour toujours

Si aucune étude ne prouve que notre âme est éternelle, des chercheurs américains ont montré que les enfants seraient en tout cas naturellement portés à le croire.

Patrick Jean-Baptiste

Patrick Jean-Baptiste

Patrick Jean-Baptiste est neurophysiologiste de formation et journaliste scientifique. Il a collaboré aux cahiers et aux « hors séries » de Science et Vie. Il est l'auteur du livre La biologie de Dieu.

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Atlantico : Des chercheurs américains de l'université de Boston ont analysé les idées que se faisaient les enfants d'eux-mêmes avant la conception. Il résulte de cet examen que les enfants pensent qu'une partie d'eux est éternelle. Sommes-nous donc programmés pour nous croire immortels ?

Patrick Jean-BastienIl s'agit d'une question compliquée. Apparemment, les chercheurs américains ont démontré que lors du développement naturel ou présumé comme tel dans l'enfance, naissait la croyance selon laquelle, avant la conception, l'enfant était déjà là et pouvait ressentir des émotions et des désirs mais pas de pensées ni de souvenirs de cette période.

Intuitivement, ils avaient la croyance qu'ils étaient conscients, du moins qu'une partie de leur personnalité émotive préexistait à leur naissance.

Après est-ce que ça veut dire qu'on se croit immortel ? La conception même d'immortalité n'a pas grand sens à cinq ans. On interprète simplement des pensées d'enfants.

L'étude suggère que la partie immortelle ne serait pas notre capacité à raisonner sinon nos émotions et nos désirs. Peut-on en conclure que nous sommes ce que nous ressentons ? Comment expliquer que l'on puisse ressentir que l'essence d'une personne transcende son corps ?

Non, on ne peut pas conclure que nous sommes ce que nous ressentons. On peut conclure du travail des chercheurs américains – à compter qu'il soit indiscutable – que les enfants entre 5 et 12 ans résument leur personnalité à leurs émotions. Que toutes les notions un peu plus complexes comme le psychobiologique et l'épistémique sont moins prévalentes chez les enfants. Ça ne veut pas dire que nous ne sommes que des émotions.

Antonio Damasio avait montré dans les années 1990 qu'on ne pouvait pas distinguer la cognition des émotions. Ça avait donné naissance à l'élaboration du concept de quotient émotionnel (au regard du quotient intellectuel). Il est certain que nous ne sommes pas dénués d'émotions par définition, mais nous avons des outils culturels qui nous permettent de nous abstraire de nos émotions.

Les enfants, assez tôt, commencent à développer une théorie de l'esprit. L'idée est que, rapidement dans le développement cognitif, les enfants développent des intentions et des émotions relatives aux autres. On va ainsi avoir une théorie de l'esprit qui permet de deviner les émotions, les attentes et les intentions des personnes en face de nous. C'est le propre de l'humanité. A partir de là, cette théorie a tendance à s'appliquer à des choses qui n'ont pas forcément un esprit et qui ne sont pas forcément chronologiques. Lorsque les chercheurs américains ont montré à des enfants des desseins de femmes enceintes, en leur disant ça c'était eux qui étaient représentés avant leur naissance, il est évident que les enfants allaient inférer une théorie de l'esprit à leur être avant la naissance. Ça ne veut pas forcément dire qu'ils sont persuadés que leur âme préexistait à leur corps mais c'est la question qui induit la réponse. Ils s'attribuent à eux même une théorie de l'esprit.

A partir de quel âge peut émerger cette idée que l'âme existe sans le corps ? Dans quelle mesure cette idée résulte-t-elle de l'influence de notre entourage ?

Ce n'est pas évident. Il y a clairement une part d'influence culturelle. A cinq ans, les enfants n'ont pas une définition de ce qu'est l'âme. On est vraiment dans des réflexions de nature philosophique et religieuse. Vers 5 ans, les enfants sont perméables à l'espace culturel qui les entoure et vont acquérir ces définitions de l'âme. A partir du moment où ils parlent et où ils sont en interaction, ils vont absorber des définitions de nature culturelle.

L'influence de l'environnement est très importante, selon qu'elle émane de la mère, des frères, des sœurs, etc. On sait par exemple que les enfants en privation sensorielle, par la maltraitance notamment, ne pourront pas parler et vont être en grave déficit affectif et cognitif. Si on était câblé pour ce genre de croyance, elles devraient se développer aussi.

Cette programmation à nous croire immortels est-elle indépendante de notre culture et de notre religion ?

Encore une fois, à partir du moment où il y a des influences, l'être humain a une tendance à croire en l'âme. Elle est espérée par notre nature.

Dans les religions monothéistes, la conception représente le début. Dans les religions qui ont une culture de la conception cyclique de la vie, comme le bouddhisme ou l'indouisme, l'âme survit et va se réincarner. Si la programmation à nous croire immortel était naturelle, pourquoi ne serait-ce pas universel ?

Le fait d'être programmés pour nous croire immortels nous a-t-il aidé à nous construire plutôt que de sombrer dans la dépression et le renoncement ? Quel est le rôle de cette croyance en période de deuil ?

Il est possible que ce soit un moyen de s'aider à affronter les souffrances psychologiques. C'est une expérience à laquelle on s'accroche jusqu'à y croire. C'est naturel. On a cette tendance à toujours vouloir parier sur le peu probable.

La vraie question est de savoir si on est câblé pour envisager une existence avant la vie qui viendrait en complément d'une croyance à après la vie. Quelle est la dimension de la personnalité préexistante ? Ce serait alors une dimension émotive et purement affective. L'être humain continue de se développer, ses expériences et ses lectures vont lui permettre d'affiner ses croyances et de perfectionner ses connaissances. Il faut avoir en tête que l'Homme est très influençable. Ce qui nous distingue des primates d'ailleurs, c'est qu'on est en quelque sorte maintenu dans une enfance permanente.

Propos recueillis par Marianne Murat

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