Vers une pénurie de généralistes même à Paris : pourquoi nous n'avons pas fini de voir les effets du numerus clausus<!-- --> | Atlantico.fr
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800 médecins devront s'installer à Paris pour compenser les départs dans les cinq ans à venir.
800 médecins devront s'installer à Paris pour compenser les départs dans les cinq ans à venir.
©Reuters

C'est grave docteur ?

Selon l'agence régionale de santé d'Ile-de-France, dans les cinq ans à venir, 800 médecins devront s'installer à Paris pour compenser les départs.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Alors que la dette sociale explose, que la performance de notre système de soins se dégrade le sujet qui préoccupe les hiérarques de la santé publique est la démographie médicale. Les médias ont emboité le pas en créant le concept de déserts médicaux, les uns et les autres  ne tarissent pas de prévisions catastrophiques sur le thème du manque de médecins.

Voilà 40 années consécutives que l’Etat planifie avec une illusoire précision mais surtout de manière malthusienne le nombre d’étudiants autorisés à entrer en 2ème année de médecine. Il a organisé minutieusement une pénurie censée diminuer les dépenses de soins. Et comble de cette planification ce sont les mêmes agents de l’Etat qui rédigent aujourd’hui des rapports pour décrire au chiffre près la pénurie qu’ils ont créée et alerter sur le manque de médecins à venir. Le numerus clausus (NC) est un échec.

Les Français inquiets de voir les médecins partir à la retraite sans remplaçant se plaignent en quelque sorte des conséquences des causes qu’ils chérissent : un système étatisé, administré par des syndicats, rigide et sans perspective qu’ils croyaient être le meilleur du monde.

En effet depuis 1971 ce sont des générations d’étudiants brillants et travailleurs ayant obtenu des notes très au dessus de la moyenne au concours à qui l’Etat a interdit d’embrasser ce métier passionnant. Pendant tout ce temps et malgré de nombreux signes avant coureurs, aucune réflexion critique, aucune inflexion significative, le NC a fait l’unanimité des partis politiques au pouvoir. Elus et hiérarques ont maintenu le robinet très fermé.

Mais ce n’est pas tout. En plus de l’erreur gigantesque sur le nombre de médecins aucune étude n’a été entreprise pour déterminer si le mode de sélection contribuait à la qualité des soins. Autrement dit personne n’a entrepris de démontrer que les épreuves actuelles, très inspirées des décennies passées où la mémoire jouait un rôle clé avant d’acquérir l’expérience, étaient plus efficaces qu’un tirage au sort des candidats…

Quoiqu’il en soit un étudiant en médecine, après avoir réussi le concours a peu de chance de vivre la passion professionnelle qui l’anime. L’introduction en fin d’études de l’examen classant national crée un nouvel arbitraire celui du millième de point qui peut faire basculer un étudiant de la cardiologie à la psychiatrie. Tout ceci est à l’évidence très inefficace car la passion pour une spécialité joue un rôle moteur dans la formation et ensuite l’exercice de la médecine.

Ainsi nos étudiants à qui on démontre l’efficacité de la médecine basée sur des preuves sont légitimement troublés de voir combien les méthodes de sélection en sont dépourvues.

Que proposent aujourd’hui ceux qui ont organisé ce sacrifice ? D’importer massivement des médecins qui n’ont pas passé et pour beaucoup n’auraient pas réussi le concours d’entrée en deuxième année. De surcroît les capacités à parler le français ne sont pas bien évaluées… Cette vague d’immigration médicale est en cours mais elle ne résoudra pas le problème pour plusieurs raisons liées à la transformation de la médecine.

Que faire ? Les solutions ne manquent pas et sont déjà en marche chez nos voisins européens.

1/ il est urgent de laisser les facultés de médecine gérer le nombre de médecins qu’elles estiment pouvoir former. Leurs équipes sont en effet parfaitement capables de déterminer les besoins en soignants et aussi en médecins non soignants (recherche, industrie et régulation). C’est un pas vers la société de confiance ou l’état fait respecter les règles de l’état de droit mais laisse la société civile gérer ses affaires.

2/ La contre partie de la liberté c’est la responsabilité et il est nécessaire d’abandonner le conventionnement automatique. C’est en partie ce conventionnement automatique et le monopole de l’assurance maladie qui sont à l’origine de cette planification désastreuse.

3/ Déléguer massivement les tâches aux autres professionnels de santé et développer massivement l’e-médecine.
Nous avons tous les rapports pour ce faire mais rien n’a été fait.

4/ Diminuer la durée de formation des médecins qui est beaucoup trop longue notamment en médecine générale. L’entrée en pratique est trop tardive et cela représente un cout considérable supporté par les médecins eux mêmes et leur famille. Dans le cadre de l’autonomie des universités des programmes accélérés sont possibles en maintenant une excellente qualité de soins.

5/ Modifier la sélection. Il est essentiel de régionaliser les choix de spécialité et de renforcer les processus d’évaluation des candidats par l’entretien, les réorientations en cours de spécialité et un contrôle final c’est à dire vérifier les connaissances et les aptitudes a posteriori plutôt que les capacités a priori. Il faut privilégier la formation logique, critique, de reporting et d’évaluation plutôt que la mémorisation et l’accumulation

6/ Jouer sur l’offre et la demande pour mieux répartir les médecins. Il est totalement absurde que les tarifs de l’assurance maladie soient les mêmes à Paris qu’à Tautavel un charmant village des Corbières car les couts de fonctionnement sont très différents. Il faut que les caisses d’assurance maladie puissant moduler les tarifs pour créer une offre attractive dans les territoires qui le nécessitent. Ce n’est pas à l’état de se substituer à elles.

Je prévois toutefois que rien ne sera fait dans ce sens. Un député lors d’une conférence récente sur le sujet ne pouvait s’empêcher d’affirmer : "il faut peut être augmenter un peu le NC mais il faut surtout continuer à réguler". Preuve que les changements urgents et nécessaires seront difficiles à conduire avec ceux là mêmes qui ont créé cette situation. Le sacrifice des générations, la castration des passions va se poursuivre et là aussi l’émigration privera le pays des plus audacieux.

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