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François Hollande boycotte Poutine mais fait ami-ami avec le roi d'Arabie saoudite : petit état des lieux des droits de l'homme et de la femme au royaume wahhabite
©Reuters

Beaux principes

Motivée par l'espoir de décrocher des marchés pour son industrie, la politique française en Arabie saoudite foule aux pieds ses propres valeurs et principes.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : En se rendant en Arabie Saoudite, le président Hollande souhaite marquer un rapprochement avec l'une des puissances les plus influentes du Proche-Orient. Ne peut-on pas trouver ce soutien à un Etat théocratique paradoxal quand on sait que l'Elysée a condamné à plusieurs reprises des régimes jugés "anti-démocratiques" comme la Russie ou la Syrie ?

Alain Chouet : Il me paraît difficile de parler de "rapprochement" avec un pays dont nous ne nous sommes pas éloignés, surtout ces dernières années, et dont nous partageons la plupart des positions et initiatives internationales. Si l’Arabie est aujourd’hui considérée comme "l’une des puissances les plus influentes du Proche-Orient" c’est essentiellement par défaut et parce que les vraies puissances de la région connaissent des périodes de troubles intenses. La Libye, l’Irak, le Soudan, le Yémen et la Syrie ont sombré dans la confusion. L’Egypte, la Tunisie et l’Algérie peinent à sortir de leurs crises respectives et ont suffisamment à faire avec leurs problèmes intérieurs.
Débarrassée des ténors, certes peu vertueux, du monde arabe, l’Arabie n’a eu aucun mal grâce à ses pétrodollars à s’assurer le contrôle de la Ligue Arabe et à en faire un instrument de pression au service de ses propres objectifs sur les Occidentaux et l’Onu.
Je n’ai pas de commentaire à faire ni de jugement à porter sur la diplomatie française. Je suis cependant bien obligé d’observer comme tout le monde qu’elle soutient ici ceux qu’elle combat ailleurs et qu’elle exige avec véhémence de certains ce qu’elle se refuse à demander à d’autres. Ce n’est pas très lisible et cela ne contribue pas à instaurer un climat de confiance avec des interlocuteurs qui ne peuvent manquer d’observer que nous brûlons un jour ce que nous adorions la veille.
La politique française vis-à-vis de l’Arabie a toujours été dominée par l’espérance - très souvent déçue - de la signature de très gros contrats d’armement, de fournitures (produits de luxe, agro-alimentaire) et d’équipement (BTP, TGV, etc.). Une certaine forme de désengagement américain vis-à-vis de son protégé saoudien redonne sans doute quelque vigueur à ces espoirs. Le problème est de savoir si ces espoirs sont suffisamment consistants pour justifier que nous foulions aux pieds nos propres principes et nos valeurs.

Même si elle se manifeste timidement, est-il possible de faire un état des lieux de l'opposition politique à la famille Saoud ? Quel traitement lui est réservé actuellement ?

L’Arabie Saoudite est le seul pays au monde à être désigné sous le nom de sa famille régnante…. C’est dire à quel point ce pays est une propriété privée ne laissant aucune place à l’intérêt général.
Dans un pays dont les gouvernants réduits à une grande famille se réclament d’une légitimité "divine", refusent toute expression pluraliste, tout examen critique et concentrent tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), il n’y a pas de place pour une opposition politique. On ne peut opposer les valeurs individualistes, séculières et matérialistes des Lumières à un régime qui se place sous la couverture de Dieu et à une caste de gouvernants qui bénéficie à titre familial sur simple demande, depuis le Traité du Quincy signé en 1945 et renouvelé jusqu’en 2065, de la protection de la plus puissante armée du monde.
La seule voie de contestation ne peut que passer par la violence et par le fait d’être "plus royaliste que le roi", c'est-à-dire plus fondamentaliste et plus intégriste que la famille régnante. Ce n’est pas un hasard si de nombreux cadres de la violence islamiste dans le monde sont issus de familles bourgeoises - souvent immigrées du Yémen ou du Levant - qui font tourner la machine économique d’Arabie sans avoir le droit de dire leur mot en politique. Le premier objectif désigné d’Al-Qaïda dans son texte fondateur de 1998 était la famille Saoud et, par voie de conséquence, son protecteur américain.

La question de la conduite des femmes est un sujet qui revient fréquemment sur le devant de la scène, des militantes saoudiennes ayant appelé à une nouvelle manifestation le 28 décembre 2013. Peut-on imaginer sérieusement que des avancées soient obtenues en la matière ?

C’est une question en apparence un peu "folklorique" mais très symbolique de l’exaspération d’une part de la société saoudienne qui a accès à la richesse et à la modernité mais ne peut en profiter du fait des contraintes politiques, morales et sociales imposées par la famille au pouvoir pour préserver sa légitimité religieuse d’ailleurs incertaine. En effet la famille Saoud a usurpé en 1926 par la violence armée la garde des lieux saints de l’Islam confiée au 7ème siècle par Mahomet à la branche Hachémite de sa famille.
Les Saoud feront peut-être quelques concessions de forme à des revendications qu’ils considèrent comme marginales s’ils estiment que cela préserve l’essentiel. Mais, comme ils l’ont toujours fait, ils se battront, au besoin par la plus extrême violence, contre toute dérive qui écornerait même de façon minime leur pouvoir familial.

Plus largement, la famille Saoud conserve-t-elle toujours un pouvoir aussi important sur les plans politique et économique ? 

La "famille" dispose encore de tous les pouvoirs sur le territoire de l’Arabie. Mais elle a un double problème intérieur et extérieur.
D’abord elle est divisée politiquement entre ses différentes branches. Les uns, comme l’actuel roi Abdallah, estiment que la survie à long terme de leur régime passe par plus d’ouverture et de modernité tant sur le plan intérieur qu’international. Mais ils sont minoritaires et leur chef de file qu’est le monarque en titre est vieux et fatigué. D’autres, comme les fils du Prince Sultan - et en particulier Bandar ben Sultan, ancien Ambassadeur à Washington et chef des services spéciaux - restent crispés sur le principe d’un pouvoir absolu de leur famille adossée au protecteur américain.
D’autre part, l’Arabie est soumise au double défi d’une contestation arabe généralisée des pouvoirs autoritaires d’un côté et, de l’autre côté, d’une montée en puissance d’un Iran qui sort progressivement de ses "années de plomb", reprend sa place comme grande puissance régionale et conteste aussi la légitimité religieuse de la famille.
Face à cette double menace, l’Arabie réagit de façon opportuniste mais pas très cohérente qui démontre son désarroi. Par peur d’être dépassée dans le monde musulman sunnite, elle soutient maintenant des régimes autoritaires et répressifs après avoir souvent contribué à leur chute comme en Egypte. En revanche, face à l’Iran et à ses alliés chiites comme en Irak, en Syrie ou au Liban, elle soutient ouvertement la subversion djihadiste ou intervient directement avec son armée pour mater des mouvements de contestation comme au Bahraïn.
Les évolutions régionales récentes ont propulsé l’Arabie des Saoud sur le devant de la scène internationale. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour une famille dont le pouvoir gagnait à demeurer caché.

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