Quand l'intégration devient l'inclusion sociale : quelle sera la facture pour la France de la marche forcée vers le multiculturalisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vendredi, le Premier ministre a tenté de désamorcer le tollé provoqué par la publication d'un rapport proposant de repenser toute la politique d'intégration.
Vendredi, le Premier ministre a tenté de désamorcer le tollé provoqué par la publication d'un rapport proposant de repenser toute la politique d'intégration.
©Reuters

Mutations

Le rapport sur l'intégration remis à Jean-Marc Ayrault préconise, entre autres, l'autorisation du voile à l'école, la création d'un délit de harcèlement racial et d'une "Cour des comptes de l'égalité".

Atlantico : Le rapport sur l'intégration remis récemment au Premier ministre suscite la polémique. Celui-ci préconise notamment : l'autorisation du voile à  l'école, la création d'un délit de harcèlement racial ou d'une "Cour des comptes de l'égalité". En 2012, Jean-Marc Ayrault avait souhaité un "renouvellement en profondeur des questions d'intégration". En réalité, le Premier ministre semble poursuivre la conversion à marche forcée de la France au multiculturalisme. Quelles sont les conséquences politiques et culturelles concrètes de cette mutation sur la société ? Quelle est la facture de cette orientation ?

Guylain Chevrier : Ce rapport intervient dans un contexte où on vient de mettre un point à l’existence du Haut Conseil à l’Intégration, où l’Observatoire National de la Laïcité créé cette année explique par la voix de son président qu’il n’y aurait aucun problème avec la laïcité dans notre pays (sic !). On en vient maintenant avec ce rapport à proposer l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique, la mise en place d’un délit de harcèlement racial et de revoir les programmes scolaires dans le sens d’y faire une place systématique aux identités et à leurs diverses histoires en lieu et place de l’histoire de notre pays tombé aux oubliettes… Il n’y a évidemment dans ces différents événements aucun hasard, sinon un choix de société totalement contraire à tout ce qui a à voir avec notre République laïque.

Cette vision est tout simplement en totale opposition avec notre pacte républicain que le principe d’intégration prolonge, car ce pacte est fondé avant tout sur le principe d’égalité devant la loi de tous, quelle que soit l’origine, la couleur ou la religion. C’est un nouveau paradigme qui vise à remettre en cause le principe d’égalité pour y substituer celui de discrimination positive. On sait où mène le droit à la différence, à la différence des droits. La suppression du principe d’intégration, c’est tout simplement chercher aussi à faire sauter une sorte de fusible face aux problèmes que pose une économie en crise face à laquelle le gouvernement ne sait plus quoi faire pour assurer l’avenir. On rabat sur l’intégration la responsabilité de la mise en panne pour une part de l’ascenseur social alors que les responsabilités sont ailleurs.

Michèle Tribalat : La création d’un délit de harcèlement racial serait là pour "contraindre à la non désignation" des origines. La différence serait partout, mais il ne faudrait jamais l’incarner dans le langage. M. Ayrault poursuit sur la lancée de ses prédécesseurs puisque je vous rappelle que le modèle d’intégration européen adopté par l’UE en 2004 est déjà un modèle multiculturaliste.  C’était aussi le cas de l’intégration vue par le Haut conseil à l’intégration en 1989. Toutes les cultures et manières de vivre sont à égalité et la culture et les manières de vivre de la société d’accueil n’ont aucun privilège. Tout ce qui rendait familière la vie ordinaire est frappé d’incertitude. Aucun héritage n’est à préserver. Il faut revisiter l’histoire pour que tous les présents s’y retrouvent rétrospectivement. Il n’y a plus une histoire, mais des histoires particulières, une langue, mais des langues de France, le français ne tenant sa position dominante que de son usage majoritaire. C’est un reformage complet du peuple français qu’il s’agit d’opérer. D’où le côté orwellien des propositions. Une telle entreprise risque de rendre beaucoup de Français enragés et d’approfondir encore les divisions. Ils auront désormais l’impression d’avoir,  en plus des difficultés qu’ils connaissent du fait de la collision des modes de vie dans la vie de tous les jours, l’État contre eux.

>>>> Sur le même sujet : Intégration : les 5 rapports qui poussent la France sur la voie du multiculturalisme choisi sans le dire trop haut

Jean-Louis Auduc : On ne peut dialoguer entre cultures que si l’on a conscience de son identité culturelle, de son contenu… Sinon, cela sonne creux. Avec des habitants ni d’ici, ni d’ailleurs, le dialogue inter-culturel est souvent un leurre , basé sur des images culturelles, religieuses ou identitaires construites au mieux par les médias, au pire par des démagogues de tous horizons.

Cette orientation favorable au multiculturalisme est-elle un danger pour l'unité du pays ? N’est-elle pas une menace pour le vivre ensemble?

Guylain Chevrier : Alors que la France souffre de ne plus se sentir partager un destin commun, brouillé par les inégalités sociales qui se développent sous le signe de la mondialisation, on appuie dans le sens de la promotion des identités ethniques, religieuses et culturelles, rajoutant des divisions qui sont mortelles pour toute idée de former une nation. C’est le sentiment même d’appartenance à une communauté nationale qui est nié par ce rapport qui ne voit qu’assignation des individus à des groupes communautaires selon une logique des identités suicidaire pour la qualité de notre vivre-ensemble. Prédestiner ainsi les individus à des groupes selon une origine, une culture, une religion, c’est les assigner par avance à une appartenance qu’ils ne seront pas en position de choisir. C’est créer toutes les conditions d’une atteinte aux libertés des individus, puisque cette logique des communautés par prédestination les en dépossèdent. C’est précisément l’égalité d’avoir tous les mêmes droits qui crée les conditions d’un libre choix individuel.

On parle de remplacer le principe d’intégration par celui d’inclusion sociale qui, de fait, entend prendre en compte l’inclusion des individus à travers un groupe de reconnaissance en filiation avec les traits propres d’une immigration selon l’origine. C’est l’installation d’une société multiculturelle dont on connait les résultats, Madame Merkel en Allemagne ou Monsieur Cameron au Royaume-Uni, ont il y a peu, eux-mêmes parlé à ce propos d’échec. Une société fondée sur la séparation ethnico-identitaire n’est pas sans problème et refuse le mélange des populations. Une société du mélange qui fait justement de la France une terre d’accueil et d’asile, la première au monde.

La généralisation des accommodements raisonnables que sous-tend la démarche de ce rapport, c’est la certitude de faire voler en éclat le vivre-ensemble. C’est une attaque frontale contre la laïcité qui fait prévaloir le bien commun, l’intérêt général sur les différences tout en les faisant respecter, pourtant un marqueur historique de la gauche socialiste. Au lendemain de la mise en place d’une Charte de la laïcité à l’école, on se demande ce que l’on cherche avec ce coup de tonnerre qui sonne comme une marche arrière toute de l’histoire. C’est notre droit social qui a été conquis selon une pensée universaliste voulant les mêmes droits pour tous dont on sape les fondements. C’est aussi un encouragement incroyable au holdup que le FN entend faire sur la laïcité.

Oui, notre pays est en danger, si ce rapport était mis en œuvre, des équilibres déjà fragiles viendraient sans aucun doute à se rompre, et c’est notre cohésion sociale qui se trouverait menacée.

Jean-Louis Auduc : Il y a là de véritables enjeux, consistant notamment à créer un sentiment d’appartenance à un territoire et à un ensemble sociale. Je pense en particulier à ces jeunes qui se sentent, quelle que soit l’origine de leur famille, ni d’ici, ni d’ailleurs. Ces habitants se sentent dans un territoire sans racines. Ils sont quasiment hors-sol.

Dans cette logique, il est fondamental dans le cadre de projets urbains d’avoir le souci de faire avec, et non pour. La ville peut être l’espace de citoyenneté de proximité permettant de donner du sens non seulement au territoire, mais aussi à la notion d’intérêt général, qui n’est pas la somme des intérêts particuliers.

La laïcité d’aujourd'hui, quant à elle, ne doit pas être disqualifiée ou réduite à une simple référence. Elle est plus que jamais importante en étant mise au défi de forger l’unité tout en respectant la diversité de la société.

Forger un sentiment commun d’appartenance : La laïcité peut être le levain de l’intégration de tous dans la société, elle équilibre reconnaissance du droit à une identité propre et effort nécessaire pour tisser les convictions individuelles avec le lien social. L’apprentissage de la citoyenneté dans notre société à cultures et origines diverses suppose qu’on apprenne à vivre ensemble. En articulant unité nationale, neutralité de la République et reconnaissance de la diversité, la laïcité crée par-delà les communautés traditionnelles de chacun la communauté d’affections, cet ensemble d’images, de valeurs, de rêves et de volontés qui fondent la République.

Comme le disait Renan au XIXe siècle : "L’existence d’une nation est un plébiscite permanent comme l’existence d’un individu est une affirmation perpétuelle de la vie."

L’enjeu de la laïcité, c’est la construction d’un projet collectif, approprié par tous, reposantsur un vivre ensemble, mettant en avant les valeurs, les savoirs faire, les savoirs qui réunissent et non ce qui peut diviser, et qui ne nie pas d’où l’on vient et ce qu’on est , mais qui sache où l’on va et sur quelles valeurs.

Mariage gay, prostitution, égalité homme/femme sur le modèle scandinave, au-delà de la question de l'intégration, le gouvernement semble multiplier les réformes sociétales au nom de l'égalité. A quel prix se font ces changements ?

Guylain Chevrier : Faire des questions sociétales l’ossature d’une politique nationale, c’est le risque d’un éclatement aussi ici en une multitude d’intérêts particuliers, c’est une autre façon de flatter la logique des identités.

La société française semble aujourd'hui plus divisée que  jamais. Peut-on parler de fracture sociétale qui viendrait s'ajouter à la fracture sociale ? L'incapacité des politiques à répondre aux question économiques et sociales explique-t-elle leur acharnement  à vouloir changer la société en profondeur ?

Guylain Chevrier : Il est certain qu’en ces temps de crise des repères communs, la multiplication des questions sociétales dans le débat public à l’initiative du gouvernement ne fait que jeter un peu plus de confusion. Je ne crois pas que cela puisse fonder un projet politique pour un gouvernement, c’est encore entendre répondre à côté des questions essentielles qui taraudent notre société, qui sent s’éloigner toute idée de destin commun et de valeurs communes.

Le modèle républicain, bien que remis en cause depuis une quarantaine d'année a longtemps servi de référence. S'agit-il d'une hypocrisie des élites qui n'assument pas leur politique ? Le peuple aurait-il pu, et dû être consulté sur ce changement de modèle ?

Guylain Chevrier : Le modèle républicain est un formidable moteur à intégrer. Ce fameux creuset français a permis à des générations d’immigrés de trouver toute leur place dans notre société, mais pas à n’importe quelle condition. L’adhésion aux valeurs républicaines fonde dans le Code civil la possibilité de la naturalisation. Il en va du fait que l’égalité de traitement de chacun devant la loi reste supérieure aux particularismes de toutes sortes, qui, dans la sphère privée ne connaissent pas d’entrave à partir du moment où ils respectent la dignité de l’être humain et se droits fondamentaux.

Michèle Tribalat : Les évolutions se sont faites à bas bruit. Je suis sûre que peu de Français connaissent le tournant pris avec l’UE en 2004. La condition d’assimilation figure pourtant encore dans notre législation sur la nationalité. Au fond, l’assimilation n’était pas compatible avec la crainte suscitée, dans les élites politiques et culturelles du pays, par la condition d’asymétrie qu’elle suppose. Il y aurait fallu une fierté mesurée mais attractive, une sympathie à l’égard de notre héritage qui ont été volontairement abandonnés de peur de retomber dans les travers du nationalisme. Cet abandon de l’amour de soi s’est accompagné de ce que Daniel Sibony appelle la "culpabilité narcissique". Tout est toujours de notre faute. Nous nous honorons d’être à l’origine des malheurs des autres. C’est un très vilain cadeau qui empêche que l’Autre magnifié soit contraint de régler les problèmes qui sont les siens. Il faut y ajouter la certitude qu’ont les dirigeants européens que l’avenir démographique de l’Europe passe par l’immigration. Dans cette représentation de l’avenir, les populations d’origine européenne n’ont pas forcément vocation à y rester majoritaires. Accueillir la diversité qui vient avec tolérance et respect, c’est ce à quoi il faut habituer les Européens. Nous sommes très loin de l’idée de consulter le peuple puisque tout cela se réalise à petit feu, en catimini, sans que les médias ne prennent la peine de l’informer. Le peuple est mis devant le fait accompli et on lui demande de s’en accommoder.  

Dans un contexte de mondialisation et de bouleversement démographique, ce modèle n'était-il pas contraint d'évoluer ? Comment aurait-il pu le faire autrement ?

Guylain Chevrier : On ne peut faire abstraction, comme le fait ce rapport, des enjeux des flux migratoires et de leur contrôle autant que possible, car une société redistributive comme la nôtre peu aussi atteindre ses limites. Alors que nombreux sont ceux qui financent des biens sociaux qui bénéficient à d’autres, chacun doit se sentir garanti de la conscience des responsabilités que cela suppose pour ceux qui gouvernent la nation. Sinon, on risque de voir apparaître une demande massive d’en finir avec un modèle social généreux et humaniste qui est le nôtre, ce qui serait la dernière des catastrophes. Si notre politique d’immigration doit évoluer c’est vers plus de responsabilisation de chacun au regard de ce que l’on met en commun pour faire société, immigré ou non, c’est-à-dire de faire que tous se sentent investis de la même responsabilité, que les droits ne soient pas déliés du sens que leur donne la notion de devoirs, au sens qu’y donne la citoyenneté, ce fondement de notre modernité démocratique.

Michèle Tribalat : Vous voulez dire que la démographie, les flux migratoires sont un peu comme le climat. On n’a aucune prise et on ne peut que s’y adapter. Tout ne serait qu’un enchaînement de fatalités sur lesquelles personne n’a de responsabilité. Il y a pourtant eu des décisions politiques qui ont été prises, des conventions et chartes signées.  Les décisions européennes ne nous ont pas été imposées. Nos dirigeants ont été partie prenante. On aurait pu imaginer un dialogue permanent avec le peuple qui lui aurait laissé une pluralité d’options.  Rien ne nous obligeait, rien ne nous oblige encore, tant que le gouvernement n’a pas refondé la politique d’intégration, à adopter une position aussi extrême que celle qui se profile dans les différents rapports rendus au Premier ministre. Quel homme politique a posé les enjeux, les difficultés et les options sur la table ? Je crois que les Français sont irrités par la politique du fait accompli, c’est-à-dire  une succession de décisions qui conduisent à un entonnoir avec solution unique à la sortie.

Jean-Louis Auduc : Il est important que toute collectivité, que la société s’interroge sur ce qui peut redonner du sens à du collectif.

N’avons-nous pas trop rapidement abandonné des rites sociaux collectifs ? La construction de la personnalité, le sentiment d’appartenance à un groupe, à un établissement, à un territoire passe par des rites.

S’il n’y a plus de rites organisés par la collectivité, ceux-ci passeront par d’autres : la bande, les groupes ethniques ou religieux…

Il s’agit de redonner espoir à des jeunes et à leurs familles, de leur montrer qu’ils ne sont pas fatalement assignés à résidence à perpétuité dans l’assistanat.

Les pratiques de citoyenneté doivent donc reposer sur :

- des valeurs non négociables qui sont les fondements d’un fonctionnement social démocratique : refus du racisme ou du sexisme, respect des droits de l’homme, etc.

- une réflexion sur ce qu’est le bien commun, l’intérêt général, qui n’est pas la somme des intérêts particuliers, fusse d’une communauté particulière ;

- des pratiques de médiation concernant la gestion des conflits dans un cadre clairement identifié et reconnu par tous les partenaires.

- un apprentissage de l’argumentation, du débat, base de la vie démocratique. La minorité a le droit de conserver ses idées, mais elle doit accepter les lois, les règles, les règlements définis par la majorité.

Ces pratiques doivent reposer également sur une laïcité présentée, explicitée, développée.

Donner du sentiment d’appartenance à tous, en s’inscrivant  dans la construction d’un projet collectif commun, d'un avenir ensemble, cela doit être au cœur des politiques publiques.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio 

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