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Le cerveau posséderait non pas une, mais deux horloges internes.
Le cerveau posséderait non pas une, mais deux horloges internes.
©Reuters

La course au temps

Une récente étude publiée dans le Journal des neurosciences de l'Université de Californie a voulu remettre en cause nos connaissances à propos de la perception que nous avons du temps qui passe. En insistant sur les rôles du striatum et de l'hippocampe cérébral, l'étude explique pourquoi nous sommes en mesure de ne pas trop nous éterniser sous la douche le matin ou au petit-déjeuner.

Sylvie Droit-Volet

Sylvie Droit-Volet

Sylvie Droit-Volet est professeur des universités en psychologie. Elle est membre du  Laboratoire CNRS (UMR 6024) de psychologie sociale et cognitive à l'université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand où elle dirige une  équipe CNRS "Emotion, affect et cognition". Depuis sa thèse de doctorat en psychologie, elle étudie la perception du temps chez l'être humain et les mécanismes à l'origine de ses distorsions du temps, de ce qu'on appelle les illusions temporelles. Ses études portent notamment sur les variations des conduites temporelles tout au long de la vie,  chez les enfants plus particulièrement, mais aussi chez les jeunes adultes ou les personnes âgées.

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Atlantico : De récents travaux sur l'estimation du temps, menés par des neurologistes américains, laisseraient sous-entendre que le cerveau posséderait non pas une, mais deux horloges internes, dont l’une nous permettrait d'avoir conscience du temps qui passe. En quoi est-ce surprenant ?

Sylvie Droit-Volet : Cette découverte n’est en rien surprenante, dans la mesure où il n’existe aucunement deux systèmes d’horloge interne. Par ailleurs, il s’agit là d’une information que la communauté scientifique sait depuis longtemps. Il est ici question en fait de la mémoire épisodique dont les propriétés sont à la fois temporelles et spatiales. Ce qui a été mis en évidence en réalité, c’est le rôle important joué par l’hippocampe dans le cadre de cette mémoire épisodique pour des périodes de longue durée, de plusieurs minutes. L’article faisant référence à ce rôle peut laisser prêter à confusion car les Américains sont généralement très doués dans les formulations choisies lorsqu’ils souhaitent remettre au goût du jour certaines recherches, suivant ce qui est dans l’air du temps au sein de la communauté scientifique. J’insiste donc sur le fait que l’accent est ici mis sur l’aspect temporel de la mémoire épisodique.

Le striatum est la partie du cerveau, au cœur de notre horloge interne, en charge de cette mesure du temps qui passe. Des expériences ont révélé qu'un dysfonctionnement de cette région était attesté chez les individus victimes de la maladie de Parkinson, qui avaient donc du mal à déterminer le temps qui passe. Une action directement ciblée sur le striatum permettrait-elle donc à terme de régler les troubles liés au temps ? Dans quelle mesure ? 

Plus que le striatum, c’est tout un système dans son ensemble, tout un ensemble neuronal, qui est à considérer, impliquant à la fois le striatum mais aussi le cortex préfrontal. Plusieurs modèles existent afin d’expliquer le rôle du striatum. Il y a consensus néanmoins sur le fait que le striatum est impliqué dans la régulation du système dopaminergique. De ce fait, les individus atteints de la maladie de Parkinson peuvent présenter des troubles d’ordre temporel liés à ce système. On peut du reste jouer sur la précision des estimations temporelles en modifiant le niveau de dopamine dans le cerveau. Ceci a été montré notamment chez le rat : une augmentation du niveau de dopamine dans le cerveau provoque une surestimation du temps ; à l’inverse, de faibles niveaux de dopamine provoquent des sous-estimations temporelles. Je travaille en ce moment sur la perception des émotions, et notamment de la peur qui implique les ganglions de la base et qui agit directement sur la régulation du système dopaminergique. Or, on a montré que la peur génère des fluctuations de la perception du temps. Le système dopaminergique joue donc un rôle important sur cette perception temporelle.

J’insiste sur le fait qu’il n’y a pas de réelles pathologies du temps parce que le temps est présent partout dans notre cerveau. Néanmoins, suivant les cas, les capacités de perception du temps peuvent être altérées. Ceci est vrai, notamment chez ceux qui ont des problèmes d’attention avec hyperactivité, chez les parkinsoniens comme je l’ai expliqué, ou chez les personnes atteintes d’Alzheimer dont le premier déficit est de ne pas savoir se retrouver dans le temps…

Cette découverte pourrait-elle expliquer pourquoi certains individus sont toujours en retard ? Des traitements visant à soigner ce trouble comportemental pourraient-ils voir le jour ? 

Concernant les personnes qui sont en retard, il convient de prendre en compte l’échelle temporelle. Si vous les mettez devant un ordinateur afin d’évaluer la durée d’un rond bleu qui dure cinq ou huit secondes, ils parviendront à déterminer très exactement cette durée, à moins qu’ils aient de véritables troubles attentionnels.

Les personnes qui sont systématiquement en retard n’ont pas nécessairement un problème de perception du temps, mais plutôt des difficultés à gérer leur vie. Passionnées par ce qu’elles font généralement, elles ne font pas attention au temps, elles oublient de regarder leur montre, et sont donc en retard. Ceci ne signifie donc pas un dysfonctionnement du système d'horloge interne impliqué dans l'estimation des durées de quelques millisecondes à plusieurs secondes. 

L’expérience de laboratoire avec le rond que je mentionnais a néanmoins révélé  que si l’attention de l’individu est détournée du traitement de la durée, cela provoque des sous-estimations du temps. Imaginons le cadre d’un cours : si les élèves sont passionnés par son contenu, au bout d’une heure, ils auront l’impression que le temps aura passé très vite car ils n’auront pas fait attention au temps, mais seulement au contenu du cours. A l’inverse, si le cours ne les intéresse pas, leur attention sera centrée sur le temps qui passe, et le temps leur paraîtra alors plus long...Le temps n'en finira pas de durer. 

Etre en retard n’est pas forcément un trouble. Il convient de déterminer pourquoi la personne est en retard afin de savoir s’il s’agit véritablement d’un trouble lié par exemple à l'hyperactivité, ou bien si cela est plutôt lié à un problème d’organisation de sa vie. Dans ce dernier cas, il y a des stratégies qui peuvent être mises en place comme faire sonner des alarmes à chaque fois que la personne doit se rendre quelque part ou qu’elle doit faire chose de précis. Le stress et l’anxiété peuvent aussi provoquer des altérations de la perception du temps.

Dans certains cas, notamment pour les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, les traitements dopaminergiques visent précisément à améliorer leur situation, notamment celle relative à leur perception du temps. L’injection de certaines drogues particulières améliore la perception du temps par la régulation du système dopaminergique. Néanmoins, il convient bien de préciser qu’il n’existe aucun traitement visant, en tant que tel, à améliorer la perception du temps. Ceux qui existent actuellement n’agissent que sur les déficits du système dopaminergique dont la régulation améliorera la perception du temps.

Cette même étude révèle qu'il est indispensable également pour le cerveau de se souvenir des expériences temporelles vécues par l'individu pour avoir conscience du temps qui passe. Tel est le rôle de l'hippocampe. De quelle manière ces deux régions cérébrales travaillent-elles ensemble ? Le dysfonctionnement de l'un entraîne-t-il nécessairement l’impossibilité de prendre conscience du temps qui passe ? 

L’hippocampe joue sur tout ce qui a trait à la mémoire. Lorsque le fonctionnement de l’hippocampe est altéré, cela affecte tout ce qui est relatif à la mémoire épisodique ou à la mémoire à long terme de la durée. Avoir des problèmes de mémoire du temps ne signifie pas que l’on a des problèmes de perception du temps. Des sujets qui ont des capacités limitées de mémoire à long terme sont capables de perception précise du temps. Néanmoins, les interactions existent.

Dans cette étude, le rôle de l’hippocampe a été mis en évidence dans le cadre de l'estimation de longue durée, généralement d’une durée de douze minutes. La frontière temporelle entre la mémoire à long terme et la mémoire à court terme est difficile à déterminer lorsqu'on réalise une tâche. Néanmoins, pour des longues durées de 12 minutes , à ce stade, on est déjà pris dans des processus importants de mémoire. D'où le rôle déterminant de l'hippocampe  dans l'estimation du temps. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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